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"Quarante ans": paillettes et littérature, le journal de 1997 de Marc Lambron

1997 : l'islandaise Björk triomphait au hit-parade, la mannequin Stella Tennant faisait fureur avec ses piercings, et Marc Lambron était en lice pour le Goncourt avec "1941", son roman sur les années Vichy. Dans "Quarante ans", son journal tenu cette année-là et publié le 11 janvier, l'écrivain peint de main de maître la fin du XXe siècle dans un Paris mondain, sur fond de deuil du père.
Article rédigé par franceinfo
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L'écrivain Marc Lambron
 (JF Paga pour Grasset)

A quoi ressemblait la France de 1997 ? De quoi s'esbaudissait le Tout-Paris, entre Odéon et Saint-Germain des Près ? De la dissolution de l'Assemblée par le président Chirac, des frasques du magazine "Globe" ou encore de l'accident fatal à Lady Diana, sous le pont de l'Alma... Hauts et menus faits consignés par l'écrivain Marc Lambron (devenu, depuis, académicien), dans son journal de cette année-là. 1997 fut l'année de ses "Quarante ans". Année marquante sur un plan personnel, puisqu'il perdait son père le 1er mai, année marquante sur le plan littéraire puisqu'il ratait de peu le Goncourt, le 10 novembre. 

"Il se trouve 52% des votants d'une ville méridionale pour dire oui au Front national"

Entre écume des jours et sourde douleur du deuil (tue pour l'essentiel), l'énarque-normalien rend compte d'une existence dorée, du Palais-Royal (où il est conseiller d'Etat) aux entretiens glamour qu'il réalise pour la presse magazine. Que retenir de ces cinq cents pages gourmandes, fielleuses et parfois émouvantes, qu'il assure n'avoir pas retouchées pour leur publication vingt ans après ? Comme un parfum de nostalgie, d'abord.

Après les attentats contre Charlie ou le Bataclan, la France de 1997, rétrospectivement, parait bien paisible. Pourtant, à lire l'haruspice Lambron, quelques signes annonçaient déjà les tempêtes d'aujourd'hui. Il se trouve "52% des votants d'une ville méridionale pour dire oui au Front national",  s'inquiète le diariste, au lendemain de municipales partielles à Vitrolles. Et à Louqsor, en Egypte, une soixantaine de touristes sont assassinés le 17 novembre "par un commando islamiste" investissant le palais de la reine Hatchepsout.

Malgré ces nuages, le ton général reste léger. Notre Saint-Simon contemporain a l'élégance de ne pas nous assommer avec son travail au Conseil d'Etat. Des plateaux télé et des soirées mondaines où l'on croise le Paris qui fait l'opinion, il rapporte quelques ragots et bien des émois. Quoi de neuf ?  La victoire surprise du PS de Lionel Jospin aux législatives. La mort de Lady Di fuyant les paparazzis, au côté de son amant. Les émoustillants piercings du mannequin Stella Tennant, petite-fille chic de l'aristocratie britannique.  Le troisième millénaire sera provocant ou ne sera pas.

"Saint-Tropez est contre vous ...Il faut maintenant attendre Venise et la Suisse" 

Mais la grande affaire débute en août, avec la montée de fièvre précédant les prix littéraires. La maison Grasset se met en ordre de bataille pour le "Goncourt", et Marc Lambron figure parmi ses poulains. Son éditeur, Jean-Paul Enthoven, lui récapitule les forces (littéraires) en présence, par allusion à leurs villégiatures : "Tanger" est pour vous, "Saint-Tropez est contre vous ...Il faut maintenant attendre Venise et la Suisse" (où Jean d'Ormesson passe une partie de ses vacances, selon Le Monde").

Cette mini-bataille d'Hernani va occuper une bonne partie du journal, dévoilant tractations, rumeurs et "maquignonnages" autour des prix. Les premiers retours sont favorables à "1941", note le romancier, mais, s'angoisse-t-il, "Josyane Savigneau, du "Monde", aurait l'intention de le descendre". A peine une inquiétude calmée qu'une autre surgit. Pur produit de l'excellence "méritocratique", le romancier se voit en bouc émissaire du "politiquement correct". Comment, ressasse-t-il, peut-il rivaliser avec Lydie Salvayre, une de ses concurrentes qui offre, elle, "le bon socio-profil" : femme, psychiatre et s'occupant d'enfants à problèmes "en banlieue?" A l'arrivée, c'est pourtant un rival de la même écurie (Grasset), Patrick Rambaud, qui décrochera le prix convoité avec "La bataille". 

"Qu'est-ce que la littérature, comment y jouer sa vie ?"

On peut rire de cette bataille picrocholine. On peut surtout relever l'immense talent avec lequel Marc Lambron déploie ce tissu de jalousies et de vanités qui fait la trame des grands livres. Si ce dilettante multitâche (chroniqueur, romancier...) a des passions vraies, elles ont nom musique (il serait trop long de relever les multiples notations musicales de ce mélomane fondu de rock) et littérature. Parmi les plus belles pages de ce journal figure d'ailleurs l'hommage à l'un de ses professeurs de khâgne. Au fil de ses cours, écrit le romancier, c'est "la permanence de la question qui intriguait : 'qu'est-ce que la littérature, comment y jouer sa vie' ?" Gageons que la question lui est restée essentielle.

Comme un bon vin, Lambron a su laisser reposer longtemps ce journal. Pourquoi l'avoir dévoilé si tard ? "Vingt ans, nous a-t-il répondu, cela donne un effet de perspective. On ajoute à une année expressément décrite le silence, l'épaisseur de celles qui se sont déroulées depuis. En ce sens, il suffit d'attendre pour que le Temps devienne un écrivain". Modeste, mais faux (ou faussement modeste). Le plaisir de lecture permanent de "Quarante ans" tient d'évidence moins au temps qui passe qu'à l'érudition et au bonheur d'écriture constants de l'auteur. Qui compte, sur sa lancée, tenir un "Journal" de l'année 2017. Aurons-nous la joie de le lire avant 2037 ?

"Quarante ans", de Marc Lambron (482 pages-23 euros-Grasset)

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