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"L’étrange et drolatique voyage de ma mère en Amnésie" : l'Alzheimer d'une mère et le roman d'amour d'un fils

C'est un livre qui commence comme un roman. Le téléphone sonne, la voix est lointaine, ensuite la vie ne sera plus jamais la même. Ce soir là, c'est la mère de l'auteur qui appelle au secours et c'est le début de "L’étrange et drolatique voyage de ma mère en Amnesie". Michel Mompontet est journaliste à France-Télévision, dans l’équipe des Mots de Minuit . Mais c'est aussi un écrivain.
Article rédigé par Christophe Airaud
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 4 min
Couverture de l'etrange et drolatique voyage de ma mére en Amnésie 
 (JCLattés)

Alzheimer et la littérature

C'est une maladie de l'oubli. Ecrire pour ne pas laisser filer le temps est parfois le moteur des écrivains. Ils et elles sont un certain nombre à avoir raconté un proche partant vers ce territoire inconnu qu'est la maladie d'Alzeihmer.

En 1996, Annie Ernaux écrivait "Je ne suis pas sorti de ma nuit" chez Gallimard. Ce titre était la dernière phrase que sa mère avait écrite. Chez Annie Ernaux, la culpabilité rôde quand il est question d’écrire sur la maladie. Christine Orban dans "Le pays de l'absence" chez Albin Michel posait la question : et si un jour, nous devenions les parents de nos parents ? Anne Bragance dans "La reine nue" chez Acte Sud dressait le portrait d'une femme forte que la maladie fait sombrer sous les yeux de ses enfants. Récit à plusieurs voix, récit à plusieurs sentiments.

Tristesse, désarroi, amour, pitié, honte et retrouvailles, peur et réconfort, un enfant face à celui ou celle qui l'a guidé à devenir adulte sent que les rôles s'inversent. C'est la trame et le drame de ces ouvrages. Chez Michel Mompontet, c'est un journal intime, comme en écrivent peut être les enfants avec leurs escapades rêvées et leurs espoirs d'avenir mais cette fois, l'auteur raconte la dernière aventure de sa mère. Pour qui côtoie Alzheimer, il sait bien que cela renvoie à l’enfance perdue. C'est un voyage entre étrangeté et humour. Car cette maladie est troublante mais ce mal fabrique aussi des scènes loufoques et joyeuses.


L'étrange et drôlatique voyage

Tout débute par un téléphone qui sonne à 21h27. C'est  un appel à l'aide de Geneviève, un appel au secours. "Ma mère ne m'a jamais inquiété" écrit l'auteur. Une mère tellement aimée qu'il l'appelle Matrie. Mais quand il la retrouve dans sa ville natale de Dax (véritable décor de ce  livre) elle n’est plus au bout du quai à l’attendre. "Elle m’accueillait, mon prénom jeté en l’air dans un éclat de voix". On semble avoir du coffre chez les Mompontet. Mais ce soir-là, elle est devenue "celle que le fils doit coucher, quand c'est elle qui a toujours couché l'enfant".

Le journal intime bascule dans le quotidien d'un duo improbable. Les deux occupent le devant de la scène. Leurs aventures passent par le cimetière où la mère a perdu le chemin des dernières demeures des proches. Par les hôpitaux ou l'on croise médecins bienveillants et administrations froides.

Mais le récit ne serait qu'une longue plainte sans ses personnages secondaires qui circulent autour d'eux .Il y a la radieuse Stella, aide à domicile qui dompte une Geneviève revêche. Roberte, la sœur acariâtre qui, du passé, laisse les rancœurs et reproches jaillir malgré la tristesse, Florian, l'infirmier aux beaux mollets ou Charles qui jardine pour quand le fils reviendra. Une comédie humaine autour d'une naufragée des souvenirs. 


Parler en Majuscule

Dans l'étrange et drolatique voyage, la poésie et le rocambolesque se glissent dans leur quotidien. Geneviève fut une de ces Landaises solides, personnage de l'Adour et des lignées de pins. Pour elle, la lutte avec les victuailles, (savoir couper la volaille est un art), avec la terre de la ferme d’antan ou les animaux ont ponctué sa vie. Pas question de céder aux dégâts de la maladie quitte à tricher.

Geneviève est connue dans la famille pour être une killeuse de mouche, la reine des mouches (page 95). Elle était "plus efficace que les affreux rubans tue-mouches". La maladie ralentit le corps et ses réflexes pourtant hors du commun. Et bien, malgré la défaite physique, Geneviève invente la raison des échecs  avec une merveilleuse mauvaise foi : "Elles doivent voler plus vite qu’avant". Y croire, c’est gagné un round d’un combat perdu d’avance.

Les mots de la mère déraillent mais la plume de l’auteur se fait farceuse et la langue joyeuse. "Tu veux bien ne plus parler en majuscule" quand il parle trop fort ou "dis-moi tu as bien arrosé mon fleurier" quand le soir arrive. La beauté des mains ridées et usées de la mére regardées avec tendresse par le fils. Ces mains qui se souviennent ce que la tête a oublié. Michel Mompontet, pour éviter le désespoir, note, raconte, décrit. C'est la chronique des espoirs et des déconvenues, du mal qui empire et des sursauts de la vie. Ce texte est aussi un roman et pourrait devenir un recueil d’aide à domicile pour tout un chacun qui se coltine avec ce drame. 
 

 

Michel Mompontet: auteur de "L'étrange et drolatique voyage de ma mère en Amnésie" JClattés

 
 Alzheimer et le courrier des lecteurs

Pour mesurer la solitude et la douleur des proches des malades d’Alzheimer, il suffit de parcourir le courrier des lecteurs de ce livre. Ce sont les billets d'une confrérie: ceux qui voient leurs parents degringoler. "Un roman qui devrait être prescrit à toutes personnes accompagnant des personnes atteintes de troubles cognitifs" écrit Laurent. "J’ai vécu une identique aventure avec ma mère pendant les dix dernières années de sa vie" déclare Philippe ou Luc se confie à Michel Mompontet "je le relis déjà de crainte d’être passé à côté de tes mots, tes bulles de couleurs (…) de Geneviève qui se débat comme ma Suzanne pour ne pas couler tout à fait".
 
C’est la force de l’écriture de ce carnet de bord des jours difficiles. Il y a des nuits d’inquiétude, des terreurs lorsque le fils s’absente mais les instants volés à la maladie, les retrouvailles et les confidences d’une mère font que ces derniers mois de vie ne sont jamais une effroyable marche vers la mort.

 

"Maman, pourquoi tu mets toujours le même manteau usé ? Parce qu’il a des pièces dans les poches". "C'est la joie qui libère la mémoire. C'est la peur qu'il l'emprisonne"
 

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