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"J'essaie de raconter des histoires qui ne se racontent pas d'histoire", explique Nicolas Mathieu, Goncourt 2018

Après Leurs enfants après eux, pour lequel Nicolas Mathieu a remporté le prix Goncourt en 2018, "Connemara", le nouveau roman de l''ecrivain, sort mercredi chez Actes Sud.

Article rédigé par franceinfo
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Nicolas Mathieu, le 14 octobre 2019. (ULF ANDERSEN / ULF ANDERSEN)

"J'essaie de raconter des histoires qui ne se racontent pas d'histoire", explique mardi 1er février sur franceinfo Nicolas Mathieu, qui a remporté le prix Goncourt en 2018 avec Leurs enfants après eux, au sujet de son nouveau roman Connemara qui sort mercredi 2 février chez Actes Sud.

franceinfo : Ce livre est apprécié, selon les premières critiques, est-ce que c'est déjà un soulagement pour vous ?

Nicolas Mathieu : Absolument. C'est un soulagement parce le deuxième roman, on sait qu'il est difficile. On peut craindre d'être l'homme d'un seul roman. Mais alors, le roman d'après Goncourt, c'est encore une pression supplémentaire. Parce que, est-ce qu'on va être à la hauteur des attentes ? Et puis, on sait qu'on sera beaucoup lu, donc beaucoup jugé.

Dans Connemara, les adolescents de cette partie de la Lorraine sont des quadragénaires qui se cherchent. Ou sont passés leurs rêves de jeunesse ?

Ils s'appellent Hélène et Christophe. On a avec eux une version intime des fractures françaises. Un qui est dans la France qui avance et l'autre qui est dans la France qui n'avance pas ? Oui, c'est exactement ça sauf que c'est le contraire. C'est-à-dire que je ne parle pas des fractures françaises pour décliner des personnages. Je pars de personnages, de gens que je connais, de fractures qui sont les miennes, de lieux de partage qui me sont intimes. Ceux qui restent, ceux qui partent, ceux qui ont des diplômes, ceux qui n'en ont pas, etc. Et puis, en faisant exister ces personnages, en les faisant interagir à ce moment-là quand ça se passe bien, il y a une assomption vers d'autres choses et ça parle peut-être plus que de leur histoire. Peut-être que ça parle un peu de nous tous. Ça parle aussi du pays où on vit.

Est-ce que la question c'est : qu'est-ce que cela veut dire réussir ?

Effectivement, je pense que c'est l'un des points de départ du bouquin. C'est-à-dire que j'ai fait un long tour de France pour faire la promotion du précédent roman et tout le monde me renvoyait l'image de mes personnages comme des ratés, comme d'un livre très noir qui dépeignait des vies qui ne valaient pas le coup. Ces vies que menaient Antony, sa mère, son père, même si elles ne suivaient pas des progressions ascensionnelles, des changements bouleversants géographiquement ou socialement, ça me semblait être des vies qui valaient le coup. Il y avait de l'empathie, mais je crois que tout le monde projette les valeurs dont il est le porteur. Beaucoup de gens voient la réussite en fonction des critères du temps de notre époque et c'est un peu ça que j'ai voulu investiguer. C'est-à-dire qu'Hélène a tout réussi. Elle a coché toutes les cases. Puis elle arrive à ce moment entre 40, 45 ans. Un beau jour, on se dit "So what ? J'ai fait le job, j'ai tout réalisé, j'ai fait les efforts qu'il fallait et puis, finalement, il reste un goût d'inaccomplissements". Qu'est-ce que c'est réussir ? Et puis, au-delà, la question politique et existentielle, c'est : qu'est-ce que c'est que mener une vie qui vaut vraiment la peine ?

Vous le faites toujours avec le souci de la description la plus juste, la plus précise, la plus sensible aussi du réel. C'est un combat pour vous d'écrire contre la virtualisation de la société, qui peut être un peu partout ?

Il y a cela. C'est-à-dire que moi, j'essaie de raconter des histoires qui ne se racontent pas d'histoires. J'essaie de raconter des histoires qui ne sont pas des opiacés, qui ne nous consolent pas de notre sort, mais qui nous y renvoient pour pouvoir agir dessus. Et puis j'ai envie de rendre un peu de la vie qui est la nôtre. Il y a vraiment un effort de restitution. Je voudrais rendre le monde de sorte que cette partie-là du monde soit non seulement partageable avec les lecteurs, qu'elle me soit praticable, et aussi qu'elle subsiste malgré le passage du temps. Le mot "mélancolie" me va très bien. Ce n'est pas une tristesse inactive. C'est le petit goût qu'on ressent presque physiquement sur la langue quand on prend vraiment conscience du temps qui passe.

"Connemara", c'est la chanson de Michel Sardou. Nicolas Mathieu, vous prenez un côté jubilatoire. Moi le prix Goncourt, je mets un titre de Sardou ?

Oui, il y a une manière de faire ça, effectivement, de mettre peut-être quelque chose de populaire au milieu de table. Et puis, débrouillez-vous avec ça. Ce titre il fait signe, parce que cette chanson fait partie de ce qui nous est commun, partagé par tous, on la connaît tous. En même temps, c'est le lieu d'une division, d'une ligne de partage, parce qu'on ne l'écoute pas de la même manière si on les écoute à la fin d'une fête de HEC (c'est l'hymne des fêtes de HEC) ou si on l'écoute dans un mariage au fin fond d'une province. Le roman est pour beaucoup là-dessus, sur ce qui nous est commun et ce qui nous sépare.

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