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Pourquoi ils ne boudent pas le Salon du Livre : quatre éditeurs s'expliquent

Plusieurs éditeurs ont décidé cette année de bouder le Salon du Livre. Nous avons rencontré au salon quatre éditeurs, petits, grands, indépendants ou pas, qui tiennent eux, au contraire, à être présents au salon. Les éditeurs d'Actes Sud, Christian Bourgois, Métailié et Cheyne nous expliquent pourquoi.
Article rédigé par Laurence Houot
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 6 min
Le stand Christian Bourgois u Salon du Livre 2015
 (Laurence Houot / Culturebox)

Trop cher, trop grand, trop populaire, trop commercial… Plusieurs éditeurs ont décidé cette année de bouder le Salon du Livre de la Porte de Versailles. Le Salon ? "Un immense univers où on peut perdre son âme", déclarait récemment Arnaud Nourry, le patron d'Hachette Livre sur France Inter. "La formule actuelle du Salon de Livre n'est plus adaptée", soulignait dans le Monde des Livres l'éditrice Odile Jacob. "Il est de plus en plus difficile de convaincre des libraires de fermer boutique pendant quelques jours pour tenir notre stand, Car ils ne s'y retrouvent pas financièrement", ajoutait Olivier Nora, le patron des éditions Grasset.
 
Et pourtant, le Salon du Livre reste un moment-clé dans la vie du monde des livres. Un moment où se croisent tous les acteurs du livre : auteurs, éditeurs, libraires, bibliothécaires et lecteurs et une grande partie des éditeurs restent attachés à cet événement, même si c'est cher. Nous en avons rencontré quatre : des petits, des grands, des indépendants… Ils expliquent pourquoi ils sont toujours là.

1. ACTES SUD, Françoise Nyssen, présidente
"Il faut être là, pour résister"

Françoise Nyssen, Actes Sud
 (Laurence Houot / Culturebox)
Ce stand, on ne peut pas le rater. Placé tout près de l'entrée, l'espace Actes Sud occupe plus de 300 m2. Une file d'attente s'est formée devant l'alléchante liste de dédicaces prévues pour l'après-midi. Laurent Gaudé, Kamel Daoud ou Nancy Houston entres autres, sont au rendez-vous. De ce côté-ci pas de selfies, entre les tables couvertes de livres, on parle littérature. "Le salon, c'est la fête du livre !", explique Françoise Nyssen, la patronne d'Actes Sud, "Et si on vit dans une société du spectacle, c'est à nous de résister. Ce n'est pas en quittant les lieux que l'on va pouvoir résister. Il faut être là", ajoute avec enthousiasme l'éditrice. 

"Le salon participe à la vie du livre, donc non seulement on vient mais moi j'y passe mes journées", explique-t-elle, "J'aime venir voir ce qui se passe : les auteurs, les lecteurs, les libraires, qui s'occupent du stand. Ne pas venir, ce serait se priver de ce contact. C'est un lieu d'échange, pas seulement une vitrine commerciale. On occupe un très grand espace, où on essaie de montrer l'esprit de la maison. Pas de démesure dans la déco, mais une grande place réservée aux livres aux auteurs".

"Remettre le Salon au Salon du Livre ? Pourquoi pas, mais ce n'est pas le lieu qui est important. Ce qui compte, c'est cette chaine de conviction : auteurs, libraires, lecteurs… Et tout cela, dans le respect des droits d'auteurs. On pourrait imaginer organiser le Salon du Livre dans les grandes villes de France, chacune son tour, ce serait génial aussi…", conclut l'éditrice, avant de rejoindre sur le stand un auteur qui vient pour une dédicace.

2. MÉTAILIÉ , Anne-Marie Métailié, présidente
"Je suis pour un salon populaire et familial"
Anne-Marie Métailié
 (Laurence Houot / Culturebox)
"Je viens depuis la création du Salon", explique Anne Marie-Métailié. "Oui, c'est cher, rien que la location de l'espace, ça nous coûte 10 000 euros, et ensuite il y a tout le reste, que je n'ai jamais quantifié. Je ne suis jamais rentrée dans mes frais, mais je considère que c'est une dépense indispensable", ajoute la fondatrice des éditions Métaillié, une maison longtemps restée indépendante, qui depuis 4 ans, appartient pour 80 % aux éditions du Seuil. 

"C'est un moment de rencontre avec nos lecteurs. On n'en a pas tant que ça !", souligne l'éditrice. "Et même si les gens ne viennent pas faire des selfies sur notre stand parce qu'on a pas de stars, n'empêche, on voit des lecteurs, qui repartent chargés comme des baudets. Il y a quand même près de 200 000 visiteurs qui paient pour entrer, donc c'est que ça doit servir à quelque chose quand même!", poursuit-elle.

"Retourner au grand Palais ? Je vais vous dire, moi j'ai connu le Grand Palais, et j'avais une gouttière au dessus de mon stand ! Et puis cela posait des problèmes de sécurité", se souvient-elle. "Non mais sérieusement, on ne peut pas revenir en arrière. On s'est battus pour que le Salon du Livre devienne populaire, ce n'est pas pour en refaire un truc snob au Grand Palais ! Ici, il y a plus de place. Si on retourne au grand Palais certains éditeurs ne pourront plus venir au salon, et sans doute les plus jeunes, la relève.", insiste l'éditrice. 

"Je suis pour un salon populaire et familial. Pour que les gens entrent dans le Salon et se perdent, qu'ils se rendent compte qu'il y a tout ça : de la littérature, des livres jeunesse, de la BD, des beaux livres… ", ajoute l'éditrice. "Oui, c'est cher de venir au Salon. Et tous les ans je râle. Mais je continue à venir et je reviendrai. Parce que je pense que tout le monde y trouve son compte", conclut-elle, avant d'ajouter en souriant "On va encore me détester, mais tant pis".

CHRISTIAN BOURGOIS, Laurence Bourgeon, assistante éditoriale
"Nous, on vient par tradition"
Laurence Bourgeon, éditions Christian Bourgois
 (Laurence Houot / Culturebox)
Quelques mètres carrés entre les éditions de Minuit et P.O.L., les éditions Christian Bourgois sont bien placées, "On essaie toujours d'avoir un angle, dans une grande allée, sur un lieu de passage", explique Laurence Bourgeon. "Bon même si chaque année on réduit un peu la surface, on est passé de 25, à 20 et aujourd'hui 15. Mais finalement ça suffit", ajoute l'éditrice. "C'est un moment important. Il n'y en a pas tant que ça pendant l'année, en dehors des rentrées littéraires. C'est un lieu de rencontre, avec les auteurs, les traducteurs et surtout avec les lecteurs. C'est vraiment intéressant d'avoir les réactions des lecteurs et puis c'est aussi une occasion de faire revivre le catalogue : on en profite pour ressortir certains titres en fonction de l'actualité, comme l'anniversaire cette année des cent ans de la naissance de Barthes", explique Laurence Bourgeon, tout en encaissant une dame qui vient d'acheter une grosse pile de livres. "Ici on fait tout tous seuls. Et même si ça coûte cher, on vient. C'est une tradition", conclut-elle.

CHEYNE , Damien Lebreton, responsable de la diffusion
"Ça nous permet de toucher un public plus large"
Damien Le Breton, éditions Cheyne 
 (Laurence Houot / Culturebox)
Juste en face du gigantesque espace Robert Laffont, encerclé par une foule de chasseurs de dédicaces, un petit stand attire l'œil. Les éditions Cheyne publient de la poésie depuis 1981, de très beaux livres, imprimés maison dans le fin fond de l'Ardèche, "sur une presse à plomb Heidelberg", précise Damien Le Breton.

"Nous on fait l'inverse. On ne venait plus depuis plusieurs années, et cette année nous sommes revenus", souligne-t-il. "Nous avons profité de l'ouverture du stand Rhône Alpe à l'Auvergne", explique-t-il. "Cela permet d'alléger le coût de notre présence au Salon du Livre" poursuit-il. Comme beaucoup de petits éditeurs, la présence des régions au Salon du Livre est une aubaine. "Ici on peut toucher un nouveau public, beaucoup plus large que celui que l'on rencontre sur le marché de la poésie", conclut Damien Le Breton.

Salon du Livre de Paris 2015
Paris Porte de Versailles

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