Mort de Michel Serres : "C'était un Socrate français", salue le philosophe Vincent Cespedes
L'essayiste Vincent Cespedes a rendu hommage dimanche à Michel Serres, mort samedi soir.
Michel Serres "était un immense manieur de mots", a salué dimanche 2 juin sur franceinfo, le philosophe et essayiste Vincent Cespedes, après la mort de l'académicien âgé de 88 ans. "C'était un amoureux de la connaissance ce qui est une définition même de la philosophie (…), il faisait de l'optimisme absolu un critère de l'action de penser" et "misait sur les générations futures". Pour Vincent Cespedes, Michel Serres "était vraiment un Socrate français, une immense figure internationale".
franceinfo : Pourquoi Michel Serres était-il aussi apprécié du grand public ?
Vincent Cespedes : Il avait une façon de parler de s'exprimer très claire et à la fois très gourmande. C'était un immense manieur de mots. Les mots ont une profondeur, ça c'est le travail de la philosophie, mais il savait les connecter à des idées lumineuses. Il y a par exemple l'idée d'appeler la génération SMS et d'internet "petite poucette", c'est tout bête, mais maintenant on parle vraiment comme ça. Il avait une immense tendresse pour le futur, pour le présent, une bienveillance, une invention. La philosophie pour lui c'était anticiper et inventer. Tout le monde est aujourd'hui sommé de devenir philosophe grâce à lui. Il faut faire l'acte qu'il préconisait en philosophie, grappiller, s'inspirer. La curiosité au fondement de la démarche de l'interrogation du monde. Soyons curieux de Michel Serres.
L'une de ses qualités, c'était aussi de vulgariser, rendre accessible des concepts qui pouvaient paraître ésotériques ?
Il avait ça, mais il n'était pas enfermé dans ce qui est un travers aujourd'hui en philosophie, l'histoire de la philosophie. La philosophie subit une crise aujourd'hui, une crise qu'il a très bien analysée dans plusieurs livres, une crise où elle se mange elle-même, où elle mange sa propre histoire. Bien sûr, c'était un amoureux de la connaissance, ce qui est une définition même de la philosophie. Mais ce qui était fort chez lui c'est sa capacité d'invention philosophique. Les mots peuvent peut-être être troublants, mais c'est l'essence même de la philosophie. Il disait cette belle phrase : "A Chaque fois qu'il y a un nouveau support technique, il y a un Socrate qui engueule Platon". Socrate étant le maître de Platon, Platon se méfiant de l'écriture. Socrate avait cette lumière pour pouvoir dire, que le présent peut avoir raison, essayons de remettre en question nos évidences. Il était vraiment un Socrate français, une immense figure internationale, quelqu'un qui faisait de la philosophie une arme pour se sentir bien dans le monde avec une vision que la culture, c'est du métissage, que tout se mélange. C'est un philosophe de l'identité qu'on ne soupçonne pas.
Michel Serres c'était aussi ce regard bleu acier, cet accent du Sud-Ouest, qui le rendaient chaleureux, proche de nous et plus humaniste ?
Oui, plus humaniste, plus humain, il y a cette bonhomie qui se voyait. I dégageait quelque chose d'englobant, d'enveloppant. C'était un philosophe des sciences, il a fait un très beau dictionnaire des sciences, il a écrit Le Tiers-Instruit, L'Incandescent, Le Parasite. Des livres lumineux, il avait un don. Pour moi, on doit tous apprendre de lui. Quand il se mettait à un livre, il n'allait pas dans tous les sens. Il a des livres où, à chaque ligne, il y a des formules lumineuses, et une recherche derrière, et ça ne s'éparpille pas. Chaque livre est une pierre posée à son édifice. C'est assez spectaculaire. Il faisait de l'optimisme absolu un critère de l'action de penser. Philosopher, c'était anticiper, pour lui. Il misait sur les générations futures. C'est un immense don, c'est quelque chose qui doit nous inspirer. Nous n'avons pas les solutions, mais les jeunes les auront. Nous devons, nous, favoriser l'accès aux connaissances des jeunes, la capacité qu'auront les jeunes à tout réinventer. Il misait sur cette jeunesse-là. Dans tous ses livres, il expliquait d'ailleurs que le "c'était mieux avant" était une erreur et presque une faute morale.
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