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Mort de Claude Lanzmann : "Shoah est une œuvre qui embrasse l'humanité toute entière"

L'ancien directeur de la Cinémathèque française, Serge Toubiana, revient sur la disparition du cinéaste Claude Lanzmann et sur le travail méticuleux de son film-documentaire "Shoah".

Article rédigé par franceinfo
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Le réalisateur du film-documentaire Shoah, Claude Lanzmann est mort à l'âge de 92 ans, à Paris. (JOEL ROBINE / AFP)

Serge Toubiana, ancien directeur de la Cinémathèque française, a salué, jeudi 5 juillet sur franceinfo, l''immense cinéaste" qu'était Claude Lanzmann, mort à 92 ans, à son domicile parisien. L'ex-rédacteur en chef des Cahiers du cinéma est revenu sur le film-documentaire Shoah, terminé en 1985, qui retrace l'extermination des juifs par le régime nazi à travers des témoignages de survivants : "C'est un film qui a bouleversé l'histoire du cinéma et qui va continuer de le faire", affirme-t-il.

"C'est beaucoup plus fort qu'un documentaire", assure-t-il. "C'est beaucoup plus puissant, c'est beaucoup plus profond, c'est beaucoup plus essentiel aussi parce que c'est une œuvre de la pensée, de la réflexion, de la fraternité. C'est une œuvre qui embrasse l'humanité toute entière", estime Serge Toubiana.

La parole de ceux qui "ont vu la mort"

Pour ce dernier, Shoah, d'une durée inférieure à 10h, "n'est pas un film sur la mémoire, c'est un film sur le vide comme le dit très bien Claude Lanzmann. C'est un film où il n'y a pas de mémoire. Il faut l'inventer, la sculpter, la créer de toute pièce."

Le film de Claude Lanzmann est construit en quatre partie : les camions à gaz à Chełmno ; les camps de la mort de Treblinka et d'Auschwitz-Birkenau ; et le processus d'élimination du ghetto de Varsovie. Un film-document qui repose sur la force des témoignages de ceux qui ont vu ou qui ne voulaient pas voir : "Il va quêter la parole de ceux qui ont vu la mort. La force de Shoah, c'est que tous ceux qui parlent dans le film, tous ceux qui viennent témoigner sont des gens qui ont vu la mort. Les paysans polonais ont senti l'odeur des camps et ils viennent pour la première fois le dire", souligne-t-il.

Ce film qui était au départ une commande du gouvernement israélien est pour Serge Toubiana "un témoignage philosophiquement essentiel." "En termes de civilisation, c'est le dernier acte possible, celui d'avoir vu la mort. Et pas n'importe quelle mort. Une mort programmée, une mort organisée, une mort industrielle, une mort voulue, pensée par les nazis", explique-t-il.

Quand on a vu Shoah, on a vu une œuvre primitive et ultime en même temps. C'est un film originel

Serge Toubiana à propos du film de Claude Lanzmann "Shoah"

franceinfo

Diffusé pendant le procès Barbie

Le film-documentaire est diffusé pour la première fois en 1987 à la télévision française sur TF1 quatre soirs consécutifs, au moment même où se tient le procès de criminel de guerre allemand Klaus Barbie, à Lyon. C'est un choc dans l'opinion française et un succès d'audience : "C'est 12 ans de travail. C'est une œuvre colossale, c'est une œuvre magistrale. A chaque fois que je vois ce film je suis frappé par la poétique de ce film. C'est un film qui vous emmène vers la poésie. C'est un film musical. C'est un film qui est développé comme une mélopée. C'est bouleversant à chaque fois que je le revois", confie Serge Toubiana.

"C'est une parole extrêmement poétique et musicale. A chaque fois, je suis frappé par la capacité qu'a eue Lanzmann à trouver une musique intime de l'espèce humaine"  salue-t-il. Et de conclure : "C'est un film qui s'inscrit dans la grande tradition de Primo Levi et de tous ceux qui ont pensé l'espèce humaine dans sa profonde fragilité. C'est un immense cinéaste."

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