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"Mon autre famille", l'autobiographie bouleversante d'Armistead Maupin

L'auteur des "Chroniques de San Francisco" signe une autobiographie, "Mon autre famille" (L'Olivier), dans laquelle il revient sur son enfance, sa jeunesse et sa vie d'adulte, d'écrivain et aussi sa vie d'homosexuel "sorti du placard", militant dans un temps où l'homosexualité était considérée au mieux comme une maladie, au pire condamnée comme un crime. Un récit émouvant, et plein de vie.
Article rédigé par Laurence Houot
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 4min
L'écrivain américain Armistead Maupin 
 (Christopher Turner)

Armistead Maupin est né en 1944, en Caroline du Nord. La famille est plutôt conservatrice, même si l'on trouve chez les grands-parents des figures émancipées, comme la grand-mère côté maternel. Sa mère, qu'il appelle Momie, l'entoure d'affection et le protège "des vérités embarrassantes". La famille a ses secrets, sombres, comme le suicide d'un grand-père. Il se sent différent, mais arrivé à l'âge adulte, il suit l'injonction paternelle, patriote et virile, et s'engage dans la marine direction le Vietnam. À son retour, il comprend qu'il est nécessaire de s'éloigner de sa famille réactionnaire pour s'émanciper, et part s'installer à San Francisco, où il trouve le chemin de lui-même et une "autre famille".

"Mon autre famille" est aussi le récit de la naissance d'un écrivain. Dès l'enfance Armistead Maupin écrit. Pour chasser un cauchemar récurrent, il se raconte chaque soir avant de s'endormir des histoires, qui ont déjà la forme d'un feuilleton. Sa "toute première tentative d'écriture" est une lettre adressée à une petite fille de trois ans tombée dans un puits en Californie. Trois lignes pour la consoler. Dans le jardin de la maison, il transforme la cabane fabriquée par son père en petit théâtre, dans lequel il joue des pièces pour son entourage…

La vie lui procure ensuite le décor et les modèles des personnages de ses "Chroniques de San Francisco", ce feuilleton paru d'abord dans la presse dans les années 70, puis éditée en plusieurs volumes quelques années plus tard, qui narre la vie de la petite communauté décalée, qui vit au 28 Barbery Lane, à San Francisco. Il nous les présente ici.

Une tendre galerie de portraits

"Mon autre famille" est une formidable galerie de portraits de tous ceux qui l'ont construit : ses parents, sur qui il pose un regard à la fois sévère et tendre, ses amis, les acteurs, les artistes qu'il a croisés tout au long de sa vie, ceux qui ont beaucoup compté, et d'autres, comme des apparitions.

Chaque chapitre du livre s'ouvre sur une photographie : sa mère sur la plage avec lui bébé dans les bras, photos de famille, lui en communiant, photo du Vietnam, photographies des lieux où il a vécu, affiches, portraits de lui à différents moments de sa vie.

L'auteur des "Chroniques de San Francisco" revient sur son combat pour les droits des homosexuels, et sur ses choix : révéler et assumer son homosexualité, et parfois celle des autres, comme celle de l'acteur Rock Hudson, qui ne lui tint pas rigueur de révéler ce qu'il n'osait pas ou ne pouvait pas dire lui-même. 

Une vie d'homme, dans l'Amérique du XXe siècle

Le romancier scanne 50 ans d'histoire américaine à travers le prisme de ce combat, revient sur l'émergence des mouvements gays et lesbiens, sur les années noires du Sida… "Mon autre famille" ne sonne pourtant pas comme un manifeste, et s'il se fait le porte-voix d'une génération, son récit est avant tout celui d'une vie d'homme, d'homme courageux portant sur le monde un regard singulier. Un livre plein de drôlerie et de fantaisie, qui se lit comme un roman.

"Mon autre famille " se referme sur une lettre, écrite en 1977 et adressée à sa mère. "Non maman, je n'ai pas été "enrôlé". Aucun homosexuel aguerri ne m'a jamais servi d'instructeur. Mais veux-tu que je te dise ? J'aurais voulu que ce soit le cas. J'aurais aimé qu'un homme plus âgé que moi et plus judicieux que les gens d'Orlando me prennent à part pour me dire : "Ne te fais pas de soucis petit. Quand tu seras grand, tu pourras être médecin ou professeur exactement comme tout le monde. Tu n'es ni fou ni malade ni vicieux. Tu as le droit de réussir, d'être heureux et de trouver la paix auprès d'amis – toutes sortes d'amis – à qui il sera complètement égal de savoir avec qui tu couches. Et surtout tu as le droit d'aimer et d'être aimé sans te haïr pour autant."

"Mon autre famille", Armistead Maupin
(L'Olivier - 342 pages - 22 euros)

Extrait

A cette époque reculée, j'étais encore trop jeune pour comprendre qu'il n'y aurait jamais de dame à mes côtés, généreuse ou non. Je n'aurais sans doute pas remarqué que mon père avait ainsi confiné sa femme et sa fille au rôle de subalternes dociles. Je ne ressentais qu'un désir informe, une sorte de mélancolie étrangement adulte, née de l'aliénation et du silence. Certains enfants en font très tôt l'expérience, bien avant que nous n'apprenions le sens du mot et que nous laissions notre cœur impétueux nous montrer la voie vers le Vrai Nord. Nous grandissons tels des individus d'une espèce entièrement différente, antilopes solitaires parmi le troupeau de bisons de nos proches. Tôt ou tard cependant, où que nous vivions, il faut nous exiler, nous aventurer loin de nos parents biologiques afin de de découvrir notre famille logique, celle qui pour nous fera véritablement sens. Il le faut."



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