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Le sauvetage de la librairie "Le Bleuet", qui voulait concurrencer Amazon

Dans le petit village de Banon, dans les Alpes-de-Haute-Provence, on a voulu y croire. En 2012, le propriétaire de la librairie traditionnelle à succès "Le Bleuet" ambitionnait d'en faire "la première librairie de France" grâce à la vente en ligne, à l'instar du géant Amazon. Las, les ventes n'ont jamais décollé. Et le désastre a failli engloutir la librairie physique. Elle vient d'être reprise.
Article rédigé par franceinfo - franceinfo Culture (avec AFP)
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La librairie "Le Bleuet" de Banon en octobre 2013.
 (Eric Beracassat / AFP )
Un modeste local transformé en temple de la littérature

En 1990, Joël Gatefossé, un menuisier de formation, rachète une papeterie-bazar de 50 m2 dans ce coin un peu perdu des Alpes-de-Haute-Provence. Il en fait la librairie à succès "Le Bleuet".

En 20 ans, il transforme ce modeste local en temple de la littérature, où l'intégrale de La Pléiade attend le visiteur à peine la porte franchie. Sur 8 niveaux et 800 m2, de mezzanine en recoins, règne une atmosphère de "recueillement", tout en chuchotis, comme l'a dit un jour Joël Gatefossé, qui a confectionné lui-même les rayonnages. L'offre immense - 170.000 ouvrages - incitait il est vrai au lâcher prise...

A cette époque, on vient de 100 km à la ronde pour se procurer des raretés et s'offrir ce plaisir-là. Et en été, la clientèle touristique "intello" peut faire grimper les ventes quotidiennes à 2.000 exemplaires. Le chiffre d'affaire atteint 2,2 millions d'euros pour 17 salariés.

En 2012 est lancé un projet de vente en ligne trop ambitieux

C'était avant les rêves de grandeur de Joël Gatefossé et l'énorme investissement qui a plombé la trésorerie. En 2012, son projet de vente en ligne, qui devait permettre le stockage de 1,1 millions d'ouvrages (350.000 références) et leur expédition partout en France, séduit les banques et les collectivités locales. 4,4 millions sont alors investis. Mais l'affaire n'a jamais décollé. 

Il s'agissait d'une ambition déraisonnée, explique Guillaume Husson, délégué général du Syndicat de la librairie française. "Stocker des centaines de milliers d'ouvrages, dont beaucoup ne se vendent qu'à une quarantaine d'exemplaires annuels, c'est un peu suicidaire, vu les investissements colossaux", souligne-t-il. D'autant que, pour les librairies, la vente en ligne n'est qu'une "activité connexe, n'excédant pas 7% du chiffre d'affaires".
Mme Christine Rey, nouvelle propriétaire du "Bleuet" de Banon, pose dans la librairie, le 17 février 2015.
 (Anne-Christine Poujoulat / AFP)
De nouveaux propriétaires
   
La librairie "physique" Le Bleuet a échappé à la liquidation, qui menaçait après l'ouverture d'une procédure de sauvegarde en novembre 2014. Elle a été rachetée, pour environ 150.000 euros selon le maire, par Christine Rey, un professeur de lettres et de musicologie à Avignon, et son mari industriel. Le couple n'a en revanche pas repris l'entrepôt.
   
La nouvelle patronne des lieux était jusqu'alors une cliente régulière, venant "trois-quatre fois par an pour aimer se perdre dans cet endroit magique". Son objectif aujourd'hui : "garder l'esprit du Bleuet, en le modernisant". En s'attelant notamment à l'épuration et à la reconstitution du stock.

Un poumon pour le village

"Le Bleuet est devenu le poumon économique du village, plus emblématique que notre fromage de chèvre (célèbre spécialité locale, ndlr). Ce qu'il draine en terme de visiteurs est considérable, pour nos petits commerces... Une liquidation aurait été une catastrophe. Pour nous, c'était une priorité de maintenir l'activité", souligne le maire de Banon, qui a mis à disposition une salle communale pour rapatrier une partie du stock de l'entrepôt.

En raison des problèmes de trésorerie, les éditeurs rechignaient les derniers temps à fournir en nouveautés. Mais depuis début mars "nous sommes de nouveau approvisionnés", assure Mme Rey. Des évènements sont aussi programmés pour ouvrir le lieu: expos, signatures, et concerts, par exemple dans le ravissant petit jardin attenant. "Le Bleuet" semble aujourd'hui sauvé.

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