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Le Franco-Congolais Alain Mabanckou donne sa leçon inaugurale au Collège de France

Le romancier franco-congolais Alain Mabanckou, prix Renaudot 2006 pour "Mémoires de porc-épic", a donné jeudi sa leçon inaugurale à la chaire de création artistique au Collège de France. C'est la première fois qu'un romancier occupe cette chaire créée en 2005.
Article rédigé par franceinfo - franceinfo Culture (avec AFP)
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Alain Mabanckou au Collège de France, 17 mars 2016 
 (JACQUES DEMARTHON / AFP)

"En m'accueillant ici, vous poursuivez votre détermination à combattre l'obscurantisme et à convoquer la diversité de la connaissance", a affirmé l'écrivain pour sa leçon inaugurale de la chaire de "création artistique". Pendant une heure, le romancier de 50 ans a déroulé une leçon inaugurale sur "les lettres noires" faisant alterner humour et sérieux avec toujours comme un fil rouge un profond humanisme. Expliquant qu'en 1530, au moment de la fondation du Collège, les Africains "n'existaient pas en tant qu'être humain", il a expliqué qu'alors "en Sénégambie, un cheval valait de six à huit esclaves noirs". "C'est ce qui explique mon appréhension de pratiquer l'équitation", a-t-il ajouté  malicieusement. 

"Tout cela est, certes, de l'histoire, tout cela est certes du passé, me diraient certains. Or, ce passé ne passe toujours pas, il habite notre inconscient, il gouverne parfois bien malgré nous nos jugements et vit encore en nous tous car il écrit nos destins dans le présent", a-t-il dit.

La ministre de la Culture, Audrey Azoulay, la ministre des Outre-mer George Pau-Langevin ont assisté à la cérémonie aux côtés de personnalités  du monde des lettres dont l'académicien d'origine haïtienne Dany Laferrière, ami de longue date du romancier. "Ce qui est historique, c'est la rencontre d'un savoir faire africain avec une réflexion, une intelligence française", a expliqué l'académicien. "Cette rencontre était attendue. Elle a eu lieu aujourd'hui et nous en sommes absolument ravis".

L'ambassadeur du Congo à Paris, Henri Lopes était présent mais après sa leçon, Alain Mabanckou a tenu à préciser qu'il avait invité M. Lopes "en tant qu'écrivain". "Quand j'invite Henri Lopes, mon grand frère, je n'invite pas l'ambassadeur", a insisté le romancier. "Je ne peux pas considérer que Henri Lopes est venu représenter le Congo. J'ai constaté la débâcle des instances congolaises qui estiment que les élections qui se passent là-bas sont plus importantes que l'entrée de la littérature africaine au Collège de France". "Je suis plus que jamais fâché avec le ministre de la Culture congolais qui, je le répète, est le ministre de l'Inculture", a-t-il lancé.

Le salut dans l'écriture

Pour sa première leçon (les autres cours commenceront chaque mardi à partir du 29 mars), Alain Mabanckou est revenu sur l'histoire de la littérature coloniale française. "La littérature d'Afrique noire et la littérature coloniale française sont à la fois inséparables et antagoniques", a-t-il estimé convoquant notamment l'Ecossais Mungo Park, René Caillé, Jules Verne mais aussi Joseph Conrad ou Louis-Ferdinand Céline qui donne sa vision du Cameroun dans "Voyage au bout de la nuit". L'écrivain a aussi salué la lucidité, avant tous les autres, d'André Gide et d'Albert Londres. L'auteur de "Petit piment" n'a pas manqué de citer René Marran, écrivain d'origine guyanaise qui, en 1921, fut le premier écrivain Noir à recevoir le  Goncourt.

Il a dressé un tableau de la littérature africaine depuis les indépendances jusqu'à aujourd'hui en saluant particulièrement les femmes africaines écrivains comme Mariama Bâ et Aminata Sow Fall. "J'appartiens à une génération qui s'interroge, celle qui, héritière bien malgré elle de la fracture coloniale, porte les stigmates d'une opposition frontale de cultures dont les bris de glace émaillent les espaces entre les mots, parce que ce passé continue de bouillonner, ravivé inopportunément par  quelques politiques qui affirment, un jour, que l'homme africain n'est pas assez entré dans l'histoire et, un autre jour, que la France est un pays judéo-chrétien et de race blanche", a-t-il souligné. "Nous autres Africains n'avions pas rêvé d'être colonisés, nous n'avions jamais rêvé d'être des étrangers dans un pays et dans une culture que nous connaissons sur le bout des doigts". "Notre salut réside dans l'écriture, loin d'une factice fraternité définie  par la couleur de peau ou la température de nos pays d'origine", a-t-il conclu.

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