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"La vie sans visage", Armand Rouleau regarde en face les Gueules Cassées

Le photographe Armand Rouleau publie aux éditions Historic'one "Gueules Cassées - La vie sans visage". Des hommes et une femme dont la face a été mutilée à la guerre ou lors d'accidents. A côté des photos dérangeantes dans leur humanité, des citations de ces survivants illustrent la difficulté de faire le deuil de cette part déterminante de l'identité : le visage. Bouleversant.
Article rédigé par franceinfo
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Henri Fentener, Motard de la gendarmerie accidenté en service en 1998
 (Armand Rouleau)

"Ce qui a été dur pour moi c'est le regard des autres. J'ai senti que les gens se poussaient de devant moi. Alors au départ, je pensais que c'était par gentillesse, mais j'ai compris que c'était par peur. Parce qu'ils ne savaient pas si j'avais une maladie, si j'étais brûlé, si j'étais difforme. Ce n'était pas de la gentillesse."

Ces mots sont ceux de Jacques Fuksa. Il a été blessé au visage en 1945, alors qu'il venait de rejoindre le Corps Expéditionnaire Français en Indochine. Les photos d'Armand Rouleau qui le représentent montrent son visage. Ou plutôt celui qu'il a hérité de cette guerre et qu'il a été contrait de faire sien. Jacques est devenu l'une de ces Gueules Cassées, comme les mutilés de la face de 14-18 s'étaient eux-mêmes surnommés. Une confrérie de l'horreur et du désespoir. Mais aussi de la volonté et de la survie.

Jacques Fuksa, blessé en Indochine. 
 (Armand Rouleau)

Une souffrance physique, une souffrance psychologique

Le livre d'Armand Rouleau ne laisse pas indemne. L'expression, souvent galvaudée, trouve ici tout son sens. Parce que ces visages mutilés, déformés, reconstruits ont conservé intact ce qui nous unit à eux : notre commune humanité. Le trouble vient aussi sans doute de là. Cette face porteuse d'une souffrance physique mais aussi psychologique, ce pourrait être la nôtre. Et qui sait, ce sera peut-être la nôtre, la vie ne prévenant jamais.

Les Gueules Cassées de 14-18

Les premières gueules cassées, celles des poilus et des officiers de la Grande Guerre si bien décrits par Marc Dugain dans son roman "La chambre des officiers", porté au cinéma sous le même titre par François Dupeyron, celles-là ont toutes disparu, emportant avec elles des milliers de tragédies, toujours la même histoire, mais à chaque fois différente.

Remodeler un visage

Ces victimes de la première guerre industrielle ont laissé derrière elles des milliers de portraits montrant que la chirurgie ne pouvait alors pas grand chose pour remodeler un visage à partir d'un trou béant. Les victimes des conflits les plus récents, ou les policiers victimes de tirs dans la figure, par exemple, ont pu bénéficier des progrès de la chirurgie plastique et des nouveaux matériaux servant à la reconstruction. Si les dégâts sont aujourd'hui mieux réparés, il ne faut pourtant pas croire que la perte de la première image que l'on a de soi-même est moins difficile à vivre.

Attention certaines images peuvent impressionner un jeune public.

Identité

Un visage, ce livre nous le confirme, incarne le principal support de l'idée que l'on se fait de soi-même, de son identité. C'est lui d'ailleurs qui en atteste sur les documents officiels. Un visage c'est aussi souvent le lien avec son père, sa mère, ses frères et soeurs et ses enfants. Le perdre soudain ou devoir porter une caricature de ce que l'on fut reste toujours une douleur intime des plus brûlantes. Le regard qu'Armand Rouleau porte sur ces hommes et cette femme n'est jamais condescendant ni empreint de pitié. Il a su dépasser le malaise qui nous saisit tous et porter sur eux le regard apaisé d'un être humain sur un autre être humain. Parce que oui, derrière ces visages recomposés, ces yeux divergents, ces peaux fondues, ces mâchoires reconstruites, derrière ce mieux qu'a pu faire pour eux la chirurgie de toutes les époques, il reste l'enfant que chacun a été et à qui l'adulte qu'il est devenu malgré tout ne ressemble parfois plus.

Humanité

La leçon d'humanité tranquille que nous donne le livre d'Armand Rouleau se complète de plusieurs témoignages très utiles et qui permettent de mettre en perspective les mots confiés par les "gueules cassées" interviewées. Une psychiatre des armées, un général lui-même blessé à la face, un historique des progrès de la chirurgie réparatrice, l'interprétation d'un artiste plasticien apportent autant d'éclairages différents. 

La devise des Gueules Cassées tient en trois mots : "Sourire quand même".

La couverture du livre d'Armand Rouleau
 (Editions Historic'One)


Gueules Cassées - La vie sans visage d'Armand Rouleau
Historic'one Editions
120 pages - 20,00 euros

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