L'écrivaine guadeloupéenne Maryse Condé, autrice de "Moi, Tituba sorcière...", est morte à l'âge de 90 ans

L'autrice a publié une trentaine de romans portant notamment sur l'esclavage et l'Afrique, ainsi que des pièces de théâtre et des essais. Maryse Condé est une écrivaine majeure de la francophonie.
Article rédigé par franceinfo
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L'écrivaine Maryse Condé, à Paris, le 30 décembre 2020. (ULF ANDERSEN / AFP)

Son nom était régulièrement cité parmi les prétendants au prix Nobel de littérature. L'écrivaine guadeloupéenne Maryse Condé est morte à l'âge de 90 ans, dans la nuit du lundi 1er au mardi 2 avril, a annoncé sa fille à La 1ère. Née le 11 février 1934 à Pointe-à-Pitre (Guadeloupe), elle a publié une trentaine de romans portant entre autres sur l'esclavage et l'Afrique, ainsi que des pièces de théâtre et des essais. Elle était notamment connue pour son livre Moi, Tituba sorcière..., publié en 1986 et préfacé par la militante américaine Angela Davis dans sa version anglaise.

Maryse Condé avait remporté en 2018 le "nouveau prix de littérature", éphémère substitut du prix Nobel créé lors de la crise #MeToo au sein du comité suédois. "Dans ses œuvres, avec un langage précis", Maryse Condé "décrit les ravages du colonialisme et le chaos du post-colonialisme", avait salué le jury de la "Nouvelle académie" spécialement constituée après le report du Nobel 2018.

Elle s'était fait connaître du grand public en 1984 avec sa saga africaine en deux volumes, Ségou, qui décrivait le déclin de l'empire bambara, au Mali, de la période esclavagiste jusqu'à l'arrivée des troupes coloniales françaises à la fin du XIXe siècle. Le continent africain a occupé une place majeure dans son œuvre, à l'image de sa vie. La découverte du racisme, quand elle s'installe à Paris à l'adolescence pour poursuivre ses études, sera le déclic pour aller à la découverte de ses origines.

Son désenchantement africain

"L’Afrique, quand je l’avais découverte en hypokhâgne, écrit Maryse Condé dans sa deuxième autobiographie, La Vie sans fards (Lattès, 2012), n’était rien de plus qu’un objet littéraire (…) Cependant, au fur et à mesure, les réalités africaines avaient occupé dans ma vie une place de plus en plus grande. Je ne voulais plus songer aux Antilles qui évoquaient des souvenirs trop douloureux."

En 1959, l'auteure française s’expatrie sur le continent. Une expérience qui va rimer avec désenchantement. Maryse Condé vit, entre autres, en Côte d'Ivoire où elle enseigne, au Mali, au Ghana ou encore en Guinée, le pays de son premier mari et père de ses trois filles, l'acteur Mamadou Condé dont elle conservera le patronyme. C'est toujours dans La Vie sans fards qu'elle témoignera de sa douloureuse parenthèse africaine. Elle confie ses difficultés à élever ses enfants – elle avait eu un fils avant de rencontrer son mari – en Afrique alors que sa progéniture grandissait.

Cependant, sur ce continent qu'elle quitte en 1970, elle rencontre son deuxième époux qui sera aussi le dernier homme de sa vie, le Britannique Richard Philcox, qui a "changé [sa] vie" lorsqu'il l'a tutoyée, en 1969, dans la salle des professeurs du lycée Gaston-Berger de Kaolack, au Sénégal. Le Britannique est également son traducteur, son compagnon de vie dans tous les sens du terme, notamment quand une maladie dégénérative commence à affecter le système nerveux de Maryse Condé.

Pour l'indépendance de son île

Après l'Afrique, Maryse Condé revient sur une terre natale, qu'elle avait espérée indépendante puisque ce département français était une colonie au moment de sa naissance. "Je mourrai guadeloupéenne, une Guadeloupéenne indépendantiste", disait-elle, rapporte La 1ère. Cette femme libre n'a jamais caché sa proximité avec les milieux indépendantistes et son engagement politique, ce qui n'a pas toujours fait l'unanimité.

Sa Guadeloupe natale ne l’a d'ailleurs pas toujours reconnue à sa juste valeur. Un tort, qui a été réparé depuis. "Je suis heureuse, simplement, bêtement, naïvement. Heureuse et aussi fière pour le pays. C'est d'abord la Guadeloupe. C'est pour elle que j'ai travaillé, pour elle que je suis récompensée", déclarait-elle en 2018 après avoir reçu le Nobel alternatif qu'elle a dédié à son île. Le 26 mars 2024, la ville de Pointe-à-Pitre a d’ailleurs fait installer une plaque sur la façade de la maison de son enfance.

Au début des années 1970, la journaliste culturelle à RFI et à la BBC fait un bref passage en Guadeloupe avant de s'envoler pour les États-Unis où elle enseignera dans plusieurs universités, notamment à Columbia. Elle y lance le Centre des études françaises et francophones. Maryse Condé prend sa retraite universitaire en 2002.

Deux décennies plus tard, elle annoncera sa retraite littéraire. En 2022, elle confiait à Outre-mer La 1ère à l'occasion de la sortie de L'Évangile du nouveau monde, transposition de la vie de Jésus aux Antilles, était son "dernier livre", reflet de l'importance de la religion dans sa vie. "Je n’écrirais plus. C’est trop dur et trop compliqué. Je voulais résumer un peu mes luttes et mes échecs et mettre les deux en parallèle (...) C’est un testament moqueur. J’ai voulu faire rire, amuser, choquer. Et provoquer autant qu’être grave, sérieuse et profonde. Les deux désirs se combattent en moi."

Elle comptait se reposer, à Gordes, un petit village du Vaucluse (sud de la France) où elle s'est installée avec son compagnon depuis quelques années. "La fin de vie, c’est pour le repos et pour la détente, et je suis arrivée à ce stade", affirmait-elle. "Quand je porte un regard sur moi, je suis un peu satisfaite avec ce que j’ai essayé de faire. J’aurais pu mieux faire. J’ai fait de mon mieux avec ma force, ma vigueur. En revanche, comme le dit Gabriel García Márquez, il y a une notion que vous avez oubliée : j’aime qu’on m’aime à travers mes livres."

Maryse Condé a présidé le comité pour la mémoire de l’esclavage créé en 2004. En 2019, la romancière a reçu la Grand-Croix de l'ordre national du Mérite des mains du président Emmanuel Macron.

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