"L'anti discothèque idéale", les pépites rock pop de Christophe Conte
Mise en garde ! Si vous êtes fier de votre culture musicale des années 60 à aujourd'hui, ce livre va vous donner une leçon de modestie. Christophe Conte, 48 ans, journaliste aux Inrockuptibles, France Inter, France Culture et France 4, auteur de biographies (Nino Ferrer, David Bowie) met les pendules à l'heure. Et pas à n'importe quelle heure : à la sienne. Il revendique une totale subjectivité dans le choix de la centaine d'albums chroniqués dans ce livre.
L'avoir en mains provoque une réelle jubilation chez l'amateur de rock pop qui se dit qu'il va peut-être faire des découvertes. Au bout de quelques secondes, il peut envoyer le "peut-être" aux oubliettes et doit se rendre à l'evidence qu'il ignore la plus grande partie des albums retenus, et même des artistes qui les signent. Le livre respecte la chronologie. Il s'ouvre avec "Rewind" (1967), de Johnny Rivers et se referme avec "Sufjan Stevens" (2015) de Carrie & Lowell.
Les arrière-cours et les contre-allées
Christophe Conte a croisé tous ces albums au long de sa carrière de critique rock et de journaliste musical. Notamment aux Inrockuptibles, il écrit depuis 25 ans sur la musique. Au fur et à mesure que sa culture s'étoffait, il s'est mis à chercher obsessionnellement ce qui se cachait dans les petits coins, les "arrière-cours et les contre-allées". Et là, il a trouvé des pépites. Comme il le dit : "Certains sont des accidents industriels", accidents certes mais souvent géniaux et passés sans qu'on sache trop pourquoi à côté du succès. Plusieurs d'entre eux ont pourtant connu une gloire fugace avant de sombrer dans l'oubli et les fonds de catalogue, parfois jugés non suffisamment rentables pour justifier une réédition.
Un des frères Wilson
"Dans les listes que l'on trouve un peu partout des meilleurs disques à détenir dans la "discothèque idéale", on trouve toujours les mêmes albums des mêmes artistes, explique l'auteur, en général, ils datent de la période 65-70-80 mais il n'y a jamais rien de ces vingt dernières années. J'adore tous les grands classiques, mais la plupart d'entre eux ont eu beaucoup de disciples qu'on connait moins. On trouve dans ma liste "Pacific Ocean Blue" (1977) de Dennis Wilson. Dans la discothèque idéale, il y aurait sans doute "Pet sounds" (1966) des Beach Boys dont il fut le batteur. J'ai préféré cet album, publié peu avant sa disparition". L'album se révèle en effet touchant et beaucoup plus sombre que ce qu'on retient ordinairement de l'oeuvre des Beach Boys. Le CD complet est offert avec le livre.
Sous cellophane
"J'ai aussi une histoire avec cet album", explique Christophe Conte, "comme beaucoup, j'avais depuis longtemps abandonné le vinyle. Un jour, un ami me dit qu'il a trouvé par hasard quelques exemplaires de "Pacific Ocean Blue", des vinyles encore sous cellophane et il m'en offre un. Du coup, j'ai racheté une platine et ça a recommencé comme ça. Cet album est une oeuvre romanesque, tragique".
Soyons curieux
L'une des grandes qualités de ce livre, c'est sa curiosité, son côté "abattons l'arbre qui cache la forêt, pour découvrir quelles merveilles il nous empêche de voir". Et ces merveilles ne sont pas toutes les oeuvres d'artistes inconnus. Todd Rundgren, Al Kooper, Johnny Rivers, Sparks, The Specials, Fiona Apple, Tindersticks et même Frank Sinatra, Paul McCartney et Michel Polnareff figurent dans cette liste des merveilles du clair-obscur.
Ron et Russell
Prenons Sparks, surnommé le plus anglais des groupes américains. Christophe Conte choisit de mettre en avant "Indiscreet" (1975). Avec "Propaganda" (1974) et "Kimono my house" (1974), il compose une magnifique trilogie. Les flamboyants et kitschissimes frères Mael, Ron l'inquiétant et Russell l'expansif, ont produit deux ou trois des tubes les plus originaux des années 70 dont le très hors norme "This town ain't big enough for both of us". On a un peu vite oublié que leur oeuvre ne se limite pas à ce succès mondial. Indiscreet est le troisième de la trilogie, il paraît en 1975 et sa brillance n'étonne déjà plus. C'est dommage car l'album recèle des joyaux dont on n'a pas fini de se réjouir. La mine d'or mise au jour par Sparks, dont ces pépites sont extraites, a été redécouverte il y a quelques années et un artiste comme Mika a su en exploiter à nouveau le filon.
Un Sinatra méconnu
Et voici que l'on découvre Sinatra et McCartney, des noms de mégastars parmi tous ceux encore à découvrir ! Ce choix peut surprendre quand on ne trouve aucun album d'Elliott Murphy ou de Donald Fagen dans la liste, rappelons-le, très subjective de Christophe Conte. Sinatra certes, mais pas n'importe lequel. "Watertown (1970) m'a surpris", explique Christophe Conte, "j'ignorais que Sinatra avait fait un album aussi pop. Il a paru en 1970. Sinatra l'a enregistré avec les Four Seasons, on est très loin des arrangements jazz habituels chez lui, c'est un disque très touchant, un album concept presque western, on s'approche d'un Lee Hazlewood (ndlr: chanteur américain qui figure aussi dans ce livre et qui est surtout resté dans les mémoires pour ses duos avec Nancy Sinatra). C'est un registre très différent, un disque très obscur qui n'a pas du tout marché. J'avais le projet de le refaire avec des gens d'aujourd'hui comme Rufus Wrainwright ou Nick Cave."
Un Beatle parmi cette foule d'inconnus !
Comme un ovni au milieu de tous ces disques inconnus pour la plupart jusqu'à ce qu'on feuillette "L'anti discothèque idéale", voici "Ram" (1971), le deuxième album de la carrière solo de Paul McCartney. S'il y a une discographie que tout amateur de musique pop connait sur le bout des doigts, c'est bien celle des Beatles, ensemble ou séparément. Christophe Conte choisit ce disque cosigné par Linda, l'épouse depuis disparue du Beatle, et l'accompagne d'une longue interview particulièrement exclusive de Macca qu'il avait réalisée en 2001 pour les Inrockuptibles. Près de vingt ans après son enregistrement, celui qui n'était alors pas encore sir Paul y donnait des détails passionnants sur l'album qui comptait alors parmi ses préférés. Sa présence dans la liste permet de se remettre dans l'oreille les mélodies apaisées de l'immédiat "après-Beatles".
Et les Français ?
Eh bien, ils sont trois sur 100. Christophe Conte confie qu'il n'exclut pas d'écrire une suite à son anti discothèque, un opus qui serait entièrement consacré aux artistes francophones. Ici, il ne retient que Christophe pour "Samourai" (1976), Michel Polnareff pour "Polnareff's" (1971) et Dashiell Hedayat pour "Obsolete" (1971). Contrairement aux apparences, Dashiell Hedayat est bien français puisqu'il est connu en littérature sous son autre pseudonyme de Jack-Alain Léger.
"Samouraï" est un peu le parent pauvre de la discographie de Christophe. "C'est le moins connu de ses albums des années 70, explique Christophe Conte, Il arrive après "Les Mots bleus" et "Le beau bizarre" qui doivent beaucoup aux mots de Boris Bergman. Il a un autre charme. Quant à "Polnareff's", continue-il, c'est le premier vrai album de Michel Polnareff. Auparavant les maisons de disque se contentaient de compiler des 45 tours. Celui-ci est son premier album original".
Comment faut-il lire ce livre ?
Dans l'ordre chronologique, c'est la première possiblité puisque les albums sont classés par année de publication. A l'inspiration, c'est la seconde et c'est un autre plaisir. Se demander quelles surprises se cachent derrière des noms aussi mystérieux que Gene Clarck, Harald Grosskopf, Colin Blunstone, The Associates, Pete Dello & Friends ou TS Bonniwell. En tout cas, il est fortement conseillé de partir à la découverte en écoutant la musique. Christophe Conte s'est assuré que, d'une manière ou d'une autre, tous ces albums soient accessibles. Alors, en streaming ou sur CD, voire pour les plus chanceux sur vinyle, allier la lecture à l'écoute sera un must et occupera quelques bonnes soirées d'hiver. Inutile d'ajouter, mais faisons-le quand même, que cette "Anti discothèque idéale" ravira tout passionné de pop rock qui le trouverait sous le sapin. Il se délectera à se laisser éblouir par ce nouveau voyage musical à travers des années qu'il croyait connaître aussi bien que sa propre discothèque.
L'anti discothèque idéale, 100 chefs d'oeuvre auxquels vous avez échappé ! de Christophe Conte
Préface de Bernard Lenoir
GM Editions, 144 pages, 24 euros99
Comprend le CD Pacific Ocean Blue de Dennis Wilson
Commentaires
Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.