Rencontres à Montreuil : Annabelle Buxton et Claudine Desmarteau, deux auteures, deux visions de l'enfance
Les organisateurs du Salon du livre et de la presse jeunesse de Montreuil ont décidé de faire réfléchir les visiteurs sur la représentation des enfants dans la littérature jeunesse. Comment dessiner les enfants ? Quelle image les auteurs renvoient-ils de l'enfance ? Rencontre au salon avec deux auteures qui ont une vision très personnelle des enfants et de l'enfance.
Claudine Desmarteau a commencé par travailler comme directrice artistique dans des agences de publicité. En même temps, elle dessinait pour la presse. En 1999, elle a publié "Petit Guerrier" (Seuil), son premier album pour la jeunesse. Dix ans plus tard, elle lâche la pub pour se consacrer à l'écriture. Elle est l'auteure d'une vingtaine d'albums illustrés comme "Dictionnaire. Le petit Rebelle" (Seuil Jeunesse 2001), "Je veux un clone" (Seuil Jeunesse 2002), la série Salpote (Thierry Magnier 2007-2008), et plus récemment "Transforme-toi" (Flammarion jeunesse, 2016). Claudine Demarteau a aussi écrit des romans, et notamment "Le Petit Gus" (Albin Michel), "Troubles" (Albin Michel Jeunesse, 2012), "Jan" (Thierry Magnier, 2016). "T'arracher" (août 2017) est son dernier roman.
Comment représente-t-elle les enfants dans ses livres ?
Claudine Desmarteau : J’aime mettre en scène des enfants qui ne sont pas soumis, qui sont capables d'avoir une pensée propre et un regard critique sur leurs parents, sur le monde qui les entoure. Le petit Gus donne son avis sur tout, il critique plus volontiers son entourage que lui-même… Il y a chez lui une bonne dose de mauvaise foi et d’égocentrisme.
Dans ma représentation de l’enfant ou de l’ado, j'essaie de préserver une certaine fraîcheur et de la naïveté. Les enfants sont aussi capables de faire preuve de cruauté et de férocité. Le Petit Gus pose sur le monde aujourd’hui un regard à la fois naïf et féroce.
Christopher Colombo, un ado accro à sa Xbox entraîné dans de folles aventures par un saucisson magique, est sans doute mon personnage le plus naïf. C’est un peu Candide au pays de l’absurde.
Graphiquement, pour ces deux personnages, je recherche la spontanéité du trait, un dessin vivant et expressif, parfois proche du dessin de presse.
Je n’ai pas souhaité illustrer mon roman "Jan". C’est dans l’écriture que s’exprime le caractère entier, fougueux et insoumis de cette gamine de 11 ans.
Quels sont les personnages d'enfants qui l'ont inspirée ?
Enfant, j’ai passionnément aimé Huckleberry Finn, Fifi Brindacier et Antoine Doinel - auquel je fais référence dans "Jan". Ces trois personnages ont des points communs : les adultes qui sont censés les protéger sont absents, morts ou défaillants, et ces enfants doivent affronter des situations dangereuses, faire preuve d’intelligence, de perspicacité, d’audace et de force morale. Ils sont fragiles et naïfs, mais aussi forts et libres. Ils refusent de se soumettre à l’autorité arbitraire et aux ordres des adultes : Huckleberry Finn s’évade avec un esclave noir, Antoine Doinel fait une fugue et Fifi Brindacier refuse d’aller à l’école.
Est-ce qu’aujourd’hui le CSA autoriserait la diffusion de certains de ces épisodes que j’ai adorés quand j’étais enfant ? Est-ce que les enfants, comme moi, qui ont lu ou vu (la série télé) Fifi Brindacier ont ensuite refusé d’aller à l’école ? Certainement pas.
Heureusement, dans les livres, on a encore cette liberté, on a encore le droit d’être subversif… Tant mieux, pourvu que ça dure !
Annabelle Buxton est l’une des six artistes auteurs exposés dans l’exposition "Face à Face" du Salon Jeunesse de Montreuil. Dans l’espace qui lui est consacré, on peut découvrir des originaux de ses albums. A peine sortie des Arts décos de Strasbourg en 2012, Annabelle Buxton a publié son premier album "Le tigre blanc" (Editions Magnani). Depuis, elle a publié six livres. Le dernier "Tom et Tow" (Albin Michel Jeunesse) raconte l'histoire de deux drôles de jumeaux et leur voyage pour apprendre à se connaître et à s'aimer malgré leurs différences.
Comment représente-t-elle les enfants dans ses livres ?
Annabelle Buxton : la première chose que je cherche à représenter, est la manière qu’ont les enfants de ne pas être complètement construits, d’être des figures en devenir. Ils ont donc ce côté disloqué, malléable, un peu comme de la pâte à modeler. Cette caractéristique des enfants influence leur positionnement dans l’environnement.
Pour vous donner un exemple, j’aime beaucoup la manière dont le peintre Balthus représente l’inadaptation et même une certaine résistance des enfants à leur environnement. Les figures enfantines ou adolescentes sont représentées assises de travers, un genou posé sur la chaise.
Dans mes illustrations, l’environnement joue un rôle très important. C’est comme une carte routière de ce qui se passe à l’intérieur de la tête de l’enfant, une métaphore de ses émotions, une poésie de sa compréhension du monde avec ses acquis à lui, différente de la logique des adultes.
Dans "Le tigre blanc" et "Tom & Tow", la maison initiale dans laquelle mes personnages grandissent est une représentation symbolique du monde de l’adulte où tout est à sa place y compris l’enfant, l’éducation, le rythme, les codes. Dans mes histoires, l’enfant doit sortir de cette maison pour vivre des aventures afin de s’approprier le monde. Dans mes histoires, les enfants ont besoin de se heurter à une aventure pour expérimenter leurs limites et trouver leurs vraies envies.
Lors de la construction de mon récit, tous les éléments sont bons pour aller à la découverte de cette liberté qui nourrit l’enfant. Les animaux peuvent parler, les échelles sont réévaluées pour indiquer visuellement l’importance des choses.
Lorsque je dessine des enfants, je les imagine autonomes, évoluant dans des mondes où les adultes sont généralement absents ou anecdotiques. Je n’ai pas forcément envie qu’ils soient beaux et consensuels. Je veux qu’ils soient drôles et expressifs, curieux et effrontés, loin d’une conduite irréprochable et obéissante. Et ce sont souvent par des petits détails dans l’image que j’accentue cette volonté de transgresser les règles. Comme les cheveux des jumeaux, bien coiffés au début de l'histoire et en pétard quand ils vivent leur aventure, cheveux au vent.
Il en va de même dans ma technique de travail. Je dessine sur le verso d’un transparent, très précisément, avec des contours, une construction bien cadrée, et ensuite j’applique la peinture sur l’envers, je gratte, j’ajoute des couches, j’en enlève. Et c’est là qu’émergent la matière, la vivacité, la spontanéité. Un peu comme l’intériorité des enfants.
Quels sont les personnages d'enfants qui l'ont inspirée ?
Quand j’étais enfant il n’y avait pas beaucoup de livres à la maison. Dans mon village, il y avait des boulangeries et beaucoup de coiffeurs, et par chance, il y avait aussi une librairie. C’est dans cette librairie que j’ai découvert les romans de Roald Dahl. J’étais folle de ses histoires et j’adorais particulièrement "James et la grosse pêche". J’en ai d’ailleurs fait une illustration l’année dernière dans le cadre d’une exposition collective "Ce fameux livre" où il était question des livres qui nous ont marqués petits.
Je crois que j’aimais ces personnages parce qu'ils étaient des enfants débrouillards, sans parents, qui n’avaient pas froid aux yeux. Des enfants qui rencontraient des situations difficiles et inquiétantes, mais qui restaient curieux et courageux. Alors moi aussi dans mes livres je veux rassurer les enfants, et leur montrer que même s’ils ont des craintes, ils sont si fantastiques que tout ira pour le mieux. Mes histoires finissent toujours bien !
- Exposition "Face à Face", jusqu'au dimanche 3 décembre au Salon Jeunesse de Montreuil.
- Le programme au Salon du livre et de la presse Jeunesse de Montreuil de Claudine Desmarteau et d'Annabelle Buxton
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