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"Je reste optimiste" : Régine Hatchondo, présidente du CNL, après la publication du baromètre "Les Français et la lecture"

Le baromètre "Les Français et la lecture" dévoilé aujourd'hui révèle, un an après le début de la crise sanitaire, un fléchissement de la pratique de la lecture en 2020. Régine Hatchondo, nouvelle présidente du Centre national du livre (CNL), reste optimiste sur l'avenir du livre, mais estime qu'il faut "faire extrêmement attention à tout ce qui est fragilisé par la crise."

Article rédigé par Laurence Houot
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 13min
Régine Hotchondo, présidente du CNL (Centre national du livre) (Jean-François Robert / Moddss)

A l'occasion de la publication du  baromètre CNL / IPSOS "Les Français et la lecture", et un an après le début de la crise sanitaire, Régine Hatchondo, la nouvelle présidente du CNL (Centre national du livre), dresse pour franceinfo Culture un état des lieux du secteur des livres et détaille les aides engagées et à venir.

>> On a moins lu en 2020, révèle le baromètre "Les Français et la lecture"

Franceinfo Culture : l'étude montre que les Français ont moins lu en 2020, comment expliquez-vous cela ?

Régine Hatchondo : l'étude montre en effet que les Français ont moins lu en 2020, mais aussi qu'ils restent très attachés à la lecture, une pratique à laquelle ils associent des valeurs très positives, comme le plaisir, l'épanouissement. Ils nous disent que le livre est un bien précieux pour s'enrichir, mieux comprendre le monde, ou pour les jeunes, un moyen d'évasion. Les Français ont également continué à offrir des livres, et quand on offre un cadeau, a priori on a envie que le cadeau soit précieux, cela prouve que le livre a une valeur importante à leurs yeux. On reste une nation de lecteurs puisque plus de 80% des Français déclarent avoir lu au moins un livre dans l'année. Mais on a un déclin chez les 15-25 ans, et une moins grande intensité de lecture chez les grands lecteurs (ceux qui lisent au moins 20 livres par an). C'était déjà apparent dans les études précédentes, mais la crise l'a un peu conforté.

Pourquoi ont-ils moins lu en 2020 ?

Cela peut s'expliquer par les conséquences de la crise sanitaire, comme la fermeture temporaire des librairies et des bibliothèques, la diminution des déplacements, sachant que c'est habituellement un moment privilégié pour la lecture. On peut aussi expliquer cette baisse par le télétravail, qui a occasionné une certaine porosité entre la lecture liée au travail ou aux études, et la lecture pour le plaisir. Les gens ont plus lu pour le travail à la maison, et ont donc moins eu envie le soir de s'endormir avec un livre. Cela a créé une certaine lassitude qui n’a pas joué en faveur de la lecture "loisir". C'est un élément que révèle l'étude et auquel on n'avait pas forcément pensé, mais qui est assez fort dans le phénomène de lassitude que l'on a vu émerger.

L'étude montre aussi que les Français ont privilégié pendant cette période les livres d'actualité, de reportage, au détriment des romans, comment expliquez-vous cela ?

Cette année en effet on peut noter une croissance sur les livres de reportage et d'actualité, contrairement à l'évolution naturelle du roman, même s'il reste au top. Je pense qu'en période de crise, ce qui a dû apparaître fortement, c'est le besoin de comprendre le monde, c'est d'ailleurs clairement exprimé dans l'étude. Je pense qu'il y a un besoin de comprendre ce qui se passe là, ce que l'on vit, à court terme, en étant dans cette situation très particulière. Et probablement, cela ouvre aussi des perspectives sur le désir de comprendre le monde à plus long terme, sur un plus grand désir de recherche de sens. Et c'est la première fois que cela apparaît dans nos études. Est-ce que cela va durer ? Je serais incapable de vous le dire. Est-ce qu'une fois que la vie va reprendre ses droits, on aura besoin au contraire pour s'évader de son quotidien, de lire des romans, besoin de l'imaginaire, et de se glisser dans l'imaginaire d'un autre, ça je ne sais pas.

Comment le secteur du livre a-t-il résisté à cette crise sanitaire ?

Le secteur du livre a plutôt bien résisté à la crise puisque qu'il n'a enregistré une baisse du chiffre d'affaires que de 3%. Mais ces 3% cachent de fortes disparités, car la prescription du libraire ayant un temps disparu, les achats se sont concentrés sur les livres facilement identifiables, les grands classiques, les prix littéraires et ou les auteurs très connus, au détriment des livres "découvertes", des premiers romans, les livres édités par les maisons indépendantes, plus petites. Ces livres qui nécessitent d'avoir un peu plus de temps, pour découvrir la quatrième de couverture, ou pour être conseillés par son libraire. Tous ces livres-là ont été écrasés par la crise sanitaire.

Quelles sont les principales conséquences de cette crise à attendre dans l'avenir?

Les risques sont que la surproduction soit encore plus importante qu'elle ne l'est habituellement. Il est évident qu'il va y avoir des effets "entonnoir", puisque certains éditeurs ont fait le choix de reporter la publication des livres pour qu'ils sortent dans de meilleures conditions. Cela crée forcément un effet d'entonnoir, mais qui a toujours existé. Cela va juste accentuer le phénomène. Mais je pense qu'en dehors d'une régulation naturelle des éditeurs, je ne vois pas comment on pourrait créer un système malthusien, et je pense qu'il faut d'ailleurs s'interroger sur le bien-fondé de cette idée, une création littéraire est par essence un prototype, et sauf pour les grands noms, on peut difficilement savoir à l'avance ce qui va advenir d'un livre.    

Comment le CNL a-t-il aidé le secteur pendant la crise, et comment envisagez-vous les soutiens dans l'avenir ?  

Nous allons renforcer les aides pour la librairie. Les marges des libraires sont parmi les plus petites des commerces de détail en France. Donc dès qu'il y a une crise, la fragilité se révèle très rapidement et a un impact immédiat sur les résultats, sur la trésorerie. Le budget global du plan de relance pour les librairies s'est élevé à 15 millions d'euros, et nous allons renforcer ce plan avec une aide à la modernisation des librairies, d'un montant de 6 millions d'euros, avec un volet sur la modernisation physique des librairies (mobilier, aménagement, climatisation, extension des rayonnages, etc), et un autre volet sur la vente en ligne. On se rend compte dans l'étude que les Français sont très attachés à leurs librairies. Ils se disent accompagnés dans leurs choix de lecture par les libraires, une prescription essentielle dans la forêt de livres générée par la surproduction. Mais ils disent aussi qu'un des freins de l'achat en librairie est le temps de livraison par exemple. Pourquoi les lecteurs choisissent Amazon ? Parce qu'ils savent que le livre sera dans leur boîte aux lettres le lendemain de leur commande. Le CNL souhaite accompagner les libraires à améliorer leurs ventes en ligne.

Et les aides pour les auteurs ?

Pour les auteurs, nous nous sommes glissés dans le plan d'urgence du gouvernement, qui s'est élevé à 2,26 millions d'euros, à hauteur de 1 million par le CNL et nous allons augmenter les bourses d'auteurs de 500 000 euros supplémentaires (4 millions en 2020), et de 168.000 euros pour les résidences d'auteurs. Sachant qu'il y aura très certainement des effets de "traîne", qui vont affecter les auteurs à plus long terme, nous avons donc réuni les représentants des auteurs la semaine dernière pour qu'ils nous fassent des propositions sur les aides attendues. Ces aides viendront s'ajouter au fond de solidarité nationale. Nous souhaitions avoir tout le monde autour de la table car c'est une profession très hétéroclite, avec des métiers très différents, comme les illustrateurs pour la jeunesse, les auteurs de BD, ou de romans graphiques… On prendra en compte dans le calcul les trois dernières années d'activité, l'objectif étant que personne ne passe à travers les aides. 

Et les éditeurs ?

On réfléchit aussi à une aide spécifique aux maisons d'édition indépendantes, aux plus petites maisons, qui comme souvent en période de crise vont concentrer un effet au long court post-covid. Notre aide sera particulièrement adressée aux oeuvres singulières, aux écritures singulières, tout ce qui est édition de la poésie, édition du théâtre, ou des premiers romans, ou des romans de littérature étrangère d'auteurs peu connus. Une attention particulière donc à tout ce qui fait le terreau de la diversité de la littérature en France, qui est particulièrement riche puisqu'il y a plus de 80 000 sorties par an. On veut réussir à s'inscrire intelligemment dans les "failles" que crée la crise. Nous souhaitons ainsi limiter les effets de trop grande concentration, qui peuvent à terme faire disparaître l'indépendance et l'édition plus singulière, et la prise de risque. Ces mesures seront distribuées sous forme d'aides financières, que nous souhaitons mettre en œuvre au plus vite. Nous allons créer une commission, déterminer des critères pour s'assurer qu'il n'y aura pas de "trou dans la raquette" des aides.

Quel sera le montant de ces aides ?

Aujourd'hui notre urgence est beaucoup plus de trouver les bons critères, les bonnes aides pour maintenir cette diversité du tissu de la filière du livre dans son ensemble, que de fixer des enveloppes, parce qu'elles sont fermées. Dans le cadre du plan de relance, la demande de la tutelle est d'éviter qu'il y ait des acteurs qui passent à travers les aides et de faire en sorte que ce soit satisfaisant pour maintenir l'originalité de l'écriture, la prise de risque de l'éditeur.  

Est-ce que vous restez optimiste sur l'avenir du livre ?

Je reste optimiste, je crois qu'il faut faire extrêmement attention à tout ce qui est fragilisé. Je pense qu'il y a une telle fascination sur l'intimité, le sentiment de liberté que donne la lecture, que je ne me sens pas du tout pessimiste. Je pense en revanche qu'il faut qu'on soit plus innovant dans notre manière de développer le désir pour un livre et dans l'évocation du plaisir que cela peut donner. Il faut une politique "agressive", c'est peut-être pas le mot mais en tous les cas quand même, une politique extrêmement dense, une réflexion réfléchie sur les 15-25 ans. Nous devons trouver des moyens de les inciter à lire en développant des contenus innovants, notamment sur internet qui est l'endroit où ils sont aujourd'hui. YouTube est la première chaîne regardée par cette tranche d'âge. Nous allons mettre en place pour ce lectorat des jeunes une stratégie prioritaire. Il faut les aider à rompre avec l'idée que quand on lit un livre on s'ennuie, rompre avec l'idée que quand on lit un livre on est forcément solitaire. On aimerait développer la lecture à voix haute, mêler la lecture à voix haute avec d'autres arts, la chorégraphie, la musique.

Comment inciter cette classe d'âge à lire ?

Nous allons réfléchir au CNL à la prescription, à la recommandation sur les réseaux sociaux. Nous allons lancer une grande campagne de communication digitale sur la découverte, en créant des capsules vidéo, avec des interviews d'auteurs qui parlent de leurs livres, ou des conseils de lecture par des personnalités, et également des podcasts. On aimerait créer des clubs de lecture à la fois physiques et sur internet, avec des recommandations, avec des générations qui se retrouvent ensemble, et aussi du "transgénérationnel", pour avoir le conseil de nos aînés. L'idée est de donner envie de lire des livres qui ne sont pas parfaitement identifiés par les lecteurs, et notamment en mettant en avant les livres soutenus par le CNL. Nous allons aussi cette année faire un effort particulier en direction des ados lors l'opération Partir en livre.  

Pour finir, un petit conseil de lecture ?

Je conseillerais un livre passionnant, que j'ai lu récemment Petite histoire de la librairie de Patricia Sorel (Editions La fabrique, janvier 2021). A travers l'histoire de la librairie, c'est toute l'histoire de France qui nous est racontée. On se rend compte aussi de la puissance et du pouvoir du livre à travers le temps, et de la peur de ce que peuvent dire les livres, depuis toujours, qui montre à quel point le livre a toujours été et continue à être un outil d'émancipation.      

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