Jacques Vergès, ses souvenirs et ses fantômes
Qu’on l’aime ou pas, il faut reconnaître que Jacques Vergès est une mémoire vivante de l’histoire contemporaine. Au cours de ses multiples pérégrinations, Il a croisé de Gaulle, Ben Bella, Mandela, Mao, Pol Pot, Che Guevara, Malcolm X… Il fut également conseiller du roi Mohamed V du Maroc, et ministre plénipotentiaire en Algérie, chargé du département Afrique au ministère des Affaires étrangères de ce pays, entre autres.
L’homme à l’éternel cigare aux lèvres restera également célèbre pour avoir été l’avocat de Klaus Barbie, l’ancien responsable de la Gestapo de Lyon, dont il dit qu’il accepta de le défendre « curieux d’explorer l’abîme du cœur humain », et du terroriste Carlos.
Dans son nouveau livre, « De mon propre aveu » (éditions Pierre-Guillaume de Roux) Jacques Vergès poursuit le déroulement du fil de sa vie, entreprise déjà entamée dans d’autres ouvrages. Dans un style direct, parfois cabotin et un brin prétentieux comme il peut l’être, l’avocat revient sur des événements qui l’ont marqué, des luttes historiques, ses multiples voyages, ses amitiés, son amour de Paris…
Il évoque aussi son métier, la magie du pénal, l’alchimie judiciaire qu’est le procès, qui « peut se muer en ouvre d’art ». Il y a le fourmillement du palais de Justice, les avocats et leurs nombreux registres, ces parloirs où se mènent des conversations « d’homme à homme », et les confessions du soir des clients et des confrères à l’abri des lumières tamisées des cabinets.
La clé d'un itinéraire
Et puis il y a son enfance, sans doute la clé de son itinéraire. « Enfant eurasien, je me suis senti très tôt différent, placé dans l’obligation de me construire d’une manière singulière et autonome, sans référence au modèle dominant que me renvoyaient les autres. (…) La nature double du métissage crée souvent chez le métis un complexe d’infériorité par rapport à son autre moitié. De double, il devient trouble. Il arrive même parfois qu’il soit prêt à toutes les bassesses pour oublier ce qu’il est. Chez moi, ce complexe m’a au contraire conforté dans le sentiment de ma différence. Il s’est toujours agi pour moi de me bâtir d’une manière solitaire ; d’affirmer mon humanité sans avoir à occulter mon égotisme ; de mépriser conseils et critiques qui auraient cherché à faire de moi un homme du troupeau. Très jeune, j’ai voulu faire en sorte que ma vie soit mon autoportrait. Libre aux uns et aux autres de l’aimer ou de la détester. C’est leur affaire, pas la mienne. I am what I am. ».
Tout est dit. Seules persistent les zones d’ombre entourant ses années d’absence, de 1970 à 1978, sorte de trou noir sans doute savamment orchestré dans une biographie riche et aventureuse. Le mystère demeure. Chapeau maître.
Jacques Vergès, « De mon propre aveu » (éditions Pierre-Guillaume de Roux) 297 pages – 21,90 euros.
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