Facteur Cheval, un centenaire pour un Palais Idéal
"Sur cette terre, comme l'ombre nous passons, Sortis de la poussière, nous y retournerons". Mort en 1924, Ferdinand Cheval est retourné à la poussière mais il est aussi passé à la postérité et avec lui, son temple de la nature, monument unique et hors-norme qu'il édifia patiemment et sans aucun plan durant trente-trois années.
Une vie de labeur...
Rien ne prédestinait pourtant Ferdinand Cheval à devenir une référence en matière artistique. Né à Charmes près d'Hauterives en 1836 dans une famille paysanne et assez pauvre, il ne fréquenta que très peu l'école pour travailler avec son père. Après son mariage, il devint boulanger, s'exila six ans loin de sa famille pour revenir et connaître une série de drames familiaux, dont la perte de sa première femme et de deux de ses enfants. Ferdinand devint facteur rural en 1867, arpentant les routes et les collines de son pays à raison de trente kilomètres par jour. Durant ses tournées, il prenait le temps de lire les revues qu'il distribuait et de regarder les paysages.
...et le début de l'aventure
C'est une pierre sur laquelle il trébuche un jour qui sera la source de son futur projet. Intrigué par sa forme curieuse qui évoquait un de ses rêves, il se mit à collecter de belles pierres de mollasse, sculptées par le temps et les eaux. Il eut alors l'idée de les assembler. Une fontaine -"La Source de Vie"- puis une façade virent le jour sur un petit terrain qu'il avait acheté. C'était en 1879, il avait 43 ans. Durant les trente-trois années qui suivirent, Ferdinand Cheval ne cessa jamais de construire, d'améliorer son Palais, facteur le jour, bâtisseur-sculpteur la nuit et les jours de repos. Avec ses petits revenus, il était contraint à une économie de moyens. Mais la contrainte le rendit inventif. Avec des pierres de mollasse, des coquillages, du ciment modelé et une brouette, il modela un univers grandiose, foisonnant d'animaux et de plantes, de références à la Bible, à la mythologie hindoue et égyptienne. Ses voisins le prirent pour un fou mais le public ne tarda pas à venir découvrir ce monde fabuleux créé par un autodidacte.
Et le facteur devint une référence
Un monde achevé en 1912. Mais il fallut attendre la fin des années 20 pour que l'aventure du Palais du Facteur Cheval interpelle les artistes. En 1931, André Breton le découvre lors d'un séjour dans la région. Ferdinand est mort sept ans plus tôt. Mais le surréaliste fasciné par cette architecture naïve et brute va lui dédier et un collage et un poème dans "Le Revolver à cheveux blancs". Puis ce fut au tour de Picasso de découvrir le lieu et de publier 12 dessins sur le Facteur Cheval en 1936. La même année, les photographies du Palais Idéal de Denise Bellon sont exposées au MAM à New-York. La liste est longue des artistes qui admirèrent le Palais de Facteur Cheval et s'en inspirèrent. Niki de Saint-Phalle, Tinguely et son "Cyclope", Max Ernst (qui a réalisé un tableau intitulé "Facteur Cheval" exposé à la Fondation Guggenheim à Venise), Leonor Fini, Wilfredo Lam mais il fascina aussi des écrivains tels que Gaston Bachelard et Pablo Neruda... Pourtant, cette reconnaissance des grands noms du monde culturel, Ferdinand Cheval avait ses détracteurs et notamment les fonctionnaires du Ministère de la Culture. Lorsque André Malraux voulut classer le Palais Idéal comme Monument Historique en 1969, ils écrivirent dans un rapport : "Le tout est absolument hideux. Affligeant ramassis d'insanités qui se brouillaient dans une cervelle de rustre". Cela n'empêcha pas Malraux d'aller au bout de son projet.
Inclassable à l'époque, le Palais Idéal est aujourd'hui une référence qui s'inscrit dans plusieurs mouvements, Art Brut, Art Naïf, Outsider, Land Art, Environnements visionnaires (des créations de plein air conçues par des autodidactes). Le lieu est aussi devenu un écrin pour des festivals, des soirées et des concerts. En 1997, l'Affaire Louis Trio a même écrit "Le Palais Idéal", une chanson dédiée au Facteur Cheval.
Quelle reconnaissance pour le facteur drômois qui n'a semble t-il jamais revendiqué un quelconque statut d'artiste mais le droit de sortir de sa condition au travers d'un élan créatif. En témoigne ses mots écrits en mars 1905 :
« Fils de paysan je veux vivre et mourir
pour prouver que dans ma catégorie
il y a aussi des hommes de génie
et d'énergie. Vingt-neuf ans je suis resté
facteur rural. Le travail fait ma gloire
et l'honneur mon seul bonheur ;
à présent voici mon étrange histoire.
Où le songe est devenu,
quarante ans après, une réalité. »
Palais Idéal du Facteur Cheval - 8 rue du Palais 26 390 Hauterives (Drôme) - 04 75 68 81 19 - Ouvert toute l'année sauf le 25/12, le 1/01 et du 15 au 31 janvier
Commentaires
Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.