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En Allemagne aussi, on étudie le créole à l’université

A l’occasion de la Journée Internationale de la langue et de la culture créoles, le 28 octobre, nous nous sommes rendus à Halle en… Allemagne. Comme aux Antilles, à La Réunion ou à New York, les universités allemandes étudient le créole au même titre que d’autres langues. Rencontre dans la ville de Luther et de Haendel avec Ralph Ludwig, l’un des linguistes spécialistes du créole.
Article rédigé par franceinfo - Christian Tortel
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Temps de lecture : 3 min
Ralph Ludwig enseigne le créole à l'université
 (France Ô / Culturebox)

"Kyè kontan, chimen pa long" (Quand le cœur est content, le chemin ne paraît pas long), ce proverbe créole de Guadeloupe pour signifier que "Quand on est heureux, on voit la vie en rose" convient tout à fait à l’itinéraire de Ralph Ludwig, né en Wesphalie tombé dans le créole lors de son premier voyage aux Antilles en 1986. Son but est d’étudier le créole, un thème de recherche que l’université lui a commandé.

Langues et littératures créoles

Plus de trente ans après, le linguiste pourrait illustrer ce proverbe tant il est considéré comme une référence dans le domaine de l’étude de cette langue, auteur de plusieurs dictionnaires et d’essais sur la langue et la littérature des Caraïbes, dont "Ecrire la parole de nuit : la nouvelle littérature antillaise" (Gallimard, Folio, 1994). Parmi ses thèmes de recherche : le passage de l’oral à l’écrit ou les continuités entre langues régionales de l’Hexagone et le créole.
Nous le rencontrons entre thèses et cours, dans les préparatifs d’un colloque de créolistes (linguistes spécialistes du créole) en Martinique du 25 au 27 octobre et à la veille de la Journée Internationale de la langue et de la culture créoles, le 28 octobre.

Reportage : Christian Tortel, Jean-Pierre Magnaudet, Barbara Bailhache, Leo Friez

Le contexte allemand serait favorable à l’étude du créole. Ville de culture Halle a vu naître Martin Luther et le protestantisme. L’imposante bibliothèque de la Fondation Francke et ses 30 000 volumes témoigne de l’engouement pour l’étude et un certain piétisme, comme une manière rigoriste de religion. Une tradition philologique (étude des langues) s’est développée au XIXe siècle.

Pourquoi étudier le créole à l’université ?
Ce sont des langues que nous devons soutenir, nous devons soutenir les cultures créoles, attirer l’attention de la société sur les langues créoles et nous apprenons énormément de choses en étudiant le créole.

Pourquoi soutenir les langues créoles ?
Les langues sont restées pendant longtemps des langues orales, parlées dans un secteur informel. Or pour la vie moderne et globalisée, les créoles doivent sortir de l’oralité et doivent être utilisés à l’écrit, dans les médias, dans les SMS.

Depuis 1986 et votre premier séjour aux Antilles, qu’avez-vous appris ?
Le créole est une langue qui vit pleinement. En créole, on peut rire. En créole on peut vivre des formes de vie qui n’existent pas ailleurs.

Dans votre cours aujourd’hui, vous disiez que tout le monde était bilingue. Mais à quel point ?
En Haïti, 90% de la population est monolingue créole. En Martinique et en Guadeloupe, le bilinguisme français créole a sans doute progressé et l’introduction du créole à l’école a progressé également. On a créé le CAPES créole (Certificat d’aptitude au professorat du second degré). Il y a aujourd’hui en Martinique et en Guadeloupe beaucoup de professeurs de langue et culture créole dans les écoles. On est en mesure d’aiguiser les consciences linguistiques des deux langues.
 
Quel est l’état de santé du créole ?
C’est une langue qui se porte bien. Chaque fois que j’arrive aux Antilles, j’entends le plaisir de la pratique du créole qui sort non de la tête mais du ventre, du cœur et c’est une joie extraordinaire.

Comment étudiez-vous le créole ?
Le créole est une langue normale, complexe, vivante, avec des variétés qu’on étudie comme toute langue. Notre approche est d’enregistrer le créole parlé, de le transcrire pour le décrire sur le plan grammatical et lexical. Nous travaillons avec les enseignants créolophones sur les règles de grammaire.
Je travaille avec mes amis chercheurs des Antilles. Ce qui nous intéresse est la complémentarité des regards. Mon regard de linguiste résulte d’une comparaison des grammaires des langues romanes. Ce n'’st pas le regard de celui qui vit le créole de l’intérieur qui a sa compétence maternelle. Nous échangeons nos regards.

Un regard neutre
Je reste fidèle à mon attitude de linguiste descriptif. Une chose a toujours facilité mon accès au créole est ma nationalité allemande. Pour mes amis antillais, j’ai toujours été au-delà de tout soupçon de colonialisme ou de post-colonialisme.
Tout le monde sait que les Allemands ont commis des crimes, ils ont eu aussi des colonies mais pas au même niveau que la France. Donc, j’ai un regard neutre.

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