"Mémoires de chefs", se souvenir des bonnes choses avec Bocuse, Troigros ou Pic
« Mémoires de chefs » est avant tout une belle tranche d’histoire en deux décennies importantes de la cuisine française (1960-1980). Prenez 10 chefs multi-étoilés, une bonne dose d’humour, de larges tranches de souvenirs, saupoudrez d’archives personnelles parfois inédites, laissez infuser et vous dégusterez un excellent ouvrage, copieux (320 pages) et léger à la fois.
Autrement dit, quand Bocuse, Chapel, Guérard, Haeberlin, Lenôtre, Outhier, Pic, Senderens, Troisgros et Vergé ou leurs proches se racontent, cela donne un panorama très parlant de la révolution qui a marqué la cuisine moderne française dans les années 60 à 80.
C’est avant tout, une histoire d’hommes, de copains qui ont bousculé les plats et les conventions de la table tout en sachant très bien d’où ils venaient. Héritiers pour la plupart de famille de cuisiniers de guinguette ou d’auberge sans façon, tous amoureux des produits et de la nature, ils ont appris dans la joie et la rigueur le dur métier dans les meilleures maisons classiques. L’ombre de Fernand Point, figure illustre de la cuisine du XXe siècle installé à Vienne plane sur les parcours de plus d’un.
Alors on parle produits, plats, techniques, goûts en évolution, façon de servir. Anne Sophie Pic raconte le passage du service à la découpe en salle (au guéridon) au service à l’assiette.
Pierre Troisgros rappelle comment les techniques ont influencé les nouveaux plats (la fameuse escalope à l’oseille cuite sans matière grasse grâce aux nouvelles poêles anti adhésives). Le fidèle cuisinier d’Alain Chapel, Philippe Jousse explique comment le chef de Mionnay a fait replanter des variétés d’arbres fruitiers tombés en désuétude pour le plaisir d’offrir aux clients le goût d’une pomme disparue dans un dessert. Ces histoires paraissent aujourd’hui évidentes et pourtant elles bousculaient les habitudes.
Et puis bien sûr, il y a celui que l’on appelle aujourd’hui « Monsieur Paul », Paul Bocuse. Le chef d’équipe, le meneur de la bande de Lyonnais et Parisiens. Il les a fait sortir de derrière leurs fourneaux. Ainsi plus que de nouvelle cuisine, pure invention marketing des années 70, on pourrait parler de nouveaux cuisiniers, de « seigneurs des fourneaux » comme les qualifie Nicolas Chatenier.
Sans nostalgie mais avec générosité « ces mémoires de chefs » ancrent la cuisine d’aujourd’hui dans une vraie continuité. Comme l’écrit dans la préface Alain Ducasse : « pour aller loin, il faut savoir d’où l’on vient : grâce à cette mémoire, la cuisine française ira encore très loin ».
Mémoires de chefs de Nicolas Chatenier (éditions Textuel)
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