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Dans son livre "Pierre Cardin. Mode. Mythe. Modernité", Jean-Pascal Hesse dresse un portrait intime et touchant d'un couturier précurseur

À l'occasion du 100e anniversaire de la naissance de Pierre Cardin, Jean-Pascal Hesse signe "Pierre Cardin. Mode. Mythe. Modernité" chez Flammarion. Cet ouvrage, richement illustré par Pierre Pelegry, rassemble les photographies de Yoshi Takata.

Article rédigé par Corinne Jeammet
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié
Temps de lecture : 11 min
Couverture du livre "Pierre Cardin. Mode Mythe Modernité" de Jean-Pascal Hesse (Flammarion) (Pierre Cardin)

Pierre Cardin a révolutionné la mode au milieu des années 1960 en créant des tenues iconiques, portées par Jackie Kennedy, Lauren Bacall ou Jeanne Moreau. Les talents du couturier et sa maîtrise des matériaux s’étendaient de la haute couture au prêt-à-porter, de la mode masculine aux bijoux, de la conception de meubles aux parfums et accessoires, tandis que son sens des affaires l'a conduit à créer un empire commercial, de la Chine aux États-Unis. 

Pierre Cardin. Mode. Mythe. Modernité, paru chez Flammarion, s'intéresse à la jeunesse du couturier à travers les témoignages de deux proches collaborateurs : Jean-Pascal Hesse, historien et directeur de la communication de la maison depuis les années 1990, et Pierre Pelegry, directeur de Maxim’s à Paris. Nous les avons rencontrés, dans ce restaurant.

Franceinfo Culture : Ce n'est pas le premier ouvrage que vous écrivez sur Pierre Cardin. En quoi celui-ci est différent des précédents ? 
Jean-Pascal Hesse : C'est le troisième en effet. J'en avais fait deux chez Assouline : le premier à l'occasion de ses 60 ans de création, le second pour ses 70 ans de création. Pierre Cardin. Mode. Mythe. Modernité est un livre un peu différent, un peu plus intime avec de belles photos en noir et blanc que j'ai retrouvées après son décès. Elles datent évidemment, c'est une autre époque, mais je trouvais ça tellement beau. 

J'ai voulu revenir sur son passé et son histoire car dans les autres livres, je m'étais surtout projeté sur le présent et le futur. Je voulais montrer un Pierre Cardin élégant, raconter son parcours. C'était un grand couturier qui savait faire beaucoup de choses : Pierre Cardin, ce n'est pas seulement une mode futuriste, il avait appris son métier chez des tailleurs, et avait fait son apprentissage chez Dior. Avec Pierre Pelegry - qui a hérité des photos de Yoshi Takata - nous sommes les plus jeunes et les plus proches collaborateurs. J'ai eu aussi la chance de récupérer les photos de Roland de Vassal, le photographe d'avant Yoshi Takata, dont la fille m'a donné les droits. Dans ce livre, il y a beaucoup de photos inédites.

Le couturier Pierre Cardin dans son bureau sous l’objectif de Roland de Vassal, en octobre 1957 (RUE DES ARCHIVES)

Pierre Pelegry, vous avez récupéré le fond photographique de Yoshi Takata. Qui était cette photographe qui a accompagné Pierre Cardin pendant quarante ans ? 
Pierre Pelegry : Parmi ses archives photos, il me tenait à cœur de montrer la sensibilité d'une femme libre, issue d'une grande famille japonaise, qui travaillait pour l'Agence France-Presse avant son arrivée en France en 1953. C'était une jeune femme très moderne qui avait décidé de ne pas se marier, de quitter sa famille et de venir en Europe. Elle a rencontré tous les artistes ; elle était très proche de Cartier-Bresson, d'Edouard Boubat et de Robert Doisneau. Puis en 1955, elle rencontre Pierre Cardin, il a 33 ans. Elle est devenue sa photographe officielle pour la mode et l'a suivi partout : ils sont devenus amis et ont partagé une vie d'artistes et de gens très modernes. Yoshi Takata a su capter des beaux moments de sa vie privée : j'ai retrouvé des photos intimes avec André Oliver, Jeanne Moreau...

Quel a été le fil rouge de votre sélection ? 
Pierre Pelegry : L'idée était de montrer un Pierre Cardin jeune, que je ne connaissais pas. Quand je l'ai rencontré, c'était un monsieur de 74 ans. Je voulais montrer à quel point il était chic, entouré de gens élégants dans les dîners.

Je voulais recréer l'univers de ses débuts jusqu'à la modernité. Dans le livre, on voit son côté un peu classique mais sa force, c'est sa création et son génie visionnaire qui me passionnait. Il me disait de regarder vers le futur : si vous regardez le passé, vous allez être un copieur et le second. Il vaut mieux être le leader, même si vous faites une erreur, il faut croire en vous. Avec lui, j'ai appris à regarder un modèle, à reconnaître un style... Vous reconnaissez tout de suite une robe Cardin quand vous la voyez et c'est la force de sa création. Cela lui a permis de développer les licences : il a rendu son nom très commercial sur des produits qui n'avaient aucune création (ceintures, chaussettes...) parce que sa couture était telle que cela ne l'a pas abîmée. Il influence encore les designers d'aujourd'hui.

En charge de la communication du groupe Pierre Cardin, vous avez travaillé à ses côtés depuis les années 90. Comment s'est passée votre première rencontre ? 
Jean-Pascal Hesse : Je ne me destinais pas à la mode, je devais être commissaire priseur. Un concours de circonstances a fait que je l'ai rencontré par l'intermédiaire d'une amie, la directrice des relations publiques. Sur un coup de tête, il avait viré tout le monde et cherchait quelqu'un pour reprendre le service de presse. J'arrivais d'Aix-en-Provence et notre première rencontre n'a pas été évidente, il voyait que c'était un milieu qui m'était très éloigné, même si étudiant j'avais été mannequin. C'était marrant, je ressentais un intérêt et j'avais l'impression qu'il me posait des questions pour me repêcher. Je me souviens qu'il m'avait demandé si je connaissais Janie Samet, qui était la grande prêtresse de la mode au Figaro, redoutée et redoutable. A l'époque, il n'y avait pas Internet et je ne lisais pas la presse spécialisée. Quand je lui ai dit non, je me suis dit c'est foutu et, pas du tout, il m'a dit : j'ai aimé votre sincérité, vous ne connaissez rien mais je vais tout vous apprendre. Cela n'a pas été facile, il était assez exigeant mais il m'a beaucoup donné, beaucoup appris.

Le mannequin Hélène Delrieu portant un tailleur pied de coq Pierre Cardin, en 1957 (Roland de Vassal)

Vous relatez les débuts de sa carrière à Paris. Pourquoi cette période ? 
Jean-Pascal Hesse : C'est une période qui est méconnue. Il en parlait très peu, il parlait du présent et surtout du futur : ce qui l'intéressait, c'était demain. Il nous avait raconté son histoire mais il ne se penchait pas sur son passé, peut-être un peu plus à la fin de sa vie mais au début non ! Issu d'une famille de treize enfants, il avait deux ans quand il a quitté l'Italie pour la France. Sa famille avait tout perdu pendant la Première Guerre mondiale ; avec les dommages de guerre, ils ont pu venir en France où leur fille aînée était installée. Ses parents étaient âgés, donc très vite il a voulu s'émanciper. Je pense qu'il en a souffert : il ne parlait pas de cette jeunesse un peu difficile.

Mais il nous disait souvent qu'il avait rencontré les bonnes personnes. Il avait beaucoup de charisme, était beau quand il était jeune. Il a appris et s'est nourri des rencontres qu'il a faites. Quand il arrive à Paris, il rencontre un monsieur dans la rue qui le fait rentrer chez Paquin où il commence à travailler et fait la connaissance de Jean Cocteau avec qui il réalise les costumes de La Belle et la Bête. Il croise Christian Bérard, Marcel Boussac, Christian Dior... Je pense que c'était quelqu'un qui a su saisir sa chance. Doué, il savait tout faire : couper, coudre, dessiner et compter, il avait appris à la Croix-Rouge pendant la guerre. C'était rare car souvent les couturiers sont des artistes mais ne s'occupent pas d'administration. Pierre Cardin, lui, s'occupait de tout, de par ses origines. ll avait la tête sur les épaules. Il n'a jamais douté de lui et avait cette force.  

Là on est chez Maxim's : il disait toujours qu'il était le plus vieux client. Grâce à Jean Cocteau, il rencontre des gens du théâtre et après la guerre quand il arrive à Paris, Elvire Popesco qui s'est prise d'affection pour lui l'invite tous les soirs à dîner ici. Il avait une revanche à prendre sur la vie et Maxim's, c'était une façon de dire qu'il avait réussi. Il l'a acheté en 1981 et il a fait un dîner en l'honneur de la comédienne.

Manteau du soir en satin cuir de soie signé Pierre Cardin, 1955 (Archives Roland de Vassal)

Quelles ont été les influences qui l’ont inspiré pour ses créations de haute couture des années 50 et 60 ? 
Jean-Pascal Hesse : Je crois qu'il a été marqué par Balenciaga. Il le disait souvent, ça a été un de ses maîtres et puis évidemment Christian Dior. Pierre Cardin avait une créativité assez étonnante car il n'avait pas appris l'histoire de la mode. 

Pierre Cardin en séance de création sur son mannequin fétiche Hiroko (Yoshi Takata_Courtesy of Pierre Pelegry)

Comment a-t-il enchaîné avec la collection "Cosmocorps" influencée par l’ère spatiale ? 
Jean-Pascal Hesse : C'est son évolution et celle de la société : très vite, lui qui avait fait de la haute couture, qui avait connu chez Paquin et Dior, ces femmes qui commandaient un tailleur pour le soir, une robe pour le cocktail, a vu que le monde allait basculer. D'ailleurs, il a été à l'origine du prêt-à-porter : il a fait descendre le premier la mode dans la rue, faisant défiler ses modèles dans un grand magasin.

Il a toujours été inspiré par le cosmos, l'univers et la conquête spatiale l'a marqué. C'est là qu'il a commencé à se démarquer des autres, à faire cette mode unisexe, futuriste, très géométrique. C'était l'époque des Trente Glorieuses où tout était possible. Après la guerre, il y a eu un mouvement où les femmes s'affranchissaient, osaient les couleurs...

Ainsi il a été l'un des premiers couturiers à oser les cravates imprimées pour les hommes, qui portaient des modèles de couleurs sombres avec peu de motifs. Il en a vendu tellement qu'un jour il n'a pas pu honorer ses commandes : il a été voir un fabricant et c'est comme ça qu'il a eu l'idée de faire des licences.

Manteau Pierre Cardin aux col et poignets en plastique argenté, 1966 (Yoshi Takata. Courtesy of Pierre Pelegry)

Dans ce livre de souvenirs, il y a des photos et des documents inédits...
Jean-Pascal Hesse : C'est un portrait un peu plus intime, on parle plus facilement aujourd'hui puisqu'il n'est plus là. Il était très pudique aussi. Sans rentrer dans son intimité, on évoque ici André Oliver, qui a été son compagnon, et avec qui il a construit cette maison, ainsi que l'histoire de Jeanne Moreau que tout le monde connaît... Des choses que l'on n'évoquait pas avant. Il n'avait jamais voulu d'ailleurs qu'on parle de lui et a toujours refusé les biographies.

Ce qui était important dans ce livre, c'était de montrer un Cardin élégant. Quand je l'ai connu, il avait 73 ans. On voulait montrer [avec Pierre Pelegryqu'il avait été un grand couturier, qui avait traversé avec élégance son siècle. A cette époque-là les gens étaient plus élégants et prenaient le temps de s'habiller : les femmes avaient des chapeaux, des gants, et sortaient avec des bijoux. Ce qu'on ne fait plus aujourd'hui, malheureusement. Tout cela est terminé. 

Manteau et robe de cocktail en crêpe de laine à trous avec ceinture en daim et encolure en zibeline, 1965 (Yoshi Takata_Courtesy of Pierre Pelegry)

Quel souvenir vous est le plus cher ?
Jean-Pascal Hesse : Ce sont nos dîners avec Pierre et Yoshi : Pierre Cardin était plus libre quand il parlait. C'est cette intimité qu'on avait avec lui. Une chose m'a toujours interpellé, c'est qu'il a gardé jusqu'à la fin de sa vie comme un regard d'enfant sur les choses. Un jour qu'on partait à Pékin - je m'en souviens très bien - l'avion a survolé le désert de Gobi, il m'avait réveillé pour qu'on regarde le soleil se lever sur le désert. Il avait dû aller en Chine 50 à 60 fois avant moi mais il était toujours aussi émerveillé de regarder le soleil se lever sur ces dunes. Il avait cette faculté et n'était pas blasé de la vie, même s'il avait tout connu, tout eu. Il vivait simplement de façon spartiate, parce qu'il avait tout, il avait tout vu et il pouvait tout avoir mais il avait dépassé cela. C'est surtout ce regard qu'il avait sur les choses.

Il a peu d'images de Maxim's dans ce livre. Pourtant ce lieu est lié à la mode...
Pierre Pelegry : Cela fait 25 ans que je travaille pour Cardin : j'ai développé les produits cadeaux des licences Maxim's puis j'ai commencé les soirées en 1997. Le restaurant était un bel endroit mais un peu triste, un peu touristique, les Parisiens le boudaient. Je me suis dit : si je fais venir des gens de mon âge - j'avais 23 ans - qu'ils s'amusent et dansent, ils vont trouver l'endroit cool et se l'approprier.

Au début, les soirées se tenaient tous les trois mois puis les vendredis : cela a, ensuite, donné l'idée aux maisons de mode d'y faire des after show (Louis Vuitton, Saint-Laurent, Dior, Chanel, Berluti, Balmain...) et aux artistes (la galerie Thaddaeus Ropac, Anselm Kiefer, Georg Baselitz... ) d'y venir. Pierre Cardin a eu l'intelligence de me soutenir et on a re-rendu Maxim's à la mode. Il m'a dit : vous savez, Maxim's est né de la fête, les gens venaient s'encanailler, rencontrer les cocottes et s'amuser... Cela a toujours été un endroit vivant, jeune. Depuis le Covid, j'ai remis les banquettes rouges à l'omnibus, réintégré dans le décor des objets de sa collection Art Nouveau, les barbotines, les lampes. Je ne regrette qu'une chose, c'est que Pierre Cardin ne soit pas là pour le voir.  

Couverture du livre "Pierre Cardin. Mode Mythe Modernité" de Jean-Pascal Hesse (Flammarion) (Pierre Cardin)

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