"Au Bonheur" de Liliane et Christelle Téa, un livre de cuisine asiatique qui se dévore aussi avec les yeux
Parce que la nourriture se déguste d’abord avec les yeux, les images sont capitales dans les livres de cuisine. Au point que les photos de plats, gage de réussite, sont souvent un préalable à toute proposition sérieuse d’ouvrage de recettes auprès d’un éditeur. Avec Au Bonheur de Liliane et Christelle Téa, il ne s’agit pas de photos, fait assez rare, mais d’illustrations réalisées par la fille de la cuisinière. Et quelles illustrations ! Si délicates, si minutieuses, qu'elles comptent autant que les recettes dans l’attrait de cet ouvrage.
De fait, son éditeur, Premier Parallèle, est plus spécialisé dans les essais en sciences humaines que dans la bonne chère… Et c’est précisément en découvrant les dessins de l’artiste Christelle Téa et sa personnalité singulière, douce et délicieusement surannée (elle porte toujours un bibi sur la tête), que la directrice éditoriale Amélie Petit, admirative et sous le charme, a nourri l’envie de travailler avec elle et s'est autorisée à faire un pas de côté.
La vocation du dessin née dans le restaurant familial
Dessinatrice en vue passée par les Beaux-Arts de Paris, Christelle Téa, née en 1988 à Créteil dans une famille d’origine chinoise, a été exposée ces dernières années aux quatre coins du monde et ses œuvres figurent déjà dans de prestigieuses collections. Sa vocation est née dans un restaurant, Au Bonheur, que tenaient ses parents dans le 15e arrondissement de Paris.
Dans l’arrière-salle de l’établissement où elle faisait ses devoirs en rentrant de l’école, Christelle dessinait sur les nappes en papier pour s’occuper en attendant l’heure de rentrer. Elle était si douée qu’elle en a fait son métier. Mais elle qui travaille à main levée, sur le vif, à l’encre de chine, ne dessine pas que des plats, loin de là. Portraits, animaux, végétaux, rues, bâtiments, décors intérieurs, de l’opéra aux musées : elle sait tout faire, tout transfigurer, de son trait précis et détaillé.
Une cuisine inventive et savoureuse
Dans cet ouvrage, Christelle Téa illustre les recettes de sa mère Liliane, née et grandie à Pnom Penh (Cambodge) dans une famille chinoise, arrivée en France en 1975 pour fuir les Khmers rouges. Sa cuisine, familiale, mélange les saveurs de son enfance, venues aussi bien du Cambodge que du Vietnam, de Chine et de Thaïlande, qu’elle a patiemment reconstituées de mémoire.
Une cuisine simple mais inventive, à laquelle sont venues s’ajouter des techniques acquises en regardant les émissions télévisuelles de Maïté et Robuchon, comme elle nous l’a raconté de vive voix. Ses plats, elle les élabore avec amour mais comme sa fille au dessin, à main levée. Pour ce livre de transmission, elle a donc pris soin de peser chaque ingrédient et de noter chaque geste dans l’espoir, dit-elle, que le lecteur puisse "réussir du premier coup" les 70 recettes proposées. Sans oublier de détailler le placard idéal, les sauces et techniques de base, ainsi que les ustensiles indispensables et où les trouver.
Des recettes claires, faciles à réaliser (pas toutes)
Nous avons suivi ses recommandations. L’originale salade de mangue verte aux bulots, d’une remarquable fraîcheur acidulée, est très simple à réaliser, surtout si l’on achète les coquillages déjà cuits. Son bœuf Lôc Lac, à démarrer la veille pour la marinade, est une merveille digne des meilleures enseignes asiatiques, tout comme son poulet aux noix de cajou. Le potage pékinois, à la fois onctueux et piquant, est un plaisir d’hiver express qui n’a déjà plus de secrets pour nous.
Cependant, les soupes Phô ou Wonton aux crevettes, longuement mijotées, réclament davantage de patience, et certains ingrédients plus difficiles à dénicher, comme les feuilles de moutarde fermentées, les christophines ou les bananes au sirop, nous ont dissuadée de nous lancer dans la préparation de certains plats. Quant à ses délicieux toasts aux crevettes, d’un croustillant et d’une légèreté à tomber, goûtés lors d’une présentation en petit comité, ils nous semblent beaucoup plus difficiles à maîtriser. Faute de retrouver avant longtemps cette épiphanie gustative, on dévore les dessins.
"Au Bonheur, recettes d’une enfance au Cambodge" de Liliane et Christelle Téa (éditions Premier Parallèle, 32 euros)
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