"Dans la vie, ce sont les détails qui captent mon attention !" : dans son exposition "Musées dessinés", Christelle Téa aiguise notre regard
Au Musée Cognac-Jay dans le Marais, l'étonnante exposition "Musées dessinés" de la jeune artiste Christelle Téa nous emmène dans les moindres recoins des quatorze musées de la ville de Paris.
C'est une jeune artiste avec laquelle il faudra compter : Christelle Téa, diplômée des Beaux-Arts de Paris et durablement influencée par Albrecht Dürer, David Hockney et Sam Szafran. Sa spécialité, des dessins à l'encre de Chine réalisés à main levée, "sans ébauche ni repentir", annonce-t-elle comme un crédo : on a déjà pu voir ses portraits de chanteurs de l'Opéra de Paris et sa série sur les coulisses du Palais Garnier (2012), ses paysages de la Propriété Caillebotte dans l'Essonne (2020), ou la restitution, en temps réel, d'une opération chirurgicale à l'hôpital Necker (2018).
A la demande de la directrice du musée Cognac-Jay, en plein cœur du Marais, Christelle Téa a cette fois réalisé une série étonnante de 75 dessins consacrés aux quatorze musées de la ville de Paris, du Palais Galliera au Musée d'Art Moderne, de la maison de Victor Hugo au musée Bourdelle, des catacombes à l'atelier Zadkine. L'exposition Christelle Téa, Musées dessinés est gratuite et à découvrir jusqu'au 5 décembre. L'artiste, que nous avons rencontrée au milieu de ses dessins dans le 9e arrondissement de Paris, nous éclaire sur sa démarche.
Franceinfo Culture : Dans "Musées dessinés", vous donnez à voir les musées de la ville de Paris sous un angle inhabituel. Ce ne sont pas les œuvres exposées dans ces musées qui attirent en premier notre attention…
Christelle Téa : Non (rires)… C'est un peu les coulisses, ce que le visiteur ne voit pas quand il vient découvrir une exposition permanente ou temporaire, même s'il y a aussi des oeuvres. Là, pour dessiner le musée, j'ai eu accès à des réserves, au "work in progress", à des accrochages - comment on monte une expo, comment on déballe -, aux problèmes techniques qu'a un musée, aux activités culturelles comme des conférences, des concerts… C'est toute une vie ! Et même découvrir les équipes du musée est passionnant, le côté humain, avec les personnels…
Le principe est toujours le même : vous dessinez des lieux emblématiques des musées à l'encre de Chine, sur le vif, sans ébauche ni photo préalable. Comment procédez-vous ?
Je pars d'une page vierge, une feuille blanche en format 50x65, et quand j'arrive dans un lieu, ce sont les détails qui vont capter mon attention : par exemple dans la salle du Lit à la polonaise du Musée Cognacq-Jay, ce seront les ornementations, les tissus, les broderies.
Avant de faire le dessin, je ne sais pas comment il va se construire et donc c'est vraiment le détail qui forme le dessin. C'est comme quand on va dans une ville étrangère et qu'on est emmené par une rue, une échoppe, puis un peu plus bas une pâtisserie, on y va mais on ne sait pas où on va.
Vos "cadrages" sont singuliers avec une perspective déformée. Comment les définissez-vous ?
Partant du détail, je mets ce dernier comme ça au milieu de la page, et après ça se construit un peu comme un lierre. Un dessin, c'est une agglomération de détails et tout autour ça respire, il y a toujours du blanc, c'est comme pour former un yin et un yang. Et il y a ce côté flottant qui permet de s'évader. Et pourtant, je ne dessine que ce que je vois, je n'invente pas ! Et après, oui, je déforme la perspective, parce que si je continuais, je ne pourrais pas laisser de blanc et donc je suis obligée de m'arrêter.
L'une des particularités de vos dessins est que vous ne cachez rien de ce que l'on voit dans un musée - des escaliers aux gaines d'aération ou aux caméras de surveillance - et tout est placé au même niveau d'importance…
Comme c'est du dessin en trait, que ce soit le premier, le second ou l'arrière-plan, tout est mis sur le même plan. Je me rends compte qu'habituellement, ça ne se fait pas trop de dessiner les caméras ou les spots, parce que ce n'est pas très joli pour les musées. Mais même si ça a un côté anecdotique, ça m'amuse de les dessiner, ça fait un peu partie de notre vie contemporaine. Par exemple, dans le musée Zadkine j'ai dessiné un défibrillateur et la directrice du musée m'a dit : mais qu'est-ce que c'est que ça ? Et je lui répondu que ça fait partie du musée et que peut-être dans dix ans ce sera vintage.
Et puis vous aimez magnifier certains détails…
Oui ! C'est comme restituer quelque chose du réel, de le rendre un peu plus mystérieux, un peu comme cette œuvre d'Albrecht Dürer, Das große Rasenstück, qui n'est autre qu'une grosse touffe d'herbe que l'artiste a vue depuis son atelier et qu'il a magnifiée en la peignant à l'aquarelle.
Pour chaque musée vous avez choisi un lieu particulier. Pour le musée Zadkine, par exemple, on ne voit pas vraiment l'intérieur de l'atelier du peintre russe, mais seulement la librairie…
Oui (rires), c'était compliqué. C'est le problème de mes dessins : si le lieu est une sorte de "white cube", donc si c'est minimaliste avec des murs blancs, ça ne va rien donner au dessin. Donc j'ai trouvé mon sujet à l'entrée du musée, c'est la librairie !
Au Palais Galliera, vous vous êtes installée dans les réserves…
Oui, comme le musée était en travaux, je n'ai pas eu accès au musée mais aux réserves. Du coup, les équipes ont fait une mise en scène en préparant un mannequinat, en gonflant des vêtements… J'étais ravie, j'adore les vêtements !
Justement, parmi les séries proposées dans l'exposition, il y en a une qui est un peu à part, votre collection de "bibis", ces petits couvre-chefs féminins sans bord que vous portez.
C'est un clin d'œil au musée Cognac-Jay qui s'est constitué à partir de collections, les superbes collections 18e siècle du couple Cognac-Jay, les fondateurs de la Samaritaine. J'ai alors pensé à ma propre - mais bien plus modeste - collection… de bibis.
C'est une série d'autoportraits…
En argot quand on dit "c'est bibi", ça veut dire "c'est moi". D'où l'autoportrait. J'ai commencé à porter des bibis quand j'étais encore aux Beaux-Arts de Paris et je les portais plutôt aux vernissages pour les expositions. Et petit à petit, j'ai remarqué qu'on me reconnaissait par les bibis. J'en porte tous les jours, c'est devenu ma signature.
Exposition "Christelle Téa, Musée dessinés" au Musée Cognac-Jay à Paris, jusqu'au 5 décembre 2021.
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