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Au plus près de la comète avec "La veuve Basquiat, une histoire d'amour"

"La veuve Basquiat" est le récit par Jennifer Clement de l'histoire d'amour entre son amie Suzanne Mallouk, et Jean-Michel Basquiat. Composé de fragments poétiques en prose et des souvenirs de Suzanne Mallouk, ce livre jette un éclairage passionnant sur la vie fulgurante d'un artiste disparu à 27 ans, dont l'œuvre est aujourd'hui l'une des plus cotées du marché de l'art.
Article rédigé par Laurence Houot
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 7min
Suzanne Mallouk et Jean-Michel Basquiat
 (Duncan Buchanan )
L'histoire : "La veuve Baquiat" est l'histoire d'amour forte et fulgurante entre le peintre Jean-Michel Basquiat, et Suzanne Mallouk, son amante, son amie, sa compagne pendant les années qui précèdent sa mort. Jean-Michel Basquiat rencontre Suzanne Mallouk à New York dans les années 80, au "Night birds", un bar "sombre et miteux" du Lower East Side où travaille Suzanne, "le meilleur endroit pour rencontrer Jean parce qu'il aimait la nuit et n'avait jamais aimé le jour".

Suzanne Mallouk est canadienne, d'origine palestinienne. Elle a fui son pays, et un père brutal. Jean-Michel et Suzanne deviennent amants. Ils ont à peine plus de 20 ans, et ont cela en commun de bien connaître leur squelette. Elle parce qu'elle a été battue par son père, lui parce qu'il a découvert l'anatomie dans un livre, "Henry Gray's Anatomy of the Human Body", offert par sa mère pendant sa convalescence après un accident qui lui a coûté la rate, à l'âge de 7 ans. En commun ils ont aussi la sorcellerie : la mère de Suzanne se disait sorcière, Jean-Michel est baigné dans la culture vaudou haïtienne depuis l'enfance.

Pendant deux mois, Jean-Michel vient tous les jours dans le bar où travaille Suzanne. Il lui lit des poèmes. Mais elle le connait à peine quand elle le laisse s'installer chez elle. "Il apporte juste une radio cassée et une boîte de conserve pleine de crayons de couleur. Des trucs de gosse". Provisoire, dit-il. Mais "à partir de ce jour nous n'avons plus pu nous quitter", raconte-t-elle.

Une plongée dans le New York underground des années 80

New York, années 80. On y croise Andy Warhol, Keith Haring, Schnabel, Ramellzee… Suzanne devient la secrétaire de René Ricard pour "taper ses poèmes" qu'il écrit sur "des boîtes d'allumettes, des emballages et des bouts de papier toilette". Jean-Michel peint. Brosse les cheveux de Suzanne pendant des heures. Il est déjà une star. Il aime flamber. Ils se shootent ensemble. "Elle cache son héroïne dans sa choucroute. La poudre blanche cachée dans la crêpure laquée à la salive".

Il l'appelle "Venus", et dessine son nom sur ses peintures, comme il trace sur ses grandes toiles les mots ou les phrases qu'il entend à la télé, qu'il pioche dans des magazines ou dans les livres. Jean-Michel Basquiat dit : "C'est pour ça que je peins, pour faire entrer les Noirs au musée". Il accueille les critiques à poil, refuse de vendre ses tableaux aux collectionneurs blancs et libéraux. "Jean-Michel ne vend jamais aux gens qu'il n'aime pas". Il achète du caviar, emmène Suzanne dans les grands restaurants et paie l'addition de ceux, racistes, qui les regardent de travers.

Celui que Suzanne appelle "Jean" drague filles et garçons dans les bars. Il disparaît souvent plusieurs jours. "Il est clair que ses intérêts sexuels n'étaient pas monochromes", raconte Suzanne. "Ce pouvait être des garçons, des filles, minces, gros, laids. Je crois que ce qui importait c'était l'intelligence". Il aime aussi tout ce qui brille. Quand elle le trouve aux bras de Madonna, elle se jette sur elle et lui arrache les cheveux. "Tu l’as dérouillée exactement comme une Portoricaine" se contente de dire Basquiat. Puis il peint "A Panel of experts", tableau dans lequel "Suzanne "Venus" et Madonna en bâtonnets se battent. Sur le collage il barre le nom de Madonna".
"A panel of Madonna", Jean-Michel Basquiat, Art Gallery of Ontario, Toronto, février 2015
 (CHERYL DUGGAN / AFP)

"Je serai célèbre et je mangerai des artichauts"

Elle essaie de le quitter. Elle jette ses dessins par la fenêtre, ou revend un frigo couvert de ses dessins à Warhol (5000 euros, pour payer son loyer). Mais elle revient toujours, quand ce n'est pas lui qui vient la chercher. Si elle apprend qu'il est trop mal, trop défoncé, elle rapplique dans le loft de Great Jones Street et "lui lave le corps, les cheveux, le rase et lui parle comme si c'était un petit enfant".

"J'irai à New York" avait-elle dit quand on lui demandait quand elle était enfant ce qu'elle voulait faire plus tard." Je serai célèbre et je mangerai des artichauts", avait-elle poursuivi… "Mais si je suis allée à New York, c'est parce que j'avais vu Iggy Pop et que j'avais cru voir Dieu", dit elle. Et aussi parce qu'elle avait découvert les poèmes de René Ricard. "J'avais compris qu'un livre peut te saisir comme un bras et t'entraîner loin de tout ce que tu pensais comprendre".

En chemin, elle a rencontré "The radiant child". Il lui en a fait voir de toutes les couleurs. "C'était trop douloureux parce qu'alors il ne pensait plus qu'à l'héroïne. Je venais le voir, je l'accompagnais à des dîners et à des fêtes, mais je n'ai plus jamais couché avec lui. Puis lentement, lentement, je l'ai complètement sorti de ma vie".

Quinze jours avant sa mort en 1988, à deux heures du matin, Basquiat vient sonner à la porte de Suzanne. "Je sais qu'il était venu me dire au revoir, c'est la chose la plus gentille qu'il ait faite pour moi. Je sais qu'il était venu me dire au revoir parce qu'il savait que sa mort était imminente mais il avait dû soudain changer d'avis. Il ne voulait pas que je le voie dans un état pareil, ravagé par l'héroïne".

"Le document le plus sérieux sur Basquiat"

Dans un avant propos, Michael Holman, scénariste de "Basquiat" écrit : "Je peux vous dire, sans équivoque et avec une jalousie considérable, que le document le plus sérieux sur Basquiat, complet, drôle et déchirant, toutes catégories confondues, est sans aucun doute La veuve Basquiat".

"La veuve Basquiat" entrelace le récit de Jennifer Clément, courts chapitres avec chacun son titre, des paragraphes en forme de poèmes en prose, et le récit à la première personne, en itallyque, de Suzanne Mallouk. Ce livre inclassable composé de fragments, de collages, de métaphores, propulse le lecteur au plus près de la comète Basquiat, sa vie brûlée, son élégance, ses tourments, son travail à l'œuvre. Il est aussi le portrait d'une femme audacieuse, d'une muse, d'une femme libre. Passionnant.
 
La veuve Basquiat - Une histoire d'amour de Jennifer Clement, traduit de l'anglais (Etats-Unis) par Michel Marny (Christian Bourgois Editeur - 200 pages - 14 euros)

Extrait :
"Dans la penderie
Dans la penderie il y a deux araignées mortes. Des vêtements roulés par terre mélangés à des chaussures. Il y a une paire de patins à glace. Les lames sont encore affûtées. Elle a le visage dans l'ourlet d'un manteau d'hiver. Elle entend Jean-Michel aller et venir dans la cuisine. Son ombre se déplace sous la pore. Son ombre touche ses mains et ses pieds. La prote d'entrée claque.

Au dessus de la cuisinière Jean-Michel a peint des visages de petites filles en pleurs. Il a écrit en majuscule immenses : LES LARMES LEUR COUPENT LES JOUES."

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