Aristophil : les comptes suspects du plus célèbre des marchands de manuscrits
C'est sous les dorures et dans le craquement des parquets XVIIIème que Gérard Lhéritier, patron et créateur du fonds Aristophil, aime couver amoureusement du regard les pages de ses manuscrits : Victor Hugo, Charles de Gaulle, Breton, Balzac, Einstein, Napoléon, Louis XVI, Gauguin ou plus récemment, le manuscrit des Cent vingt journées de Sodome , celui-là même que Sade avait caché dans le mur de sa prison de la Bastille. En janvier dernier, Gérard Lhéritier l'a soufflé au nez et à la barbe de la famille Noailles, à qui il avait été volé il y a plus de 30 ans. Aristophil affirme l'avoir acheté sept millions d'euros. Autant de trésors désormais sous les verrous, scellés par la Justice.
700 millions d'euros de préjudice présumé
Selon les informations du quotidien Libération, la Justice a décidé la saisie de tous les comptes bancaires du plus gros marchand de manuscrits au monde, ainsi que ceux de plusieurs personnes qui y sont liées. Elle soupçonne Aristophil et son emblématique patron, grand nom du milieu littéraire et bibliophile, ami du "gratin" de la République, d'escroquerie à grande échelle. Sur le modèle bien connu de la "cavalerie", cher à Bernard Madoff, il est soupçonné d'être l'auteur d'un préjudice record de près de 700 millions d'euros, révèle le journal, sur la foi des calculs du parquet financier.
Lhéritier vendait en effet des parts en indivision de ses manuscrits à de petits épargnants, contre la promesse de rendements alléchants : faire de l'argent en participant à la sauvegarde d'un patrimoine mondial prestigieux, de quoi tenter de nombreux clients. Ils pouvaient revendre leurs part au bout de cinq ans avec des bénéfices, via la société, qui affirme racheter systématiquement. Ce qui n'est pas le cas. Contrairement à ce que pensaient les investisseurs, elle n'a pas obligation de le faire. En outre, les manuscrits sont surévalués et en cas de rachat, la différence serait financée à la fois par de l'argent frais apporté par les nouveaux entrants, le schéma classique de la "cavalerie", et par les encouragements faits aux épargnants de réinjecter les sommes gagnées, selon les premiers éléments de l'enquête.
Gérard Lhéritier ne voit aucune escroquerie dans son système de financement. Il souligne que les prix de ses manuscrits sont fixés par des experts internationaux et indépendants et que les investisseurs sont largement remboursés de leur mise de fond. Il qualifie sur France Info de "pure invention " les accusations de cavalerie et accuse à son tour la Justice de se livrer à une exécution sans sommation d'Aristophil. La société, totalement bloquée par les saisies de comptes, est en effet sur le point d'être placée en redressement judiciaire. Quant aux 18.000 épargnants, ils pourraient y perdre leurs fonds.
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