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Violences sexistes et sexuelles dans le milieu littéraire : "Cette libération de la parole, ce n'est sûrement que le début"

"Si des femmes se décident à parler il y aura beaucoup de témoignages" espère Samantha Bailly, vice-présidente de la Ligue des auteurs professionnels, elle-même autrice et scénariste. Elle réagi sur franceinfo aux révélations de violences sexistes et sexuelles dans le milieu littéraire après l'affaire Matzneff. 

Article rédigé par franceinfo
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Publié Mis à jour
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Samantha Bailly à Nancy en 2013.  (ALEXANDRE MARCHI /PHOTOPQR/L'EST REPUBLICAIN/ MAXPPP)

"Cette prise de conscience est fondamentale" estime jeudi 6 février sur franceinfo, Samantha Bailly autrice et scénariste et vice-présidente de la Ligue des auteurs professionnels. Elle réagi à la publication de la tribune publiée sur franceinfo, où - après l'affaire Matzneff - des personnalités réclament la fin de "la loi du silence" dans le monde de l'édition. "Je suis soulagée de voir que quelque chose est en train de s'amorcer. Mais je pense que ce n'est pas suffisant", a-t-elle ajouté. "Dans le cas des autrices, nous ne sommes considérées que par nos œuvres. Nous ne sommes pas considérées comme des êtres humains dans cette industrie", regrette Samantha Bailly. "Il faut aider ces femmes dans cette violence qu'elles vivent, dans ce traumatisme" poursuit l'autrice.

franceinfo : Selon vous, est-ce que l'ère du silence est terminée ?

Samantha Bailly : Elle n'est pas terminée du tout. Je pense que ces articles le prouvent hélas. Il y a aucun nom qui a été cité pour le moment. Ce qu'il y a de vraiment dramatique, c'est que, que ce soit du côté des autrices, des salariés des maisons d'édition, quel que soit leur métier, on voit bien que cette atmosphère d'impunité continue. J'avais posté ces messages sur Twitter, j'avais beaucoup hésité parce que j'étais assez sidérée par le silence qui régnait malgré cette première brèche, provoquée par Le Consentement, le livre de Vanessa Springora. Je suis soulagée de voir que quelque chose est en train de s'amorcer. Mais je pense que ce n'est pas suffisant. Aujourd'hui ce qui est très bien décrit ce sont ces mécanismes d'impunité.

Quand est-ce que la bataille sera gagnée selon vous ?

Ce qu'il faudrait ce serait déclencher des démarches juridiques. En réalité, c'est là où le bât blesse aujourd'hui. Je comprends mille fois, pourquoi ça n'a pas lieu. Il y a déjà une peur qui est terrible. Parfois il y a une méconnaissance de nos droits les plus élémentaires. Dans le cas des autrices, ce qui est le plus dramatique et non résolu, c'est que nous ne sommes considérées que par nos œuvres. Nous ne sommes pas considérées comme des êtres humains dans cette industrie. C'est tout l'enjeu du rapport Bruno Racine [ndlr : conseiller à la Cour des comptes qui a remis un rapport le 22 janvier 2020, au ministre de la culture sur le statut des artistes-auteurs] qui vise à nous donner un véritable statut professionnel. Tant qu'on ne peut pas attester d'un droit du travail, calibrer ces relations professionnelles pour éviter ce genre de dérapages, on n'a même pas de jurisprudence qui viendrait appuyer des démarches juridiques là-dessus, on comprend que les femmes soient très découragées à l'idée de porter plainte. Ça crée un mécanisme d'impunité où certaines personnalités deviennent intouchables.

Il y a quand même un droit du travail auquel les salariés peuvent se référer ?

Pour les salariés des maisons d'édition, je sais qu'il y a le droit du travail. Certaines salariées des maisons d'édition sont allées aux prud'hommes même si elles n'ont pas toujours gagné face à leurs agresseurs. Même si ça ne s'est pas beaucoup su. Du côté des autrices, des créatrices, c'est aujourd'hui quelque chose de très compliqué techniquement. On a aussi besoin d'avancer dans ces encadrements. Il y a le côté sociologique, dans le secteur du livre, de fait, il a un côté très 19e siècle. On sent qu'on est très en retard sur beaucoup de sujets. On voit que les problématiques sociales ont du mal à émerger de manière générale puisque l'aspect sacré du livre vient masquer tout ça. On parle de relations de séduction permanente qui viendraient brouiller les pistes. De mon point de vue, et c'est pour ça qu'on a créé la ligue des auteurs professionnels, on assume pleinement l'aspect atypique et incertain de nos métiers. Dans d'autres pays les choses sont plus encadrées. Ce n'est pas renoncer à notre liberté que d'instiller des droits élémentaires. Cette prise de conscience est fondamentale, cette libération de la parole, ce n'est sûrement que le début, c'est très important d'autant que dans le milieu de l'édition, il y a beaucoup de choses à dire. Si des femmes se décident à parler il y aura beaucoup de témoignages. Il faut aider ces femmes dans cette violence qu'elles vivent dans ce traumatisme, c'est ce qui est fondamental. On a besoin de plusieurs échelons pour en arriver là.

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