"Le XVIIIe siècle est très riche" : Pierre Louis Mascia crée une collection à partir de pièces d'archives du Palais Galliera
Donner vie à des imprimés oubliés du XVIIIe siècle et les propulser dans le XXIe, c’est ce qu’a imaginé Pierre-Louis Mascia en puisant dans le fonds du Palais Galliera, musée de la Mode de la Ville de Paris. A partir de huit pièces historiques, le créateur de mode a réalisé une collection capsule de vêtements d'intérieur. Rencontre.
L’idée est née de la rencontre du créateur Pierre-Louis Mascia avec la conservatrice en charge du département XVIIIe siècle et poupées au Palais Galliera. Pascale Gorguet-Ballesteros lui ouvre les archives XVIIIe, délaissées par les conservateurs et stylistes qui leur préfèrent celles du XIXe siècle, plus récentes, plus nombreuses, plus aisées d’inspiration car moins "théâtrales".
A partir de huit pièces historiques, le créateur de mode mixe leurs motifs à d’autres très contemporains et imagine une collection capsule "Pierre-Louis Mascia Permanent, en collaboration avec le Palais Galliera" d'une quinzaine de vêtements d’intérieur à porter également le soir. Rencontre et explications.
"Je ne suis pas un collectionneur, je fonctionne aux coups de coeur"
Dans ses collections de prêt-à-porter Pierre-Louis Mascia, créateur passionné d'imprimés, les mélange, les superpose, les associe avec une liberté et un sens graphique, venant sans doute de ses débuts comme illustrateur de mode pour des magazines comme Vogue USA ou Elle. Avant de lancer sa ligne en 2007, il est directeur artistique du salon Première Classe et responsable accessoires des maisons Clergerie, Stéphane Kélian et Arche. Sa rencontre avec Achille Pinto, compagnie Italienne d'impression textile digitale "assez haut de gamme qui travaille aujourd'hui avec les marques de luxe" a été déterminante pour lui. Elle a donné naissance à l'époque à une collection de foulards suivie de sa propre ligne de prêt-à-porter. "C'est aujourd'hui mon partenaire financier mais quand j'ai créé ma marque c'était mon licencié : il développait les produits que je dessinais. Avec lui, on peut gérer de A à Z la création, la fabrication, l'impression, la livraison...", précise le créateur.
La rencontre avec Pascale Gorguet-Ballesteros est une "pure coïncidence", explique le créateur indiquant qu'habituellement "toutes les collaborations sont issues de plans de communication alors que là, il n'en est rien". A la fin du confinement, la conservatrice était venue rendre visite à ses parents dans la région de Toulouse, où le créateur est basé. Une amie commune les a réunis : "nous nous sommes rencontrés dans mon atelier et nous avons parlé de notre passion commune pour le textile. Pascale Gorguet-Ballesteros m'a ensuite invité à venir découvrir les archives du Palais Galliera", explique-t-il.
"Elle me parlait avec passion de ses archives XVIIIe pas très regardées par les stylistes - qui vont plutôt puiser dans le XXe siècle avec les collections de Chanel, de Balenciaga... Pourtant le XVIIIe est très riche, c'est le siècle des lumières, des textiles, des tissus, des couleurs, des imprimés, des broderies... Pour moi, c'est une source d'inspiration primordiale" explique Pierre-Louis Mascia qui pensait que ces archives n'étaient pas accessibles et n'avait donc jamais entrepris de démarches dans ce sens.
Pourtant depuis plus de 20 ans, il fait un travail de recherches mais "beaucoup plus instinctif, sans cohérence. Je chine beaucoup, mais ce n'est pas structuré. Je ne suis pas un collectionneur, je fonctionne aux coups de coeur, même si avec le temps j'ai des pièces importantes et assez jolies" précise-t-il.
Conserver les détails des pièces historiques
Avec Pascale Gorguet-Ballesteros, le créateur a réalisé une pré-sélection au sein des archives du Palais Galliera pendant deux jours. "Et là, c'est comme si on rentrait dans la caverne d'Ali Baba. C'est une redécouverte de notre histoire. On comprend mieux ce siècle (ndlr, le XVIIIe) qui a aussi défini le luxe d'aujourd'hui. On comprend la structure sociale à travers le textile, comment ce vêtement d'apparat était un signe social mais aussi le travail d'artisan qui était étonnant car c'était des vêtements très chers même pour la noblesse", souligne-t-il encore.
Lors d’une première étape, les pièces sélectionnées sont photographiées en haute définition pour en conserver tous les détails - jabot, boutons, coutures, étiquette et reliefs - ainsi que leur palette de couleurs allant du rose pâle ou céladon. Ensuite, grâce à la technologie de la société Achille Pinto, les pièces digitalisées dans l'ordinateur sont retravaillées (proportions, couleurs, placements, imprimés...), le créateur leur adjoint d’autres motifs d’époque moderne. "Je voulais justement préserver, je voulais qu'il y ait un lien direct, je ne voulais pas transformer totalement par respect pour les pièces et aussi parce qu'elles proposent déjà beaucoup en terme de coloration, de broderies. Je suis un placeur en fait, j'ai mis en lumière des vêtements qui sont dans des boîtes, des coffres en sous-sol, je les ai remis à la lumière sur des formes contemporaines, en changeant de proportions, en les télescopant à mes archives personnelles. Je voulais qu'on ait ce sentiment de XVIIIe qui a traversé le temps et qui nous rejoint en fait".
"Des pièces que l'on va voir une fois ou deux fois dans sa vie à l'occasion d'exposition"
Dans cette collection capsule, une robe de chambre d'homme matelassée, qui a presque une forme de kimono, "est du coup d'une incroyable modernité et on a l'impression de voir un vêtement d'aujourd'hui. Avec son imprimé un peu japonisant, je me suis dit déjà au XVIIIe, il y a des influences, il y a un métissage, on sent la route de la soie, on sent l'histoire", explique le créateur qui a changé toutes les proportions de cette pièce emblématique en "un petit kimono court imprimé sur du velours, intérieur soie, réversible".
"Ce qui est intéressant en travaillant avec le Palais Galliera, c'est qu'on dispose d'archives qui sont presque nominatives : on sait qui a porté ce vêtement, dans quel atelier il a été réalisé, il y a une histoire. C'est presque de l'upcycling, on va aller chercher l'existant et comment aujourd'hui dans notre époque il peut avoir sa raison d'être. Le musée conserve notre mémoire et nous remettons en lumière un peu notre mémoire, ce sont des pièces que l'on va voir une fois ou deux fois dans sa vie à l'occasion d'exposition", insiste Pierre-Louis Mascia.
Pour le créateur, la collection va au-delà d’une alliance entre histoire et technicité, passé et présent, intérieur et extérieur : "ces imprimés nous parlent de nous, de qui nous sommes, et je veux être dans cette mémoire-là. Cette collection intemporelle, entièrement en soie, et qui peut être mixée avec celle de prêt-à-porter, est avant tout une rencontre avec les personnages qui ont voulu, commandé, arboré ces vêtements. Leur intention traverse les siècles, intacte. J’y ai juste rajouté des éléments, en mélangeant les époques, en m’autorisant tout, sans tabou. Ma seule règle étant celle de la création".
Chaque vêtement (pyjamas, peignoirs, courtepointes ou vénitiennes en velours) est accompagné d’une écharpe coordonnée dont les motifs sont imprimés double face. Cette capsule est en vente sur l'eshop de Cabana, magazine italien de décoration et d'art de vivre, avec lequel le créateur a fait un partenariat.
D’inestimables collections à découvrir au Palais Galliera
Le Palais Galliera conserve d’inestimables collections, estimées à près de 200 000 oeuvres (vêtements, accessoires, photographies, dessins…), elles sont le reflet des codes de l’habillement en France, du XVIIIe à nos jours, et font l’objet d'expositions. Un an après sa réouverture en 2020, le musée de la mode de la ville de Paris a inauguré à l’automne 2021 dans ses nouvelles galeries "Une histoire de le mode. Collectionner, exposer au Palais Galliera". L'exposition retrace son histoire et celle de ses collections au travers de 350 pièces - vêtements, accessoires, arts graphiques et photographies.
Ce parcours, à la fois chronologique et thématique, propose une histoire de la mode, du XVIIIe siècle à nos jours, mettant en avant les spécificités de la période : des imprimés du XIXe siècle aux robes cocktail des années 1950, des riches matières et décors des années 1920 au minimalisme des créateurs belges et japonais à partir des années 1980. Le parcours, présenté jusqu’au 26 juin 2022, fera l’objet de deux accrochages (le premier jusqu’au 13 mars 2022, suivi d'un deuxième à partir du 2 avril 2022) pour des raisons de conservation préventive.
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