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Toulouse : interview de Philippe Faucon, réalisateur de «La désintégration»

Auteur d'un film récent décrivant la dérive islamiste de jeunes Français en perdition, le cinéaste réagit pour Culturebox aux tueries de Montauban et Toulouse.
Article rédigé par franceinfo - Annie Yanbékian
France Télévisions
Publié
Temps de lecture : 4min
Philippe Faucon avec Rashid Debbouze, l'un des acteurs de son film
 (BALTEL/SIPA)

Culturebox - Comment avez-vous réagi en apprenant que le tueur présumé se revendiquait d’un combat similaire à celui des personnages dépeints dans votre film «La désintégration» ?
Philippe Faucon - C’est quelque chose de tellement atypique, ce genre de passage à l’acte… Que quelqu’un soit capable d’aller exécuter trois enfants à la sortie d’une école, cela nous dépasse tous. On se sent en situation d’incompréhension face à ce qui peut se passer dans la tête de quelqu’un qui agit comme cela. C’est forcément quelqu’un qui a un profil atypique, pathologique d’une certaine façon. Même si, dans le même temps, il a fait preuve d’une grande maîtrise de lui-même, d’un très grand sang froid, je pense que cela demeure un profil ultra marginal. Il s’agit certainement de quelqu’un qui se trouve dans une situation très isolée, enfermé, peut-être avec quelques autres, dans une forme d’autisme, un délire qu’ils entretiennent entre eux.


- Etes-vous troublé de voir une telle affaire se produire un peu plus d’un mois après la sortie de votre film ?
- Quand on a travaillé sur le projet de «La désintégration», on a étudié certains cas, certains itinéraires connus, comme celui de Zacarias Moussaoui (un Français emprisonné à perpétuité aux USA pour son implication revendiquée dans les attentats du 11 septembre 2001, ndlr), et de quelques autres relatés dans les médias. Il s’agissait de personnes ayant assimilé le sentiment de déni qu’ils ressentaient quant à la place que la société aurait dû leur faire, à un sentiment de déni d’ordre géopolitique, mondial. Mais on n’imaginait pas du tout, en faisant ce film, qu’il puisse se produire quelque chose de l’ordre des événements survenus il y a deux jours…

Rashid Debbouze, Yassine Azzouz, Ymanol Perset et Mohamed Nachit dans "La Désintégration" de Philippe Faucon de
 (Pyramide Distribution)

- Votre film semble presque prémonitoire…
- Ce matin, je me suis rappelé d’une histoire qui m’avait marqué, celle de cet attentat commis en 1995 à Villeurbanne. Une bombe artisanale avait été placée près de la sortie d’une école juive. Elle avait explosé dix minutes avant la sortie des enfants. Dans mon souvenir, Khaled Kelkal, ce jeune homme qui avait commis plusieurs attentats avant d’être abattu par les gendarmes en 1995, était soupçonné d’être l’auteur de l’attentat de Villeurbanne. Il avait été hébergé deux jours plus tôt chez une amie, domiciliée à proximité de l’école, et qui s’était aperçue de la disparition d’une bouteille de gaz. J’avais été assez troublé, me demandant comment on pouvait arriver à commettre un tel acte. Dans mon souvenir, cette affaire n’a pas été complètement élucidée… (en réalité, l’enquête a montré que Khaled Kelkal était directement lié à cet attentat, ndlr).

- Que ressentez-vous face à ces jeunes qui importent en France le conflit israélo-palestinien ?
- Ces jeunes identifient leur propre sentiment de mise à l’écart, de «deux poids, deux mesures», au sentiment de mise à l’écart et de «deux poids, deux mesures» vécu par les Palestiniens. Dans l’affaire de Toulouse, la revendication de cet homme -s’en prendre à des enfants juifs en réaction au sort infligé aux enfants palestiniens- est injustifiable. Sur internet, beaucoup d’images circulent, montrant des enfants palestiniens victimes de bombardements. Chez un certain nombre de jeunes en France, qui ont le sentiment que ces victimes palestiniennes sont niées, on peut entendre une espèce de violence, de colère. Quelquefois, cette identification au déni envers leur propre sort et celui envers le sort des Palestiniens peut amener à commettre des violences à l'égard de personnes qui vivent en France et qui ne sont pas concernées par la situation à Gaza.

- Avez-vous le sentiment que l’Etat a échoué dans sa tâche d’intégrer ces jeunes ?
- Il y a des difficultés qui sont réelles dans les banlieues, les quartiers… On ne peut pas dire, bien sûr, qu’on ait un sentiment de réussite parfaite, il y a beaucoup de choses à revoir…

- Les politiques portent-ils une part de responsabilité dans l’aggravation de ce malaise ?
- Sûrement. Ces dernières années, l’action politique a été trop souvent remplacée par des choses faciles, des paroles de stigmatisation, de généralisation à une population entière. Bien sûr que ce type de désignation a des conséquences.

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