"Jeannette, l'enfance de Jeanne d'Arc", la comédie musicale de Bruno Dumont d'après Charles Péguy
"Jeannette, l'enfance de Jeanne d'Arc" est une comédie musicale. Cela écrit, il ne faut pas s'attendre à un plat en sauce du style "Les dix commandements", version Élie Chouraqui et Pascal Obispo, ou à une adaptation sur le mode "Jeanne d'Arc Superstar". Il y a, au départ, les textes que Charles Péguy a consacrés à la Pucelle d'Orléans : "Jeanne d'Arc", qui date de 1897 alors qu'il était encore athée, et "Le mystère de la charité de Jeanne d'Arc", de 1910, alors qu'il a retrouvé la foi catholique. Voilà qui marque déjà sa différence. Il y a ensuite le regard de Bruno Dumont. Le réalisateur de "Ma Loute" présenté à Cannes l'an dernier, et de "P'tit Quinquin" en 2014, n'hésite pas à parsemer son récit de situations en rupture, cocasses, et même parfois à la limite du ridicule.
Il serait pourtant dommage de limiter le regard porté sur ce film à ces gags qui tiennent souvent de l'anachronisme. Il va bien plus loin que ça.
Transposition
Lourdement soutenu par la musique électro-pop-rock très envahissante d'Igorrr, allégé par les chorégraphies de Philippe Decouflé, le récit construit par Bruno Dumont n'est pas aussi éloigné de nous qu'il paraît. Au XVe siècle, une petite bergère part faire la guerre au nom de Dieu. Voilà qui résonne étrangement dans notre XXIe siècle éprouvé par les actes guerriers menés par d'autres "bergers", au nom d'Allah. La vie entière de la fillette est tournée vers le Père suprême et chacun de ses actes reflète l'intensité de sa foi. Elle est certaine aussi que Dieu a confié la régence de la France à ses rois, et que les Anglais doivent en être boutés. Depuis son village lorrain de Domrémy, et sur l'injonction d'une triple apparition de saints en lévitation (rires dans la salle), Jeanne décide d'abandonner ses brebis et de porter le glaive à Orléans, à peu près au bout du monde à l'époque. La transposition tiendra peut-être du blasphème aux yeux de certains, mais son apparente pertinence est frappante. Elle incite en tout cas à la réflexion.
Chanteuses non professionnelles
Le défi que s'est lancé Bruno Dumont était grand : adapter sur des musiques modernes des textes vieux d'une centaine d'années évoquant une épopée ancienne, elle, de près de six siècles ! Le choix de comédiens mais surtout de chanteurs non professionnels est la bonne idée du film. Les deux jeunes filles qui interprètent Jeanne, Lise Leplat Prudhomme, 8 ans, puis Jeanne (oui !) Voisin, 14 ans, chantent avec la maladresse de leur âge, mais elles chantent juste et avec conviction. La fraîcheur de leur interprétation est convaincante même si l'influence du phrasé "RnB" gêne parfois. On pourra regretter cependant que les mélodies soient peu imaginatives et ressemblent souvent à une improvisation enfantine. On pourra aussi relever que ces petites chanteuses non professionnelles n'ont pas une diction impeccable et qu'il est difficile de comprendre certaines des phrases de Péguy mises en musique par Igorrr. Mais c'est finalement sans importance, car l'esprit et la grâce sont là.
Fidèle au Nord
Ne cherchez pas, vous ne trouverez pas en Lorraine les dunes de sable où Jeanne fait paître son troupeau de moutons. Bruno Dumont le dit lui-même : "Moi, je tourne toujours chez moi ! ". Donc les paysages, magnifiques, qui entourent Jeannette sont ceux du Nord-Pas-de-Calais. "La Lorraine de Jeanne est mythique, ajoute le réalisateur, elle n'a plus besoin d'être exacte."
LA FICHE
Genre : comédie musicale
Réalisateurs : Bruno Dumont
Pays : France
Acteurs : Lise Leplat Prudhomme, Jeanne Voisin, Lucile Gauthier, Victoria Lefebvre, Aline Charles
Durée : 1h45
Sortie : 6 septembre 2017
Synopsis : Domrémy, 1425. Jeannette n’est pas encore Jeanne d’Arc, mais à 8 ans elle veut déjà bouter les anglais hors du royaume de France. Inspirée de "Jeanne d’Arc" (1897) et du "Mystère de la charité de Jeanne d’Arc" (1910) de Charles Péguy, la Jeannette de Bruno Dumont revisite les jeunes années d’une future sainte sous forme d’un film musical à la BO électro-pop-rock signée Gautier Serre, alias Igorrr, et aux chorégraphies signées Philippe Decouflé.
Commentaires
Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.