"Moi, Daniel Blake", le cri de révolte de Ken Loach
Il existe certainement des habitués du festival. Et Ken Loach, avec ses 13 participations à la complétion officielle et ses 18 films présentés à Cannes fait assurément partie de ceux-là. Si on a pu s’interroger sur la pertinence de certaines de ses participations, comme ce "Route Irish", thriller poussif et boursoufflé sur fond de guerre en Irak présenté en 2010, sa dernière réalisation ne laisse aucune place au doute. Et on se dit que si Loach s’est rendu tant de fois sur la croisette, c’est tout simplement parce qu’il reste, à 80 ans, l’un des plus grands réalisateurs de notre époque.
Chef d’œuvre dépouillé
Capable, en poursuivant perpétuellement les mêmes obsessions, de se réinventer. Car le cinéaste, Palme d’or en 2006 pour "Le vent se lève", vient de signer un chef d’œuvre. De pureté et de pudeur. Un chef d’œuvre dépouillé, teinté d’une colère glaçante.Le britannique, qui avait pourtant laissé entendre que son très réussi "Jimmy’s Hall" qui contait le retour sur ses terres irlandaises d’un ancien leader communiste parti en exil aux États-Unis serait son ultime réalisation, a décidé de reprendre les armes pour nous conter l’histoire de Daniel Blake, un héros ordinaire et sublime à la fois.
Au scénario, l’acolyte de toujours, l’alter ego venu de Glasgow. Celui du magnifique "Le Vent se lève", celui de "My name is Joe", celui encore de "Sweet Sixteen". Les deux hommes, une énième fois, parviennent à nous livrer une radiographie saisissante de l’Angleterre des laissés-pour-compte. Et on sent aussitôt que ce "Moi, Daniel Blake" ne sera pas qu’un simple film de plus. Loin de là.
Fatalité sociale
Dan’ a la soixantaine. Une bonhomie toute naturelle. L’œil rieur et le contact facile. Il vit dans un immeuble modeste d’un quartier anglais défavorisé. Un quartier comme oublié. Un caddie abandonné. Des ordures qui jonchent les trottoirs qu’un chien à trois pattes tente de contourner. Là-bas, même les bêtes sont éclopées semble nous dire Loach.Dans ce décor de la fatalité sociale, Dan’ tente de continuer, malgré tout. Car, pour la première fois de sa vie, il se voit contraint de faire appel à l’aide sociale à cause d’un problème cardiaque qui l’empêche de travailler, de l’avis de son médecin en tout cas, car l’administration et ses aberrations l’obligent à rechercher un emploi, sous peine de sanction. Un drame kafkaïen aux allures de résurgence d’une époque victorienne pas si lointaine où la pauvreté était combattue par la discipline.
Mais Dan’ n’a pas les codes. Complètement sourd aux modes. Largué. Lors d’un de ses rendez-vous au "job center", il croisera la route de Katie, une mère célibataire, qui sombre. Ensemble, ils vont se battre. Elle avec rage pour ses deux enfants. Lui, fièrement et jusqu’au bout pour que ses droits soient reconnus.
On serait tenté de voir chez ce Daniel Blake, à la droiture et au désintéressement déconcertant, l’ombre de Loach lui-même. L’un des derniers cinéastes de son pays, ultra-libéral, à parler encore de cette classe ouvrière. De cette Angleterre des démunis. Des oubliés.
LA FICHE
Drame de Ken Loach - Avec Dave Jones et Hayley Squires.
Synopsis : Pour la première fois de sa vie, Daniel Blake, un menuisier anglais de 59 ans, est contraint de faire appel à l’aide sociale à la suite de problèmes cardiaques. Mais bien que son médecin lui ait interdit de travailler, il se voit signifier l'obligation d'une recherche d'emploi sous peine de sanction. Au cours de ses rendez-vous réguliers au "job center", Daniel va croiser la route de Katie, mère célibataire de deux enfants qui a été contrainte d'accepter un logement à 450km de sa ville natale pour ne pas être placée en foyer d’accueil. Pris tous deux dans les filets des aberrations administratives de la Grande-Bretagne d’aujourd’hui, Daniel et Katie vont tenter de s’entraider…
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