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"Love Life" : amour, mort et trahison dans le dernier film surprenant du réalisateur japonais Kôji Fukada

Après son diptyque "Suis-moi, je te fuis" et "Fuis-moi, je te suis" sorti en France en 2022, le réalisateur japonais revient avec un film qui aborde avec finesse les drames de l'existence humaine.
Article rédigé par Laurence Houot
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié
Temps de lecture : 7min
Extrait de l'affiche de "Love Life", de Kôji Fukada, mai 2023 (2022 LOVE LIFE FILM PARTNERS & COMME DES CINEMAS)

Le réalisateur japonais, dont on avait pu découvrir une partie de la filmographie à l'été 2022 dans le cadre de L'été Fukada, revient avec Love Life, son nouveau long-métrage à la mise en scène savante, sur une famille bouleversée par un drame. En salles le 14 juin.

L'histoire commence sur un balcon. Dans une cité d'un quartier que l'on imagine périphérique d'une ville japonaise qui n'est pas nommée, Taeko (Fumino Kimura) étend du linge en même temps qu'elle joue à Othello, un jeu dans lequel son jeune fils Keita (Tetta Shimada) excelle. Sur le terrain de sport au pied de l'immeuble, de jeunes adultes répètent une petite chorégraphie destinée à fêter bientôt l'anniversaire du père de Jiro (Kento Nagayama), le mari de Taeko.

Taeko et Jiro se sont mariés un an plus tôt, contre la volonté des parents de Jiro, et surtout du père, Makoto (Tomorowo Taguchi), qui n'accepte pas cette bru divorcée, affublée d'un enfant. Les parents de Jiro, qui habitent dans l'immeuble juste en face du jeune couple, auraient préféré que Jiro épouse son ex-petite amie plus conforme à leurs critères, et attendent faute de mieux que leur fils et leur belle-fille leur fassent "un petit-fils bien à eux". Là-dessus, débarque dans le paysage une jeune femme que Taeko identifie rapidement comme l'ancienne petite amie de son mari…

Coup de théâtre

Kôji Fukada nous embarque d'abord sur une fausse piste, celle d'une chronique amoureuse troublée par quelques aléas de la vie, et par le poids de traditions toujours vivaces au Japon. Mais très vite, le réalisateur crée la surprise avec un coup de théâtre tragique, dont il ne faut pas divulguer la teneur.

Fumino Kimura (Taeko), Tetta Shimada (Keita) et Kento Nagayama (Jiro) dans "Love Life", de Koji Fukada, mai 2023 (2022 LOVE LIFE FILM PARTNERS & COMME DES CINEMAS)

L'événement fait basculer le film dans un autre registre, qui emmène les protagonistes dans leurs plus intimes retranchements, et éclaire d'une tout autre manière cette chronique légère de la vie conjugale et familiale. La survenue du drame décuple l'intensité narrative, exacerbe les sentiments, donnant au metteur en scène le loisir de pousser plus loin les questions posées au début du film.

Des questions qui tournent comme souvent dans le cinéma de Kôji Fukada autour de la famille, des relations amoureuses, de l'incommunicabilité, de la solitude, de la trahison, du deuil : qu'est-ce que l'amour, qui circule ici entre des différents personnages en arythmie ? Qu'est-ce qui fait que l'on se rapproche, ou que l'on s'éloigne de l'être aimé, qu'on le quitte, ou que l'on reste ensemble ? Comment communiquer ? Et n'est-on pas, comme le dit un soir sur le balcon sa belle-mère à Taeko, toujours condamné à la solitude "même au milieu les autres" ?

Mise en scène savante

Kôji Fukada met en scène ce drame dans des espaces qu'il traite comme des décors de théâtre : le huis clos de l'appartement exigu de Taeko et Jiro, lieu de l'intime, qu'il joue en opposition à la géographie vaste et rectiligne des immeubles qui composent le quartier où ils vivent.

Fumino Kimura (Taeko) dans "Love Life", de Koji Fukada, mai 2023 (2022 LOVE LIFE FILM PARTNERS & COMME DES CINEMAS)

Fukada s'amuse avec des petites astuces de mise en scène, comme les montées d'escalier qu'il filme en intégralité pour nous signifier la lourdeur d'un passage d'un monde à l'autre, de l'extérieur vers l'intérieur, et inversement, ou l'allumage en cascade, rythmé comme un ballet, des éclairages publics, qui répondent au scintillement aléatoire d'un CD accroché au balcon, chahuté par le vent…

Les éléments jouent aussi leur rôle, comme souvent dans les films de Fukada : l'eau, l'océan, ou bien ici un tremblement de terre, pendant lequel Taeko essaie de maintenir en place les pièces d'un jeu, au risque de sa vie… "Attention aux répliques !", lui dit Jiro au téléphone. Fukada joue des échos entre les éléments et les événements, entre les mots prononcés et les situations, qui se répondent et s'éclairent mutuellement en s'emboîtant comme dans un savant jeu de construction.

Distances

Le film interroge aussi sur l'incommunicabilité entre les êtres et le langage, en contre-pied une fois encore, à travers le personnage malentendant de Park (interprété par l'acteur malentendant Atom Sunada), père de Keita et ex-mari de Taeko, avec qui la jeune femme communique mieux, en plus grande proximité en langage des signes qu'elle ne le fait avec son nouveau mari, Jiro.

Le réalisateur utilise aussi la mise en scène pour évoquer cette distance entre les personnages."La distance physique n'est pas toujours égale à la distance émotionnelle. Mais il y a tout de même une correspondance. J'ai donc essayé de montrer l'état des relations entre les personnages en les plaçant à une certaine distance physique, qui montre aussi l'évolution de ces relations", explique Kôji Fukada à Franceinfo Culture.

"Pour moi, le point de départ du film c'est cette chanson, Love Life, avec ces paroles qui disent : Quelle que soit la distance qui nous sépare, rien ne m'empêchera de t'aimer," explique le réalisateur. Cette chanson, à la manière d'un chœur, vient éclairer le spectateur sur les intentions du film, esquissant des réponses aux interrogations qu'il nous propose.

Kento Nagayama et Hirona Yamazaki dans "Love Life", de Koji Fukada, mai 2023 (2022 LOVE LIFE FILM PARTNERS & COMME DES CINEMAS)

En filigrane de la trame dramaturgique, Kôji Fukada pose un regard aiguisé sur une société japonaise ultra-codifiée, qui laisse peu de place à l'expression des sentiments, sur les rigidités d'un système patriarcal persistant, sur son rapport encore compliqué aux étrangers, au handicap, ou encore sur la misère sociale, habituellement peu montrée. Prix du jury d’Un Certain Regard à Cannes en 2017 avec Harmonium, en Sélection Officielle en 2022 pour son diptyque Suis-moi je te fuis, et Fuis-moi je te suis, Kôji Fukada confirme avec ce dernier long-métrage très réussi la richesse et la singularité de sa palette cinématographique.

Affiche de "Love Life", de Kôji Fukada, mai 2023 (2022 LOVE LIFE FILM PARTNERS & COMME DES CINEMAS)

La Fiche

Genre : drame
Réalisateur :
Kôji Fukada
Acteurs
: Fumino Kimura, Tomorowo Taguchi, Tetta Shimada
Pays
: Japon
Durée :
2h 04min
Sortie
: 14 juin 2023
Distributeur
: Art House Films

Synopsis : Taeko vit avec son époux Jiro et son fils Keita en face de chez ses beaux-parents. Tandis qu'elle découvre l’existence d'une ancienne fiancée de son mari, le père biologique de Keita refait surface. C'est le début d'un cruel jeu de chaises musicales, dont personne ne sortira indemne.

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