"La Femme de Tchaïkovski" : le dissident russe Kirill Serebrennikov évoque un amour impossible et tragique
Après deux ans d’assignation à résidence à Moscou, et installé à Berlin depuis plus d’un an et demi suite à son évasion de Russie, le réalisateur dissident russe Kirill Serebrennikov sort La Femme de Tchaïkovski mercredi 15 février. Dédié au destin tragique de l’épouse du compositeur Piotr Tchaïkovski, son nouvel opus est cependant moins convaincant que ses deux films précédents, mais parsemé de fulgurances. En raison de l'évocation de l'homosexualité, sujet tabou en Russie, le film a été interdit de diffusion sur le territoire.
Classique mais audacieux
En Russie au XIXe siècle, Antonina Miliukova est folle amoureuse du célèbre compositeur Piotr Tchaïkovski. Le pressant de ses assiduités, elle le convainc de devenir son époux. Mais le musicien la délaisse, préférant la compagnie des hommes. Ignorée et rabrouée par son mari, elle le suit toutefois dans ses cercles intimes. Éperdue d’amour elle endure tout jusqu’à la mort du compositeur, et finira dans un asile.
Après la naissance de la scène rock de Leningrad dans Leto, Kirill Serebrennikov reste attaché à un sujet musical même s’il ne traite pas directement de Tchaïkovski. Son nouveau film est consacré, comme son titre l’indique, à l’épouse du compositeur, sujet déjà abordé dans le biopic de Ken Russel en 1970, Music Lovers. Serebrennikov n’emprunte pas les excès du réalisateur britannique. Plus classique, il offre toutefois des scènes oniriques de toute beauté, et des audaces contrastant avec des choix plus attendus.
Vision critique
Vladimir Poutine n’a pas apprécié que le réalisateur dissident expose dans son film l’homosexualité de Tchaïkovski, qui entache à ses yeux une icône nationale. De plus le réalisateur, qui a peaufiné une très belle reconstitution de la Russie des tsars, dépeint un pays exsangue, boueux, à la population indigente et méprisée par une aristocratie frivole, alors que le potentat de Moscou est fasciné par le régime tsariste de Saint-Pétersbourg. De ce point de vue, Serebrennikov fait toujours preuve de son indépendance, à se demander comment il est parvenu à réaliser des films, toujours consacrés à son pays, avec une telle vision critique. La Fièvre de Petrov, en compétition à Cannes en 2021 était de ce point de vue un brûlot autant survitaminé que poétique sur la société russe.
Courageux et fidèle à l’histoire, La Femme de Tchaïkovski ne provoque cependant pas l’enthousiasme de Leto ou de La Fièvre de Petrov. Il est plus tiède, sans doute parce qu'il oscille entre hardiesse et classicisme. Mais la photographie est magnifique, alternant la chaleur d’intérieurs éclairés aux bougies et au gaz, et la froideur de salles vides et glaciales. Et l'interprétation tragique d’Alyona Mikhailova rachète des idées plus conventionnelles, d'un point de vue occidental, mais toujours sulfureuses dans la Russie poutinienne.
La fiche
Genre : Drame historique
Réalisateur : Kirill Serebrennikov
Acteurs : Odin Lund Biron, Alyona Mikhailova, Ekaterina Ermishina
Pays : Russie / France / Suisse
Durée : 2h23
Sortie : 15 février 2023
Distributeur : Bac Films
Synopsis : Russie, XIXe siècle. Antonina Miliukova, jeune femme aisée et brillante, épouse le compositeur Piotr Tchaïkovski. Mais l’amour qu’elle lui porte tourne à l’obsession et la jeune femme est violemment rejetée. Consumée par ses sentiments, Antonina accepte de tout endurer pour rester auprès de lui.
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