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"La Fièvre de Petrov" de Kirill Serebrennikov plonge dans l'abîme d'une autre Russie éternelle

Le metteur en scène russe assigné à résidence était en compétition à Cannes cette année avec un film sulfureux, après le magnifique "Leto" de 2018.

Article rédigé par Jacky Bornet
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 4min
Semyon Serzin dans "La Fièvre de Petrov" de Kirill Serebrennikov (2021) (SERGEY PONOMAREV / HIPE FILMS)

Assigné à résidence en Russie depuis 2017, Kirill Serebrennikov tourne toujours et sort La Fièvre de Petrov mercredi 1er décembre, après son splendide Leto en 2018. La vision de la Russie qu’il donne dans son nouveau film est des plus noires. Cette "fièvre" du titre est peut-être celle d’un artiste privé de liberté de mouvement depuis trois ans, au fond d’un gouffre, dont il ne serait pas près de sortir, pas avant 2023, aux dernières nouvelles.

Expérience vécue

Petrov a la grippe comme sa femme et son jeune fils avec lesquels il vit. Évoluant dans un milieu violent, empli de trafics, de meurtres, un univers chaotique imbibé d’alcool, Petrov perd pied, ne sait plus dans quel monde il vit. Des souvenirs d’enfance remontent à la surface et interfèrent avec le présent, comme des bulles du passé qui lui maintiennent la tête hors de l’eau.

L’épidémie de grippe à Lekaterinbourg qui oblige l’épouse et le fils de Petrov à rester confinés, renvoie à la pandémie actuelle. Mais avant elle, c’est à la situation de Serebrennikov, empêché de sortir de son pays, que fait référence le film (lire l'interview). L’univers glauque, toujours nocturne, l’impression de ne voir aucun extérieur, traduisent une claustrophobie oppressante qui transpose dans une fiction dystopique l'enfer que subit l'artiste dans son vécu d'assigné à résidence.

Abîme frénétique

La confusion des mondes dans la tête de Petrov éclate dès la première scène où il participe à une exécution capitale. La scène rappelle la toile El tres de mayo de Goya ou le film La Montagne sacrée de Jodorowsky. Mais les rôles sont inversés, se sont des hommes et femmes de pouvoir qui tombent sous les salves, pas des insurgés. Et le peloton d’exécution n’est pas composé de soldats, mais de gangsters. L’inversion des rôles traduit le chaos du monde. Mais est-il réel ou est-il celui d'un Petrov schizophrène ?

Kirill Serebrennikov filme en longs plans séquences des scènes chorégraphiées, et les mouvements sont constants dans le cadre. La bande son est hurlée, saturée d’un rock agressif. On pense à Underground de Kusturica avec lequel La Fièvre de Petrov partage la frénésie, mais en plus noir. Les souvenirs d’enfance de Petrov ne sont pas aussi rassurants qu’ils semblent. Situés dans la Russie communiste des années 60, l’URSS donc, les choses ne semblent pas avoir autant changé que ça, plus de cinquante ans après, et malgré les réformes. La politique de Poutine - qui n'est jamais nommé -, ex-KGB, président à vie omnipotent, est dans le sous-texte du film. C’est la principale leçon de La Fièvre de Petrov : le renferment d’un système sur lui-même, le visage d'une autre Russie qui semble, elle aussi, éternelle, mais pas toujours pour le meilleur.

L'affiche de "La Fièvre de Petrov" de Kirill Serebrennikov (2021). (BAC FILMS)

La fiche

Genre : Drame
Réalisateur : Kirill Serebrennikov
Acteurs :Semyon Serzin, Chulpan Khamatova, Yuriy Borisov
Pays : Russie / France / Suisse / Allemagne
Durée : 2h25
Sortie : 1er décembre 2021
Distributeur : Bac Films

Synopsis : Affaibli par une forte fièvre, Petrov est entraîné par son ami Igor dans une longue déambulation alcoolisée, à la lisière entre le rêve et la réalité. Progressivement, les souvenirs d’enfance de Petrov ressurgissent et se confondent avec le présent…

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