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"Adolescentes" : pour réaliser cet extraordinaire documentaire, Sébastien Lifshitz a filmé Emma et Anaïs pendant cinq ans, entre 13 et 18 ans

Ce nouveau documentaire de Sébastien Lifshitz fait tout autant le portrait de deux adolescentes sur le chemin de l'âge adulte que celui, très juste, de la France d'aujourd'hui. Bouleversant. 

Article rédigé par Laurence Houot
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 8min
Anaïs et Emma dans "Adolescentes", de Sébastien Lifshitz (Ad Vitam)

Anaïs et Emma ont treize ans quand on les découvre dans la cour de récréation de leur collège, à Brive, sous-préfecture de la Corrèze. Postées sur un banc, en grappe avec leurs copines, le nez dans le portable, elles papotent et gloussent, observant de loin les garçons.  

Après avoir filmé en 2012 Les Invisibles, des hommes et des femmes nés entre les deux guerres, homosexuels assumés, en 2016 Bambi, femme née dans un corps d'homme et en 2017 Les vies de Thérèse, féministe engagée dans les luttes homosexuelles, Sébastien Lifshitz a cette fois posé pendant cinq ans sa caméra en Corrèze, pour observer deux jeunes filles grandir. Reporté pour cause de Covid-19, Adolescentes, en salles le 9 septembre, est une tranche de vie, cinq ans de la vie de deux jeunes filles entre leurs 13 ans et leur majorité.  

Deux adolescentes différentes

Comme souvent les copines d'enfance, et c'est ce qui est beau, Anaïs et Emma n'ont pas grand-chose en commun. La première vient d'une famille prolétaire. La seconde grandit dans un milieu favorisé. Emma est aussi filiforme qu'Anaïs est en rondeurs. La première est bonne élève, la plupart du temps silencieuse. La seconde est une pipelette, grande gueule en classe, pas très motivée par les études.

Anaïs et Emma dans "Adolescentes", de Sébastien Lifshitz (Ad Vitam)

Que raconte le film ? Au premier plan la vie quotidienne de ces deux adolescentes, entre la maison et le collège. Anaïs doit faire avec une famille fragile, engluée dans la misère sociale et les problèmes de santé. Une mère facilement déprimée, un père un peu dépassé, un frère handicapé, des allers-retours dans des foyers. Cette âpreté n'empêche pas la jeune fille d'avoir "des rêves fous" pour la vie.

Chez Emma, le père est absent la plupart du temps. Sa mère, angoissée, est sur son dos toute la journée. Les deux jeunes filles ont en commun d'avoir du caractère, et de tenir tête aux adultes, que ce soit à la maison ou à l'école. 

"Quand il faut y aller, il faut y aller"

Premières amours, premiers baisers, premier chagrin d'amour, premières ivresses, première expérience sexuelle, premier deuil. Le brevet des collèges, le bac, l'ennui… En deux heures quinze, on assiste au spectacle de la transformation physique, intellectuelle, psychologique, de ces deux ados sur leur chemin de l'âge adulte, chacune avec son tempérament, son bagage social et familial. On a l'impression de voir deux plantes sortir de terre, s'ébrouer, et pousser vers la lumière. 

Anaïs dans "Adolescentes", de Sébastien Lifshitz (Ad Vitam)

Dans ce remarquable documentaire, rien n'est jamais surligné. La caméra se contente de filmer les jeunes filles dans leur environnement, captant tout ce qui se trouve dans son champ. Le spectateur perçoit ainsi le contexte dans les décors, au détour des conversations, comme par inadvertance.

Castées directement au collège, les deux jeunes filles sont exceptionnelles. Anaïs se dépatouille de sa vie familiale compliquée avec une grande intelligence et son arme fatale : l'humour. Emma tient son cap malgré les injonctions incessantes de sa mère. Les dialogues sont souvent drôles. "Quand il faut y aller, il faut y aller", lâche Emma à ses copines à la veille de perdre sa virginité.

L'art du contraste

Les cadres et la lumière sont soignés, les plans souvent fixes, laissent vivre l'action, la caméra toujours à bonne distance, et le son bien présent. Plus on avance dans le temps et dans le film, plus l'objectif se rapproche des visages et des corps, installant peu à peu une familiarité avec le spectateur.

Anaïs et Emma dans "Adolescentes", de Sébastien Lifshitz (Ad Vitam)

Les paysages, marqués par les saisons, sont filmés comme des tableaux qui scandent le temps qui passe, accompagnant la métamorphose des jeunes filles. Le hors-champs, sacs posés dans le hall du lycée pendant que les élèvent planchent sur le bac, contraste avec le bain d'émotions à l'affichage des résultats, que le réalisateur nous fait partager en postant sa caméra à l'intérieur de l'action.

L'adolescence est un continent à la fois ténébreux et ensoleillé.

Sébastien Lifshitz

réalisateur

Le montage joue à merveille de ces contrastes : jour/nuit, école/maison, ados/adultes, vacarme/silence, joie/tristesse… Et les paroles prononcées dans les salles de classe, dans l'intimité des maisons, font subtilement échos aux situations, comme des réponses possibles aux questions soulevées par ce film.

Un portrait juste de la France d'aujourd'hui

A travers le quotidien, le regard et le microcosme de ces deux adolescentes, Lifshitz scanne la société française et son histoire au cours de ces cinq dernières années. Avec Anaïs et Emma, on entre à l'école, au collège et au lycée, à l'hopital, dans les maisons de retraite. On croise des profs, des médecins, des infirmières, des pompiers, des jeunes, des vieux, des riches, des pauvres...

Avec Emma et Anaïs, on revit l'attentat de Charlie Hebdo, celui du Bataclan, l'élection d'Emmanuel Macron…  Ici aussi le film montre sans porter de jugement. Une caméra dans chaque famille postée devant la télé, une devant FranceTélé, l'autre devant TF1, pour regarder les résultats. "On est dans la merde", lâche Anaïs à l'apparition de la tête du nouveau président de la République.

Chez Emma, le père, commente, dubitatif : "C'est pas 1981 quand même. Aujourd'hui, je ne sais pas, les gens votent pas dépit". Emma n'en pense pas grand-chose, "du moment que c'est pas Marine, le reste je m'en fous. J'aime pas Macron non plus…", dit-elle.

"Tu crois qu'on se reverra ?"

Si ses copines sont pour la plupart "pour Marine", la politique n'est pas le sujet de leurs conversations. "Nous on faisait et on refaisait le monde", regrette son père. N'empêche, quand en classe le professeur débrief après les attentats, les ados ont des choses à dire, entre la colère et la tristesse. Le discours d'Anaïs en famille pour défendre les musulmans est un morceau d'anthologie… 

"Est-ce que tu crois qu'on se reverra ?", demande Anaïs à Emma à la fin du film. "Je pense pas, parce quand on se reverra on aura grave changé, et qu'on va avoir des vies différentes", répond-elle elle-même à sa question. "Plus tard je me vois bien dans une maison avec un chien blanc, un mari et des enfants", conclut celle qui une minute plus tôt disait à sa copine, "C'est angoissant je trouve le futur en vrai."

Adolescente est un film profondément humaniste, passionnant et bouleversant.

La fiche :

Affiche du film "Adolescentes", de Sébastien Lifshitz (2020) (Ad Vitam)

Genre : Documentaire
Réalisateur : Sébastien Lifshitz
Pays : France
Durée : 2h15
Sortie : 25 mars 2020 
Distributeur : Ad Vitam
Synopsis : Emma et Anaïs sont inséparables et pourtant, tout les oppose. Adolescentes suit leur parcours depuis leur 13 ans jusqu’à leur majorité, cinq ans de vie où se bousculent les transformations et les premières fois. A leur 18 ans, on se demande alors quelles femmes sont-elles devenues et où en est leur amitié. A travers cette chronique de la jeunesse, le film dresse aussi le portrait de la France de ces cinq dernières années.

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