Riefenstahl, Lelouch, Spielberg : les Jeux Olympiques vus par les cinéastes
20 avril 1938. "Olympia" ("Les Dieux du stade" en français) sort sur les écrans dans l'Allemagne nazie d'Adolf Hitler, qui fête le même jour son quarante-neuvième anniversaire. Voilà plusieurs années que le chancelier a découvert "La Lumière bleue" ("Das Blaue Licht") de Leni Riefenstahl. Récompensée à la Mostra de Venise pour ce long métrage, la réalisatrice berlinoise devient rapidement l'un des piliers créateurs de la propagande nazie dirigée par Goebbels. Depuis, le très connu et régulièrement cité "Triomphe de la volonté" ("Triomph Des Villens", en 1935) a fait oublier cette autre oeuvre de commande, "Olympia", qui exalte l'idéologie du parti national-socialiste à travers les épreuves des Jeux Olympiques de 1936.
Le film, en deux parties ("Fête des peuples" et "Fêtes de la beauté"), est un tract politique. Les corps des athlètes allemands, incarnations de la prétendue supérieure "race" aryenne, y sont sublimés par la caméra. Pour Riefenstahl, ce tournage est, d'un point de vue technique, l'occasion de totalement repenser la prise de vue (angles inédits, contre-plongée, ralentis), et d'innover en introduisant rails de travelling et caméras sous-marines. Au total, 300 personnes, dont 40 caméramen, et 18 mois de montage sont nécessaires à la réalisation du film. En 1939, Leni Riefenstahl reçoit une médaille d'or de la part du Comité olympique. Un podium qui fait tache.
"Tokyo Olympiades" ("Tôkyô orimpikku") est un documentaire sorti en 1965. Comme son titre le laisse entendre, sont mis à l'honneur les Jeux d'été qui se sont déroulés dans la capitale nippone l'année précédente. Réalisé par Kon Ichikawa (1915-2008), l'un des plus grands réalisateurs de l'histoire du cinéma japonais, le film ne fut pourtant pas tout à fait du goût du Comité olympique. La raison ? L'envie de Ichikawa de chercher à "humaniser" l'événement, en filmant aussi ce qui relève de l'extra sportif : des comportements dans les tribunes, les stadiers qui installent les" starting-block", les athlètes en dehors des épreuves etc. D'une durée de 2h50, le film est présenté par François Chalais comme "l'événement " du Festival de Cannes 1965, où il est proposé hors compétition. En 2014, le film retrouve une seconde jeunesse sur la croisette en atterrissant dans la section "Cannes Classics".
Retour en Allemagne. Munich a remplacé Berlin, trentre-six ans après les Jeux organisés à la gloire du führer. Ces nouvelles olympiades organisées dans la capitale bavaroise vont donner lieu à la création de plusieurs films, dont "Visions of Eight" (1973). Documentaire tombé dans l'oubli, il est le fruit des regards conjugués de huit cinéastes internationaux qui ont respectivement traité un sujet précis : l'ouverture, pour le Russe Youri Ozerov ; le lancer de poids, pour la suédoise Mai Zetterling ; le saut à la perche, pour l'Américain Arthur Penn ; les femmes pour l'Allemand Michael Pfleghar ; les sprinters pour le Japonais Kon Ichikawa (encore lui) ; le décathlon pour l'Américain Milos Forman ; les perdants pour le Français Claude Lelouch ; enfin, le saut en longueur pour le britannique John Schlesinger.
Huit angles de travail pour un scénario commun qui ne fait pas mention de la tragique prise d'otages contre la délégation israélienne (le film est toutefois dédié aux onze athlètes assassinés)."Visions of Eight", long-métrage non officiel de ces Jeux Olympiques de 1972 tourné en toute discrétion, fut par la suite peu sélectionné par les distributeurs. Cela explique sans doute pourquoi il est aujourd'hui relativement méconnu et/ou sous-estimé.
Le pitch : En 1924, aux JO de Paris, l'Anglais Harold Abrahams (Ben Cross) et l'Ecossais Eric Liddell (Ian Charleston), qui pratiquent la course à pied, se servent de leurs aptitudes sportives pour faire tomber les préjugés. Le premier, juif, surmonte l'antisémitisme et la barrière de classe pour pouvoir affronter sur 100 mètres le second, surnommé "l'Ecossais volant". Ce dernier est protestant presbytérien pratiquant. En raison de ses croyances qui lui interdisent de courir un dimanche, il se voit contraint d'abandonner la course. Liddell prend alors le départ sur 400 mètres.
Cette fiction britannique, inspirée de faits réels et dont le titre vient d'un poème de William Blake, remporte en 1982 le BAFTA du meilleur film, le Golden Globe du Meilleur film étranger et pas moins de quatre statuettes dorées aux oscars : meilleur scénario original, meilleur film, meilleurs costumes et meilleure musique. Composée par Vangélis, celle-ci devient un succès mondial, bien qu'au départ, le réalisateur Hugh Hudson avait choisir pour thème principal "L'enfant", présent sur l'album "Opéra sauvage" du même Vangélis. Un hommage (avec l'excellent Rowan Atkinson alias Mr. Bean) a été rendu au film à l'occasion de l'ouverture des JO de Londres en 2012.
Son nom à lui était sorti de l'ombre longtemps avant que Kévin Macdonald ne fasse parler de lui. En 2005, Steven Spielberg n'a plus grand chose à prouver. 23 films au compteur, le père du blockbuster ("Jaw" ou "Les dents de la mer" en français, 1975) a montré qu'il était capable, entre deux "Jurassic Park", de converser avec l'Histoire et d'en extirper un grand film, puissant, nécessaire, comme "La liste de Schindler" ("Schindler's List", 1993). Les années ont passé et le bon gros génie décide de retenter le pari de la fiction historique avec "Munich", sans doute le film le plus connu de l'échantillon proposé ici. Eric Bana, Daniel Craig, Mathieu Kassovitz, Geoffrey Rush, entre autres, sont à l'affiche d'un film qui laisse le sport aux portes du stade pour se concentrer sur l'opération "colère de Dieu", ou l'histoire d'un agent du Mossad chargé de retrouver les commanditaires de l'attentat et de les éliminer.
La préparation, le tournage (secret et sous haute protection), et la sortie du film, n'ont pas été épargnés par la polémique. Ehud Danoch, consul d'Israël à Los Angeles, a critiqué la vision selon lui réductrice du conflit israélo-palestinien contenue dans le film. Abu Daoud, le chef du commando palestinien qui a tué les onze athlètes, et Zvi Zamir, chef des services secrets israéliens en 1972, ont de leur côté publiquement dénoncé le fait que Spielberg ne les ait pas consultés, ce dernier ayant notamment préféré chercher des conseils du côté de Dennis Ross, négociateur américain au Proche-Orient sous la présidence de Bill Clinton.
En cinq minutes de générique d'ouverture, le ton est donné. Les drapeaux communistes flottent dans les tribunes en liesse d'une piscine moscovite. L'équipe de water polo russe est en train de battre la sélection hongroise, à grand renfort d'arbitrage favorable et de coups bas subaquatiques. Peu importe, l'Union soviétique ne saurait perdre la face devant un autre pays, encore moins un voisin membre du camp socialiste qu'elle contrôle. On comprend vite que la métaphore sportive s'applique à la réalité politique, bousculée en ce mois d'octobre 1956 par l'Insurrection de Budapest et l'envie d'indépendance. La réponse de Moscou sera la même que pour le Printemps de Prague douze ans plus tard, à savoir l'envoi des chars de l'armée rouge.
C'est ce moment de l'histoire contemporaine de son pays que Krisztina Goda, cinéaste hongroise à la filmographie épurée (quatre films seulement en tant que réalisatrice), a voulu raconter à travers la trajectoire de Karcsi Szabó. Athlète de l'université de Budapest et nouveau capitaine de l'équipe nationale de water polo qui doit disputer les JO en Australie l'été suivant, celui-ci ne peut ignorer les manifestations et les combats qui se jouent dans les rues de la capitale. Comme souvent, la petite histoire permet d'éclairer la grande. Par ailleurs, le film revient sur l'une des rencontres sportives les plus sanglantes de l'histoire des Jeux olympiques, "le bain de sang de Melbourne", qui opposa dans les bassins la Russie et la Hongrie en demi-finale de la compétition. Avis aux spécialistes de la discipline et passionés d'histoire, le documentaire "Freedom's fury", sorti lui aussi en 2006, revient sur cet épisode.
Passée derrière la caméra en 2012 avec "In the Land of Blood and Honey", Angélina Jolie n'a pas tardé à reprendre sa casquette de réalisatrice avec "Unbroken" ("Invinscible"), biopic sorti sur les écrans fin 2014. Comme l'a fait Morten Tyldum avec Alan Turing, mathématicien et héros de la Seconde Guerre Mondiale ("Imitation Game"), l'ex Lara Croft a souhaité exhumer un personnage oublié des livres d'histoire et dont la vie s'apparente à un roman : Louis Zamperini (1917-2014), athlète olympique qui a survécu quarante-sept jours en plein Pacifique sur un canot de sauvetage avant d'être capturé puis envoyé dans un camp de travaux forcés par l'armée japonaise.
Le film, qui possède de vrais airs "Eastwoodiens", fait la part belle au courage et à la capacité de résilience de ce fils d'immigrés italiens aux Etats-Unis, qui a surmonté plus d'épreuves qu'il est possible en une vie. Le sport, en l'occurence l'athlétisme, n'est présent que dans la première partie du film. On découvre un jeune garçon qui choisit la course à pied pour fuir une jeunesse délinquante. Entraîné par son frère, "Louie" parvient, lors d'une séance de qualifications, à faire partie de la sélection américaine pour courir le 5000m aux JO de Berlin. Le garçon de 19 ans se hisse en finale et termine 8e en bouclant le dernier 400m en 56'9, après une remontée spectaculaire. Hitler, qu'il rencontre, lui aurait dit : "Ah, vous êtes le garçon qui accélère au finish."
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