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Révolte contre le voile en Iran, résistance arménienne : que pèse le soutien des artistes ?

Plusieurs figures du monde artistique relaient les revendications des Iraniennes qui s'opposent au port obligatoire du voile dans leur pays. Les célébrités issues de la diaspora arménienne dénoncent de leur côté la guerre imposée par l'Azerbaïdjan à leur pays d'origine. Dans les deux cas, quel est l'impact de ces soutiens et protestations ?

Article rédigé par Falila Gbadamassi
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 6 min
Un dessin représentant Mahsa Amini, morte le 16 septembre 2022 après son arrestation par la police religieuse pour port de vêtement inapproprié. Il a été déployé lors d'une manifestation en hommage à la jeune femme organisée par la diaspora iranienne à Paris, le 25 septembre 2022. 
 (FIORA GARENZI / HANS LUCAS)

Des milliers d'Iraniens ont encore rendu hommage à Mahsa Amini, le 26 octobre 2022, dans le cadre de la cérémonie du 40e jour de sa mort (une tradition dans le monde musulman qui marque la fin du deuil) en faisant fi des menaces d'une République islamique répressive. La jeune Kurde iranienne de 22 ans est morte, le 16 septembre, après avoir été violemment arrêtée par la police des mœurs qui lui reprochait d'avoir mal mis son voile (hijab) dont le port est obligatoire depuis 1979. 

Mahsa Amini a déclenché une révolte historique en Iran. Anonymes, leaders de la société civile, dirigeants politiques et personnalités iraniennes ou non, issues notamment du monde culturel, ont exprimé publiquement leur soutien au mouvement de protestation qui s'étend au-delà des frontières de l'Iran. Dessins, photos, vidéos, entretiens, messages sur les réseaux sociaux : les artistes utilisent tous les moyens pour donner de la voix à la révolte.

"Atteindre les oreilles du monde entier"

Une protestation en écho aux femmes de tous âges - les plus jeunes en tête - qui retirent leur foulard pour défier les mollahs en scandant "Femme, vie, liberté". Les hommes ont rejoint le mouvement et, partout dans le pays, des manifestations sont organisées en dépit de la répression. Selon un communiqué de l'ONG Iran Human Rights (IHR) publié le 25 octobre 2022, elle a déjà fait plus de 200 morts. 

Récemment lors d'une manifestation géante à Berlin en Allemagne, c'est l'image d'une jeune femme en larmes reprenant les paroles de la chanson Baraye, devenue l'hymne de la révolte iranienne, qui a fait le tour du monde. Tout comme, avant elle, le morceau du chanteur iranien Shervin Hajipour dont l'œuvre militante lui a valu d'être arrêté

"Le soutien de personnes célèbres à l'intérieur et à l'extérieur du pays est très utile, confie à franceinfo une jeune activiste, vivant en Iran, qui a requis l'anonymat. Ils permettent à notre voix d'atteindre les oreilles du monde entier. Evidemment, les célébrités iraniennes subissent des pressions de la part du gouvernement. Comme l'auteur de la chanson Baraye qui a été poursuivi en justice après l'avoir chantée et a été détenu pendant plusieurs jours. Ou à l'instar d'un célèbre photographe iranien qui a dû fuir après avoir réalisé un clip sur ces événements". Ce dernier sera finalement interpellé. 

Cependant, "les personnes célèbres vivant à l'étranger peuvent parler plus facilement car il est plus difficile de les atteindre". La jeune femme pense notamment à la comédienne franco-iranienne Golshifteh Farahani qui, "très influente sur la toile, a sensibilisé de nombreuses personnes aux événements en Iran". Evoquant son exil et la répression dont sont victimes ses compatriotes dans un tweet publié le 24 octobre, l'actrice promettait de faire "entendre leur voix" partout où elle irait. Golshifteh Farahani est déjà intervenue dans plusieurs médias français et internationaux pour alerter l'opinion publique sur la situation dans son pays. 

Substitut à "une organisation politique d'opposition"

"Il est évident que, comme toutes les révolutions récentes, l'impact de la mobilisation de personnalités culturelles est très important sur le mouvement de fond qui est mené par une jeunesse très branchée sur les réseaux et qui suit assidûment leurs activités, estime Tinouche Nazmjou, metteur en scène et éditeur franco-iranien. "Le footballeur Ali Karimi, l'actrice Golshifteh Farahani, la chanteuse Sogand, le réalisateur Bahman Ghobadi et l'écrivain Hamed Esmailioun, en l'absence de véritable organisation politique d'opposition aussi bien à l'intérieur qu'à l'extérieur du pays, sont considérés comme les premiers leaders de ce mouvement populaire et spontané".

Au-delà de simples portes-paroles, les artistes s'impliquent politiquement. Comme la comédienne iranienne Nazanin Boniadi qui a rencontré à la mi-octobre Jake Sullivan, le conseiller américain à la sécurité nationale. Elle a par ailleurs diffusé sur ses réseaux sociaux un mode d'emploi, destiné à la communauté internationale, sur la façon de soutenir le peuple iranien. Elle suggère, entre autres, de manifester devant les ambassades iraniennes pour dénoncer l'impunité du régime. 

(Merci au conseiller à la sécurité nationale @JakeSullivan46 de m'avoir rencontrée et de réaffirmer que l'administration américaine se tiendra sans équivoque aux côtés du peuple iranien alors qu'il risque tout pour la liberté)

Cette action politique est souhaitée par la journaliste et activiste iranienne Masih Alinejad, farouche opposante au régime de Téhéran, qui a lancé depuis plusieurs années différents mouvements pour encourager les Iraniennes à se débarrasser du voile. En reprenant la vidéo réalisée par une cinquantaine de comédiennes françaises où elles se coupaient les cheveux en solidarité avec les Iraniennes, la militante a invité les femmes politiques occidentales qui avaient arboré le voile en Iran, à en faire autant.

De même, dès les premières heures du mouvement de protestation, Masih Alinejad a elle-même convié plusieurs artistes iraniens pour expliquer la situation dans leur pays. Tout comme elle publie régulièrement les dessins de l'Italien Gianluca Constantini (lien en anglais), illustrateur et militant des droits de l'Homme, qui immortalise celles qui sont devenues les symboles de la révolte iranienne. Des œuvres que l'auteur a mis  gratuitement à disposition de tous.

(Tous les dessins réalisés pour les manifestations en Iran, en haute définition, gratuitement)


L'impossible indifférence 

Au total, pour la sociologue et politologue française Mahnaz Shirali, autrice de Fenêtre sur l’Iran (Les Pérégrines), la mobilisation des stars, "des acteurs et des sportifs, avant qu'elle n'ait un impact sur le mouvement des jeunes en Iran, est la conséquence de ce dernier". "En se focalisant sur la mobilisation des artistes, prévient-elle, on ne va pas très loin". En revanche, si elle est envisagée comme "le résultat de quelque chose de plus grand, nous pouvons alors saisir son importance". Et Mahnaz Shirali de conclure : "Est-ce qu'elle aura une influence concrète sur le mouvement des jeunes ? Bien sûr, en attirant les regards sur leur sort tragique".

Sonner l'alarme, c'est ce que le réalisateur français d'origine arménienne Robert Guédiguian a encore fait. Après avoir lancé une collecte de fonds, il a demandé au maire de Marseille, sa ville, de hisser le drapeau de l'Armenie au dessus de l'hôtel de ville en soutien au pays de nouveau attaqué par l'Azerbaïdjan

Favoriser des gestes politiques en faveur de l'Arménie, cette fois-ci aux Etats-Unis, est la raison d'être de l'Armenian National Committee of America (ANCA). Elle se définit comme une organisation politique dont l'objectif est, entre autres, de sensibiliser le public "en faveur d'une Arménie libre, unie et indépendante". Une organisation qui a distingué, il y a quelques semaines, Kim Kardashian (lien en anglais), l'influenceuse et entrepreneure américaine d'origine arménienne pour son travail de sensibilisation autour du génocide arménien. 

Des médias à part entière 

"Les célébrités arméno-américaines, y compris Kim Kardashian, Cher et d'autres, peuvent avoir un impact important en sensibilisant à la culture et au patrimoine arméniens, aux défis auxquels notre patrie est confrontée et aux moyens par lesquels ceux qui les suivent peuvent aider à changer la politique américaine ou à recueillir une aide humanitaire en cas de besoin", explique à franceinfo Elizabeth Chouldjian, directrice de la communication de l'ANCA.

Par exemple, affirme-t-elle, "les posts de Mme Kardashian sur les médias sociaux en 2014, lorsque des rebelles affiliés à Al-Qaïda ont traversé la frontière turque et pris le contrôle de la ville historiquement arménienne de Kessab, ainsi que ses messages et ceux de nombreux autres pendant la guerre menée par l'Azerbaïdjan et la Turquie contre l'Arménie et l'Artsakh [Haut-Karabak] en 2020 ont contribué à sensibiliser l'opinion publique aux crimes de guerre commis contre des civils arméniens innocents. Cela à un moment où les médias grand public étaient largement silencieux ou sont devenus la proie de la campagne de désinformation de plusieurs millions de dollars menée par l'Azerbaïdjan et de la Turquie".

L'aura des personnalités culturelles s'avère, sans aucun doute, un puissant medium. Un de plus pour rendre compte des combats de ceux qui revendiquent la liberté.

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