Racisme, capitalisme, années Bush... Les messages politiques mordants des zombies de George A. Romero
Le réalisateur de "La Nuit des morts-vivants", film qui avait inventé en 1968 la figure du zombie tel qu'on la connaît, considérait que ces créatures n'avaient d'intérêt que comme des allégories politiques.
Alors qu'ils s'apprétaient à accueillir un sommet du G20, les habitants de Hambourg (Allemagne) ont vu leurs rues envahies par des créatures d'outre-tombe, jeudi 6 juillet. A l'appel d'un collectif d'artistes allemand, 1 000 Gestalten, des centaines de personnes couvertes de poussière grise ont pris part à cette "zombie walk" dénonçant les effets "destructeurs" du capitalisme.
Un happening politique qui n'aurait jamais eu lieu sans George A. Romero. Le réalisateur américain, mort dimanche 16 juillet à 77 ans, a créé la figure du zombie telle que tout le monde la connaît aujourd'hui, avec La Nuit des morts-vivants (1968). Et l'action de ces activistes allemands est dans la lignée de la vision des morts-vivants qu'avait le réalisateur. "J'ai toujours utilisé le zombie comme le personnage d'une satire ou d'une critique politique", expliquait-il au site Big Issue en 2013, déplorant la fin de cette tradition : pour lui, la série The Walking Dead, déclinaison la plus populaire du genre ces dernières années, est "un soap opera avec parfois un zombie".
Les morts-vivants importent peu – "ils pourraient être [remplacés par] un ouragan ou une tornade" –, ce qui l'intéresse est "la façon dont les gens réagissent à cette horrible situation". Du consumérisme à l'addiction aux caméras, tour d'horizon de tous les vices contemporains épinglés par la filmographie du "pape" des films de zombies.
Le racisme attaqué
Réalisé pour une bouchée de pain (100 000 dollars) et sorti en catimini en 1968 avant d'accéder, dès les années suivantes, au rang de classique, La Nuit des morts-vivants est l'œuvre qui pose les bases du film de zombies. Des morts reviennent à la vie, pour une raison qui importe peu, et terrorisent un petit groupe hétéroclite de personnes retranchées dans une maison, qui finissent par être rongées par le conflit. "On a écrit sur mes zombies comme s'ils figuraient la 'majorité silencieuse' de Nixon ou je ne sais quoi. Mais je n'y ai jamais pensé de cette façon, assurait-il en 2010 à Vanity Fair. Mes histoires parlent des humains et de comment ils réagissent."
Mais, si les zombies ne sont pas une métaphore d'un ennemi quelconque, le film est marqué par l'atmosphère de l'Amérique de 1968, en plein dans la contestation de la guerre du Vietnam et le mouvement des droits civiques. L'horreur mise en scène par George A. Romero n'est pas anodine, comme il le souligne au site Chaos Reigns.
Le pays était dans la décadence et on essayait d’enjoliver ça par tous les moyens. Il était important de mettre un coup de pied dans la fourmilière.
George A. Romeroà Chaos Reigns
Et c'est le sort réservé au héros, Ben, qui porte la charge politique la plus lourde. Dernier rescapé du groupe, il survit aux zombies en se cachant dans une cave, dont il sort au petit matin, à l'arrivée d'un groupe d'hommes... qui l'abattent, le prenant lui aussi pour un monstre. Ben est noir, détail qui a son importance dans une Amérique où les lynchages ne font pas encore partie du passé. Est-ce un geste politique de George A. Romero ? Le réalisateur reconnaît qu'au départ, il ne cherchait pas particulièrement un acteur noir, mais que Duane Jones "était simplement le meilleur acteur parmi nos amis".
De là, son récit diverge selon les interviews. "Nous n'avons pas changé le script. (...) La même chose arrivait au personnage blanc", assurait-il au Telegraph en 2013. Mais, en 2016, il explique au site Chaos Reigns que "tous ces problèmes raciaux de l’époque nous ont un peu plus incités à jouer sur cette carte-là". Quoi qu'il en soit, le réalisateur raconte que, quelques heures après avoir tourné cette dernière scène, en avril 1968, alors que l'équipe du film est en route vers New York pour tenter de vendre son film, elle apprend, à la radio, l'assassinat de Martin Luther King.
Le consumérisme croqué
George A. Romero a beau être passé à la postérité pour ses zombies, il a fallu dix ans et quatre films sur d'autres sujets, pour qu'il y revienne. Il raconte à Big Issue avoir longtemps cherché une idée à la hauteur de son premier coup de maître, avant d'avoir une révélation : "Quand le premier grand centre commercial a vu le jour en Pennsylvanie – je n'avais jamais rien vu de tel – il ressemblait à un temple du consumérisme, et j'ai su que je pouvais en faire une satire."
Ce sera Zombie (Dawn of the Dead aux Etats-Unis), sorti en 1978. Les quatre personnages principaux, fuyant l'apocalypse zombie, se terrent dans un centre commercial, encerclé par les cadavres errants d'anciens clients. "Pourquoi viennent-ils ici ?", s'interroge un personnage. "Une sorte d'instinct. Le souvenir de ce qu'ils faisaient. C'était un endroit important dans leur vie", explique un autre. "Après la contestation des minorités, les zombies sont eux-mêmes devenus la majorité : ils bouffent et sont horribles, ce sont des consommateurs", analysait Jean-Baptiste Thoret dans Libération en 2005. Pour ce critique, directeur d'un ouvrage sur la politique dans l'œuvre de George A. Romero, ce dernier "assène son message politique frontalement : 'On est tous des consommateurs, on est tous des zombies, et ça nous tue !'"
Les héros reproduisent ce même travers, se coupent du reste du monde dans ce lieu alors à la pointe de la modernité où ils trouvent tout ce qui leur est nécessaire, y compris des armes à volonté. "Les humains de Zombie ont tout ce dont ils pourraient rêver, mais finissent par rester assis à ne rien faire, aussi inertes que les zombies", détaille le cinéaste à Big Issue. Le film aura droit à un remake en 2004 par Zack Snyder, l'auteur de 300, dans une version rythmée mais vidée de son sens satirique, estime George A. Romero, cité par le Telegraph : "Mon film devait être fait au moment exact où il a été fait, parce que ce genre de centres commerciaux étaient totalement nouveaux."
L'Amérique de Bush dévorée
Après un troisième film de zombies, Le Jour des morts-vivants, en 1985, qui met en scène un scientifique reniant toute éthique et des soldats autoritaristes, George A. Romero ne revient aux zombies qu'en 2005, avec Land of the Dead. Cette fois, les morts-vivants ont envahi le monde et les humains vivent recroquevillés dans une cité fortifiée. La lutte des classes est abordée frontalement.
Ce nouveau film montre un empire isolé, enclavé, une pointe séparée d'un monde hostile où la fracture sociale est terrible : il n'y a plus de classe moyenne.
Jean-Baptiste Thoret, critique de cinémadans Libération
"Soit on fait partie de l'élite, soit on est un zombie", les plus riches étant perchés dans "une tour de verre, façon World Trade Center". La métaphore est simple, très simple : "J’ai tendance à prendre tous les sujets sous-jacents très sérieusement et à les aborder frontalement", reconnaît George A. Romero dans son interview à Chaos Reigns.
Outre la fracture sociale, c'est l'obession sécuritaire des années Bush qui est mise en scène. Jean-Baptiste Thoret y voit "un pamphlet contre l'Amérique en guerre en Irak, avec cette séquence incroyable de torture, qui rappelle évidemment Abou Ghraib", un scandale qui n'a éclaté que deux ans plus tôt. "On ne négocie pas avec les terroristes", lâche même le méchant du film, citant mot pour mot le président américain. Une façon de commenter l'actualité brûlante que le cinéaste revendique : "Je plaisante parfois en disant que je suis le Michael Moore de l’horreur", confiat-il à Boston Latino TV en 2010.
L'addiction à la vidéo démembrée
"Après Land, je voulais faire quelque chose sur les médias émergents et le journalisme citoyen". George A. Romero poursuit son exploration du genre avec Diary of the Dead, tourné en 2007 et sorti l'année suivante. Un film où l'action est vue à travers la caméra des héros, des étudiants en cinéma qui tournent un film quand éclate l'apocalypse zombie. Il met en scène l'irruption des morts-vivants avec les images emblématiques de l'époque, celles tournées par les petites caméras et les téléphones. Une mise en scène qui reprend un concept éprouvé en en 1968, avec La Nuit des morts-vivants, où il avait filmé à la façon dont les combats au Vietnam étaient filmés à l'époque.
Mais il poursuit surtout sa critique sociale. Ses personnages ne cessent jamais de filmer, même lorsqu'ils doivent aider leurs camarades en danger. "Le film brocarde le déferlement ininterrompu d'informations et l'hystérie collective avec laquelle l'humanité balance sur le net le moindre film capté au téléphone portable", explique Libération à sa sortie. Il se termine d'ailleurs, après la mort de l'aspirant cinéaste, par le monologue d'une de ses amies, dégoutée par le jeu de massacre de zombies auquel il s'est livré, caméra en main : "Ils se sont servis de personnes mortes, juste pour s'amuser. (...) Méritons-nous d'être sauvés ?" Quarante ans après La Nuit des morts-vivants, le portrait de l'humanité par le "pape" des zombies est toujours aussi cruel, tranche Libération : "Le pessimisme est sans aucun doute la principale qualité de George A. Romero".
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