Mort de Paolo Taviani : de "Padre padrone" à "Kaos", cinq films mémorables réalisés avec son frère Vittorio

Paolo Taviani est mort en laissant derrière lui des films inoubliables, coréalisés avec son frère, sur l’Italie de la Seconde Guerre mondiale, les milieux populaires ou la religion. Retour sur cinq d'entre eux.
Article rédigé par franceinfo Culture
France Télévisions - Rédaction Culture
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Une scène du film "Kaos" (1984) réalisé par Paolo et Vittorio Taviani. (NANA PRODUCTIONS / SIPA)

Les frères Taviani ont formé un duo mémorable dans l'histoire du 7e art et ont cosigné au total une quinzaine de longs-métrages, le plus souvent des adaptations de la littérature italienne. Parmi eux, des "films inoubliables, profonds, engagés", a salué Roberto Gualtieri le maire de Rome jeudi 29 février sur X. Il annonçait la mort de Paolo Taviani mort à l'âge de 92 ans. Retour sur les cinq films les plus marquants de sa carrière.

"Padre padrone" (1977)

Adapté du roman autobiographique de Gavino Ledda Padre padrone : L'Éducation d'un berger sarde, le film se déroule dans la Sardaigne des années 1940. Le film reçoit la Palme d'or au Festival de Cannes en 1977. Le film raconte l’histoire du petit Gavino âgé de 5 ans, contraint d'abandonner l'école après deux mois pour aider son père berger à garder les animaux. Isolé, loin de la société, c'est grâce au service militaire, à l'âge de 21 ans, qu'il échappe à l'emprise de son père.

Filmée comme un chemin d'initiation, l’adaptation montre le parcours de Gavino pour entrer en plein contact avec la société. Le protagoniste apprend à lire, ce qui est pour lui une révélation. Gavino réussit à dépasser la résistance du père. Premier invité à assister à la projection du film, l’auteur Gavino Ledda ne put s'empêcher de pleurer lorsqu'il vit la scène où le père, après avoir battu l'enfant, le prend dans ses bras et que, sur la bande-son, débute un chant sarde de douloureuse imploration.

"La Nuit de San Lorenzo" (1982)

Grand prix au Festival de Cannes 1982, la trame du film suit, à quelques modifications près, celle du premier film réalisé par Paolo et Vittorio Taviani, le court documentaire de 44 minutes, San Miniato luglio (1954). Il s’agissait d’une reconstitution du massacre perpétré par les nazis dans la cathédrale de leur propre commune natale, San Miniato, en juillet 1944. Cet événement, le plus traumatisant dans l'histoire personnelle des frères Taviani, fit, inévitablement, l'objet de leur première réalisation et a également inspiré La Nuit de San Lorenzo.

Dans le film, une femme se remémore une autre nuit de la Saint Laurent, durant les derniers jours de la Seconde Guerre mondiale : les Allemands battent en retraite et veulent détruire un village afin de freiner l'avance des Alliés et des partisans. Un groupe d'habitants, conduits par Galvano, refusent d'obéir aux injonctions de l'armée allemande et ne se regroupent pas dans la cathédrale.

"Dans le film, nous n'avons pas raconté les choses telles qu'elles se sont déroulées, mais au contraire telles qu'elles se sont métamorphosées dans la conscience des survivants, dans l'imaginaire collectif. (...) Nous n'avons jamais cherché à faire un cinéma qui soit trop lié à l'histoire ou à la chronique", expliquait le réalisateur Vittorio Taviani.

"Kaos" (1984)

Adapté de cinq nouvelles des recueils Nouvelles pour une année de Luigi Pirandello, le titre du film Kaos vient du nom en sicilien d'un village des environs d'Agrigente en Sicile. Divisées en quatre temps et un épilogue, les histoires sont reliées grâce à un corbeau noir planant au-dessus de la Sicile, une clochette accrochée au cou et chargé de faire la liaison entre chaque temps.

La première histoire intitulée L'Autre fils (L'altro figlio) raconte la haine qu'une mère – interprétée par Margarita Lozano – entretient à l'égard d'un de ses fils, dont la troublante apparence physique semble être la vive réincarnation de l'homme qui l'a violée. Le Mal de lune (Mal di luna) montre l'amour, l'angoisse et le désir d'une jeune mariée, Sidora, confrontée au mal inconnu de son mari Batà. Ce dernier est frappé d’une violence incontrôlable les nuits de pleine lune. Requiem dépeint la lutte de paysans contre les administrateurs bourgeois de la ville voisine, Ragusa, afin de pouvoir enterrer leur patriarche sur leurs hautes terres de Margari, et non dans le cimetière de la lointaine agglomération. Enfin, dans l’épilogue intitulé Entretien avec la mère (Epilogo: colloquio con la madre), Pirandello parle avec le fantôme de sa mère à propos d'une histoire qu'il a voulu écrire, mais qu'il n'a pas pu faire, faute de trouver les mots.

Très peu diffusé, le film a longtemps été teinté de mystère et est devenu mythique pour ses spectateurs. La sortie du film en DVD en 2006 permet de reconstituer l'ensemble du film et d’intégrer une histoire manquante, La  Jarre. C’est la version plus poétique et plus populaire de Pirandello qui séduit les frères Taviani. "Au fond, la véritable identité de l'écrivain est celle de l'homme qui a recueilli – à travers les histoires que lui racontait sa nourrice – ces récits profondément enracinés dans la Sicile", affirment-ils.

"César doit mourir" (2012)

Tourné comme un docufiction, interprété par des détenus guidés par le metteur en scène Fabio Cavalli, le film est en partie en noir et blanc. Récompensé de l’Ours d'or du meilleur film à la Berlinale de 2012, il s’agit d’une adaptation du Jules César de William Shakespeare, tournée avec des détenus d'un quartier de haute sécurité de la prison de Rebibbia, à Rome.

Les acteurs incarnent, simultanément, leur propre rôle et celui d'un personnage de la pièce. Si Cesare deve morire demeure, avant tout, une expérience sur le travail et les coulisses du spectacle dans laquelle théâtre et cinéma se font écho. Il montre aussi le processus de réinsertion et la vie pénitentiaire. "Avec reconnaissance pour Shakespeare (...) nous nous sommes appropriés son Jules César, nous l'avons décomposé puis reconstruit", indiquaient les frères Taviani.

"Une affaire personnelle" (2017)

Adapté du récit éponyme de Beppe Fenoglio, Una questione privata prend pour toile de fond la Résistance italienne dans les montagnes de la province de Coni (Piémont) en 1944. Milton, jeune étudiant devenu résistant, traverse, au cours d'une mission, la résidence habitée jadis par Fulvia, une adolescente turinoise déplacée à Alba, et dont il est follement épris. L’auteur Beppe Fenoglio avait situé l'action du récit dans les Langhe (où se trouvent des vignobles). Au moment de la préparation du film, Vittorio Taviani était malade. Il n'a donc pas participé au tournage. Il est décédé en avril 2018.

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