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Le cinéaste Théo Angelopoulos, palme d'or à Cannes, meurt dans un accident

Le réalisateur grec, âgé de 76 ans, a succombé à ses blessures mardi soir dans un hôpital près du Pirée, où il avait été admis après avoir été renversé par un motard dans la rue. Le pilote est un policier qui n'était pas en service. Les secours sont accusés d'être intervenus tardivement. La Grèce est sous le choc.
Article rédigé par franceinfo - Annie Yanbékian (avec AFP)
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Theo Angelopoulos le 12 février 2009 à Berlin
 (John MacDougall / AFP)

A l'hôpital, Theo Angelopoulos a succombé à une hémorragie interne environ quatre heures après l'accident. Il avait été transféré à un hôpital du Pirée mardi en fin d'après-midi, après avoir été gravement blessé par un motard alors qu'il traversait le périphérique près de la banlieue de Kératsini au Pirée, port proche d'Athènes.

Un accident survenu en plein tournage
Le drame s'est produit alors que le réalisateur était en train de tourner un film intitulé "L'autre mer", qui avait pour thème la crise financière et la faillite de la Grèce et de l'Europe. "L'Europe était un rêve qui s'est effondré très rapidement", confiait-il en juin.

Selon l'enquête en cours, à la demande de l'équipe de tournage, la police avait coupé la circulation sur l'une des deux chaussées de la voie où travaillait le cinéaste, mais ce dernier était retrouvé du côté non protégé au moment où un motard passait. Pour l'instant, aucun élément ne semble faire part d'une vitesse excessive de la moto.

Theo Angelopoulos "avait été admis dans l'unité des soins intensifs, il souffrait de graves blessures crâno-encéphaliques, d'hémorragie interne, de plusieurs fractures partout, au thorax, au bassin, à son pied droit et son bras gauche", a indiqué à l'AFP Georges Géorgiades, directeur de l'unité des soins intensifs de la clinique privée Metropolitan. "Il a même subi des arrêts de coeur au cours de son hospitalisation avant d'être admis dans la salle d'opération (...) mais finalement il a succombé à ses blessures."

Emotion et polémique
Mercredi, les médias ont relayé une controverse sur le temps que l'ambulance a mis pour arriver sur les lieux de l'accident, soit 35 à 40 minutes, selon les différents témoignages. Un représentant syndical des ambulanciers, Ioannis Houssos, a incriminé sur la radio Flash le manque de personnel et d'entretien du parc ambulancier. Il a affirmé qu'un premier véhicule dépêché par un hôpital du centre-ville était tombé en panne, avant d'être relayé par un deuxième puis finalement une troisième ambulance dénichée dans un hôpital plus proche...

En revanche, les médias se veulent prudents sur les responsabilités respectives de la victime et du motard, un policier qui n'était pas en service, dans la collision.

Theo Angelopoulos, Palme d'Or à Cannes (24/05/1998)
 (Christophe Simon / AFP)

Palme d'or à Cannes en 1998
Né le 27 avril 1935 à Athènes, Theo Angelopoulos avait étudié à l'Institut des hautes études cinématographiques (Idhec) à Paris, où il avait également été ouvreur à la cinémathèque de Paris. Devenue une figure emblématique du "Nouveau cinéma" grec à partir des années 1970, Theo Angelopoulos avait remporté la Palme d'or de Cannes en 1998 pour son film "L'Eternité et un jour", un long-métrage en forme de réflexion sur la mort. Il avait réalisé une quinzaine de films, souvent contemplatifs, où passé et présent pouvaient se confondre. Des films ponctués de longs et silencieux plans sur fond de paysages de son pays et évoquant pour la plupart l'histoire et la société grecques.

Un autre de ses films, "Alexandre le grand", avait été récompensé en 1980 du Lion d'Or à la Mostra de Venise. Angelopoulos y dénonçait le totalitarisme, en empruntant à la tragédie antique, à la liturgie byzantine qu'à la vie rurale d'un village de Macédoine.

"Peut-être que c'est triste, mais mon ancêtre Aristote disait que la mélancolie est la source de la création", disait-il en 1999 lors de sa leçon de cinéma au festival de Cannes, un an après y avoir reçu la Palme d'Or. La mélancolie l'a toujours accompagné et baigne les paysages de ses films - loin des clichés de la Grèce touristique maritime bleue et ensoleillée - hivernaux, gris, pluvieux, montagneux et austères. "J'ai besoin de ressentir l'hiver, le gris est pour moi la couleur la plus poétique, il me permet de sortir de la prison de mon imagination, tout ce qui est gris me va bien. Le gris m'aide à imaginer", confiait-il en 2008 à l'AFP.

Eloge de la lenteur
"Pendant ma formation, j'ai ressenti sans cesse le besoin que les plans durent à chaque fois deux secondes de plus, ces deux secondes précieuses qui suivent l'action", expliquait Theo Angelopoulos. Son souhait : "faire de la lenteur une sorte de pause musicale entre deux scènes."

Theo Angelopoulos détestait la vitesse et l'absence de sens civique et collectif. Par une triste ironie du sort, il en a peut-être été la victime mardi soir. La Grèce est en tête de la mortalité routière en Europe, du fait de l'absence de discipline de ses piétons et conducteurs, du manque de fermeté de la police et du mauvais état du réseau. On ne compte plus les petites chapelles construites le long des routes en hommage aux victimes d'accidents.

Réactions
- "Nous sommes tous en deuil pour le grand réalisateur, qui avec son oeuvre a honoré la patrie", a déclaré le porte-parole du gouvernement Pantélis Kapsis quelque minutes après sa mort.
- Le ministre de la Culture Pavlos Geroulanos a salué l'oeuvre d'un "des plus importants créateurs du 7e art et ambassadeur de la culture grecque", jugeant que "dans son cas, le terme d''irremplaçable' prend tout son sens".

- Le quotidien Kathimérini a salué mercredi lui un créateur porteur d'un "nouvel humanisme".
- Le journal Ethnos a déploré la perte d'un "poète du cinéma".
- Ta Néa a rendu hommage au réalisateur "qui a fait voyager le cinéma grec au bout du monde".

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