Ce qu'il faut savoir sur les répercussions de la grève historique des acteurs américains qui a démarré le 14 juillet

Les effets de la grève des comédiens à Hollywood sont tangibles. Les festivals et la promotion des films sont privés de leurs grandes stars et le secteur vit sous la menace d'une paralysie à l'échelle mondiale. Mais peu importe ses conséquences, le mouvement social fait l'objet d'un soutien renouvelé au regard de ses revendications.
Article rédigé par Falila Gbadamassi
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 8 min
Le comédien américain Elliot Page sur un piquet de grève de la SAG-AFTRA le 15 août 2023 à New York, aux Etats-Unis. (VANESSA CARVALHO / BRAZIL PHOTO PRESS / AFP)

Un festival consacré au cinéma américain sans ses stars. C'est ce que va connaître la 49 édition du festival de Deauville qui a démarré le 1er septembre. Les acteurs américains, réunis au sein de la SAG-AFTRA, se sont joints à la grève des scénaristes le 14 juillet 2023 et ne doivent plus, entre autres, assurer la promotion de leurs films. Depuis, les rares acteurs comme Adam Driver qui apparaissent à des festivals le font grâce à des dérogations ("interim agreement"), stipulant que la production de leur film se plie à l'accord futur qui sera conclu par la SAG-AFTRA et l'Alliance des producteurs de cinéma et de télévision (AMPTP). Un dispositif, qui constitue un puissant levier dans le bras de force qui oppose le syndicat aux studios, les plateformes de streaming en premier lieu.

C'est ce que le comédien a rappelé lors de la conférence de presse de son dernier film, Ferrari de Michael Mann, présenté à la 80e édition de la Mostra de Venise qui pâtit de la grève."Pourquoi est-ce qu'une petite société de distribution [comme Neon, qui distribue le film "Ferrari" aux Etats-Unis] peut accéder aux demandes [du syndicat] mais une grande société comme Netflix ou Amazon ne le peut pas ?", s'est-il étonné, rapporte l'AFP. La dérogation dont il a bénéficié "rend encore plus évident le fait que certains sont prêts à soutenir les gens avec lesquels ils collaborent, et d'autres non", a-t-il lancé, se disant "heureux" et "fier" d'être à la Mostra pour "soutenir ce film".

Le mouvement social, qui paralyse Hollywood et par extension la production cinématographique mondiale, fait l'objet d'un soutien unanime qui s'est manifesté aux premières heures de la grève. Retour sur ses conséquences et les réactions suscitées dans les différents secteurs de l'industrie cinématographique en France et ailleurs.

Pas de stars sur les tapis rouges

La nouvelle du départ des comédiens du dernier film de Christopher Nolan, Oppenheimer, après le tapis rouge de la première, à Londres, aura été l'un des marqueurs de l'entrée en grève de la puissante SAG-AFTRA. En soutien au mouvement, ils n'avaient pas assisté à la projection du film. L'absence des stars est la première des conséquences auxquels les tapis rouges, notamment ceux des festivals, doivent faire face depuis quelques semaines. Résultat : film d'ouverture déprogrammé, remise de prix d'honneur chamboulés et absences des stars attendues pour défendre les œuvres sélectionnées. De Locarno à Deauville en passant par Venise, les plans des programmateurs ont été contrariés mais leur soutien est resté indéfectible, comme ils l'ont tous fait savoir dans les différents communiqués annonçant les désistements de leurs invités. À l’instar du festival de Deauville qui organise une table ronde sur la grève à Hollywood.

Calendriers décalés

La grève des artistes interprètes, évoluant dans l'audiovisuel, entérine la perturbation dans la mise en route de nouveaux projets et celle des calendriers des productions déjà affectées par le mouvement entamé par les scénaristes depuis mai. Les comédiens Brad Pitt, qui tournait son dernier film en Europe, et Viola Davis ont par, exemple, mis un coup d'arrêt à leurs projets en soutien à la grève.

En France, par exemple, "les répercussions directes sont pour l’instant relativement peu nombreuses parce qu’en pratique la grève concerne les activités de promotion et les nouveaux projets [pas de signature de nouveaux projets et pas de démarrage non plus]", confie à Franceinfo Culture le comédien Joachim Salinger, membre du bureau national du Syndicat des artistes interprètes (SFA), affilié à la Fédération CGT Spectacle, et qui compte "environ 5000" artistes interprètes (en dehors des musiciens réunis dans un autre syndicat). "Par contre, poursuit-il, il y a eu un accord pour que la majorité des tournages en cours puissent se terminer" bien qu'ils aient été déjà "freinés" par la grève des scénaristes.

Il y aura des conséquences "sur le travail qui dépend directement en France et en Europe de ce qu’il se passe aux Etats-Unis, cela concerne le sous-titrage et le doublage principalement. Les calendriers de production font que, de plus en plus, les œuvres diffusées sur les plateformes sont doublées avec très peu de retard par rapport à la production aux Etats-Unis ou dans le pays d’origine. Les plateformes veulent des sorties mondiales dans toutes les versions (…) Il y aura des impacts à partir de mi-septembre, début octobre : reports et annulations de projets qui ne sont pas tournés et qui ne peuvent donc pas rentrer en postproduction. Il y aura également des conséquences probablement, dès la Toussaint et après, sur des sorties de films qui n’auront pas pu être tournés ou finalisés (...)"

Cependant, tempère Joachim Salinger, "on ne peut rien prédire parce que si un accord intervient dans un délai relativement bref, le travail peut se réorganiser". L'acteur évoque également des annulations probables "de tournage et de production américaines qui devaient se faire en France et qui, étant donné les conditions de la grève, ne seraient pas possibles". "À ma connaissance, poursuit-il, il n’y a pas eu une cascade d’annulations à partir du 14 juillet sur les tournages en France parce que ceux-là avaient déjà commencé."

Ces problèmes de calendrier ont été source d'inquiétude pour les distributeurs quelques jours après le démarrage de la grève des acteurs. Sur les ondes de BFM Business, rapportait l'AFP le 20 juillet, si la grève "ne concerne pour l'instant que les films américains, beaucoup de films ont déjà commencé à être décalés et ça nous inquiète beaucoup sur l'année 2024", déclarait Richard Patry à la tête de Fédération nationale des cinémas (FNCF).

Solidarité internationale des acteurs

Le 31 juillet, dans un communiqué, "la Fédération CGT Spectacle et ses syndicats [apportaient] tout leur soutien aux syndicats et collègues qui se sont engagés massivement dans cette grève historique aux Etats-Unis". Elle en profitait pour indiquer qu'elle avait interpellé "la ministre de la Culture pour réclamer des mesures d’encadrement des technologies issues de l’intelligence artificielle qui, laissées aux seules mains des industriels de nos secteurs, pourraient représenter une véritable menace" sur l'emploi dans le secteur. Présent au Etats-Unis au moment de l'annonce de la grève, Joachim Salinger s'est rendu sur les piquets de grève de la SAG-AFTRA pour exprimer le soutien du SFA.

Même écho au Royaume-Uni avec le syndicat Equity qui a organisé des manifestations. Ce dernier indiquait soutenir "pleinement [son] syndicat frère [avec lequel il a conclu un accord dès l'annonce de la grève] dans ses revendications (...) Equity est elle aussi confrontée à des interlocuteurs qui tentent de saper les conventions collectives qu'elle a conclues. SAG-AFTRA est totalement solidaire dans ce combat".

Le syndicat britannique a rappelé à ses membres dans quelles conditions ils pouvaient participer ou non à la grève de la SAG-AFTRA (la législation anglaise est très stricte sur cette question) s'ils étaient engagés dans des productions où la question pouvait se poser. Selon Deadline, plusieurs projets ont été interrompus au Royaume-Uni, notamment les séries Silo (Apple TV+) et Andor (Disney+) ainsi que le film Amateur (Rami Malek). Les comédiens anglais souffrent déjà des répercussions de la grève aux Etats-Unis. Il n'en demeure pas moins qu'Equity compte s'assurer que des projets ne se tournent pas vers des acteurs britanniques pour contourner le mouvement social. 

Elan de solidarité similaire au Canada où les comédiens sont réunis au sein de l'ACTRA et soutien international relayé par la Fédération internationale des acteurs (FIA), dont le siège est en Belgique. "Cela va bien au-delà des acteurs américains. Il s'agit de défendre le respect et l'équité pour les acteurs du monde entier, de reconnaître leur contribution exceptionnelle au succès de notre industrie et à la création de contenus qui divertissent des millions de personnes dans le monde", a déclaré Gabrielle Carteris, la présidente de la FIA, dans un communiqué publié le 14 juillet.

En dehors des interprètes, la Société des réalisateurs de films (SRF) et la société civile des auteurs réalisateurs producteurs (ARP), qui réunissent les cinéastes français, ont exprimé en juillet leur "entière solidarité" avec les grévistes, dont le combat "traverse les frontières", indique l'AFP.

Revendications et combat pionnier

Depuis le début de la grève, Fran Drescher, la présidente de la SAG-AFTRA souligne la dimension universelle du combat mené par son organisation. Et pour cause, le syndicat est "au centre du jeu du cinéma et de l’audiovisuel mondial puisqu'il réunit les artistes interprètes qui travaillent dans ce secteur aux Etats-Unis, une industrie colossale qui donne le 'la' à plein de niveaux dans le monde entier", estime Joachim Salinger du SFA. "S'il y a des avancées importantes, en termes non seulement de salaire, mais aussi de partage de la valeur, de protection face aux risques liés à l'intelligence artificielle générative, il sera difficile pour ces sociétés qui auront conclu des accords avec la SAG-AFTRA de refuser de conclure leurs équivalents en France, en Europe ou dans d’autres pays dans le monde parce que nous sommes dans un marché mondialisé".

De même dans un registre moins optimiste, souligne le comédien, il n'est pas exclu que "sur une partie des revendications de la SAG-AFTRA (rémunération, partage de la valeur, dangers liés à l’émergence et à la massification des solutions d’intelligence artificielle générative), d’autres syndicats dans le monde affichent non seulement leur soutien et leur solidarité – comme nous avons pu le faire –, mais lancent aussi des mouvements similaires si les conditions sont réunies".

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