: Interview Festival de Cannes 2024. "Le miracle, c'est de continuer à s’émerveiller" : Paolo Sorrentino une nouvelle fois en compétition avec "Parthénope"
Le réalisateur italien Paolo Sorrentino présentait mardi 21 mars en compétition officielle à Cannes Parthénope, un film qui retrace le destin d'une jeune fille née dans la mer, belle et riche, qui traverse la vie avec ses drames, ses amours, ses bonheurs et ses souffrances.
Ce grand réalisateur italien, connu pour ses mises en scène virevoltantes et baroques, un regard ironique sur son pays et sur sa politique, propose ici un film beaucoup plus contemplatif, presque métaphysique, qui nous invite à observer les effets du temps qui passe, dans les décors magnifiques de la ville de Naples.
Paolo Sorrentino, cigare entre les doigts, tignasse poivre et sel chahutée par le vent qui souffle sur la terrasse du 6e étage du Palais des festivals à Cannes, a confié à franceinfo Culture ce qui a inspiré et nourri son dixième long-métrage.
Franceinfo Culture : D'où sort cette sirène ?
Paolo Sorrentino : Une sirène, c'est une femme qui sort de l'eau, c'est une image merveilleuse. J'aime cette image, mais ce film n'est pas une histoire de sirène, c'est l'histoire d'une femme, d'une héroïne de la vie qui, comme chacun, aime, souffre, va être déçue, décevra à son tour. C'est l'histoire d'une femme qui traverse la vie.
Qu'est-ce que vous aviez envie de dire avec ce film. Quelle était votre idée de départ ?
Ce qui me tenait à cœur, c'était le passage du temps. C'était de chercher à comprendre ce qui se passe émotionnellement pour un être quand il passe de la jeunesse à l'âge adulte, puis à la vieillesse. Tout cela m'émeut beaucoup.
"C’est le grand récit épique de la jeunesse, avec ses désirs, cette vie pleine de rêves et de promesses."
Paolo Sorrentinoà franceinfo Culture
Je suis ému qu'à un moment donné, cette époque disparaisse, que les désirs deviennent de moins en moins larges, de moins en moins longs, de moins en moins hauts, et que tout finit par s'évanouir. Comme disait Nietzsche, on devient ce qu'on est, et c'est une chose très pénible. Quand on est jeune, on se dit, je voudrais être moi-même et puis quand on y est arrivé, on a qu'une envie, c'est d'être quelqu'un d'autre. Mais c'est trop tard.
La plus grande partie du film, presque tout le film, est consacrée à la jeunesse, puis un peu à la vieillesse et vous faites une grande ellipse sur ce qu'il se passe entre les deux. Pourquoi ?
Oui, parce que je crois que la plupart des choses qui nous arrivent dans la vie, et qui sont importantes, se passent pendant la jeunesse, et c'est pour cette raison que le film s'attarde aussi longtemps sur cette période. Plus tard, quand on devient adulte, arrivent les responsabilités, on a une plus grande conscience de tout, et tout est plus prévisible. Nous avons une moins grande capacité à nous laisser surprendre, et finalement "on va au lit de bonne heure”, comme disait Proust.
Et la vieillesse ?
Je pense qu'il y a de nouveau cette capacité à s'émerveiller quand on devient vieux. La dernière scène du film montre ça, avec cette vieille dame qui regarde, émerveillée, passer ce camion déguisé en bateau. Celui qui n'a plus rien à demander, qui n'attend plus rien, retrouve sa capacité à s'étonner. Combien de fois, on peut voir des personnes âgées au coin des rues, une glace à la main, absorbés par quelque chose qu'ils ont vu dans la rue, exactement comme le font les enfants. Donc, oui, d'une certaine manière, la vieillesse est directement reliée à la jeunesse.
Pour raconter ce passage du temps, vous avez choisi une femme qui est très belle, qui suscite le désir, pourquoi ?
Je pense que ce sont des phases de la vie. Il est évident que lorsqu'un garçon ou une fille prend conscience de sa beauté, comment dire... il lui faut composer avec cette beauté. Et il y a aussi ce qui arrive avec la beauté. Parthénope découvre la force de séduction, qui n'est pas destinée exclusivement au désir, à la sexualité, à l'amour. C'est quelque chose de beaucoup plus élaboré qui amène une connaissance intime de l'autre. C'est avant tout quelque chose qui nous fait donner le meilleur de nous-mêmes.
Parthénope veut aussi être aimée pour autre chose que pour sa beauté, elle poursuit des études brillantes et se lie avec ce professeur, qui ne l'aime pas que pour sa beauté. Qu'est-ce que cela signifie pour vous ?
Elle découvre aussi toutes les conséquences de la beauté, l'attraction qu'elle exerce autour d'elle, mais aussi très vite, elle réalise que cette beauté ne lui appartient pas, qu'elle appartient à tout le monde. C'est là, en général, que nous commençons à nous inquiéter de la beauté. Et Parthénope ne fait pas exception. Elle commence à ressentir cette beauté comme un fardeau, comme une source de problèmes. C'est pourquoi, quand cette beauté devient trop pesante, Parthénope préfère se consacrer à autre chose, elle abandonne aussi ses ambitions d'actrice, qui sont liées à une idée de la beauté. Le vieux professeur remplace un peu son père manquant. C'est presque une relation filiale. Elle sait qu'ils ne deviendront jamais un couple. C'est une autre forme d'amour entre deux personnes qui ont en commun cette souffrance et ce goût pour la connaissance.
La mer est omniprésente dans votre film, qu'est-ce qu'elle représente dans cette histoire ?
Parthénope est née dans la mer. C'est un personnage libre et seul. Quand on fréquente trop souvent la liberté, la conséquence, c'est la solitude. La solitude est en partie un choix, mais aussi une conséquence de cette quête de liberté. La mer est une image parfaite pour figurer cela. Elle transmet une grande idée de liberté, et en même temps de solitude. Quand on regarde la mer, on imagine que l'on peut aller n'importe où. Mais quand on commence à nager, au bout de 100 mètres, on se sent profondément seul et on a envie de faire demi-tour.
Dans ce film comme dans tous vos films, tout est beau. Les décors sont beaux, les personnages sont beaux, la lumière est belle. Tout est beau. Même les vilains personnages sont beaux, le personnage prêtre "satanique" est beau. Pourquoi tant de beauté ?
Parce que je vois la beauté partout. Partout et dans tout, tout le temps, c'est mon problème. Et vous avez raison, pour moi, ce personnage du prêtre est magnifique, le plus beau de tous ! Le prêtre, pour moi, est beau parce qu'il parvient à faire coexister en lui toutes sortes de contradictions, avec une désinvolture que seuls les grands séducteurs possèdent. Il est paresseux, mais entreprenant. Il est ironique, mais profond. Il est idiot, mais intelligent. Et il parvient à garder confiance en lui malgré ce corps qui, selon les normes communes, est laid. Même les mannequins n'ont pas autant confiance en leur corps ! Et cette confiance le rend beau. C'est un grand séducteur, et comme les grands séducteurs, il ne fait que mettre sur la table ce qu'il a à donner, et finalement, c'est Parthénope qui a le pouvoir de choisir.
La ville de Naples est un personnage à part entière. C'est une déclaration d'amour à cette ville, non ?
Oui, parce que Naples est la ville d'où je suis parti, mais j'ai fortement la tentation d'y revenir. C'est une ville que j'aime, elle reflète aussi parfaitement mon idée de l'amour. Pour moi, Naples ressemble beaucoup à ce qu'est l'amour, c'est-à-dire à quelque chose dont on s'approche, mais en même temps que l'on fuit, qui suscite des sentiments passionnels pour l'être aimé, mais aussi une forme d'intolérance. Et c'est vraiment ce que je ressens pour Naples, avec toutes ces contradictions.
Le film parle de miracle, pour vous, c'est quoi le miracle ?
Pour moi, le miracle, c'est de continuer à s'émerveiller. Plus on vieillit, plus c'est difficile et rare, donc quand ça arrive, ça devient vraiment un miracle.
Merci à Olivier Favier pour la traduction de l'italien vers le français.
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