Festival de Cannes 2024. "Trois kilomètres jusqu'à la fin du monde" : un jeune homme dans l'étau d'un village homophobe

Le troisième long-métrage du réalisateur roumain Emanuel Parvu, une tragédie qui se déroule dans un village reculé de son pays, a bouleversé le public de Cannes.
Article rédigé par Laurence Houot
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié
Temps de lecture : 4 min
"3 kilomètres jusqu'à la fin du monde", de Emanuel Parvu, présenté en Compétition lors de la 77e édition du Festival de Cannes, mai 2024. (MEMENTO DISTRIBUTION)

Présenté en compétition au Festival de Cannes 2024, vendredi, le film Trois kilomètres jusqu'à la fin du monde du réalisateur roumain Emanuel Parvu a bouleversé la salle, qui a ovationné le film et son équipe à l'issue de la projection. "Merci", a lancé très ému le réalisateur entouré de ses comédiens.

Cette tragédie met en scène le fonctionnement d'une société rétrograde et verrouillée de toutes parts, dans laquelle un jeune homme homosexuel se retrouve enfermé et martyrisé.

L'équipe du film "3 kilomètres jusqu'à la fin du monde", de Emanuel Parvu, présenté en Compétition lors de la 77e édition du Festival de Cannes, le 17 mai 2024. (LAURENCE HOUOT / FRANCEINFO)

L'histoire se déroule de nos jours (il est bon de le préciser tant le temps semble s'être arrêté dans ce village du Delta du Danube). Adrian, 17 ans, lycéen dans une ville voisine, revient passer l'été dans sa famille dans ce petit village à "trois kilomètres de la fin du monde", en apparence paisible. Son père le taquine sur sa relation avec la jeune fille du village qui lui est promise, pendant que sa mère s'affaire dans la cuisine, inquiète des dettes que le père a du mal à rembourser.

Le soir, Adrian sort avec son amie dans la boîte de nuit du village. En fin de soirée, il raccompagne un garçon rencontré sur place. Quelques heures plus tard, Adi rentre à la maison, le visage tuméfié, le corps couvert d'ecchymoses. Son père et sa mère l'accompagnent au commissariat pour faire une déposition. Commence alors pour le garçon dont l'homosexualité est révélée à l'occasion de cette bastonnade, un cauchemar qui n'aura pas de fin.

Le pire de l'humanité

Le réalisateur met en scène dans une forme quasi théâtrale ce microcosme dans lequel chacun joue sa partition. Du policier au prêtre, en passant par les parents du garçon, et plus encore le père des agresseurs, sorte de "parrain" qui fait la pluie et le beau temps dans le village, tous s'accordent pour étouffer l'affaire. Ici on continue à se surveiller les uns les autres, comme au temps de Ceaușescu.

L'intérêt, la honte, la peur, tous ont une bonne raison de ne pas protéger l'adolescent. Comment Adi en est-il arrivé là ? L'influence néfaste de la ville, le vaccin contre le Covid 19 ? Il faut le soigner de cette maladie, exorciser le mal. On préconise des médicaments, des prières, une bible sous l'oreiller, on songe à l'envoyer chez les moines… Ainsi après la première agression le jeune homme doit encore subir la violence de sa communauté et de ses proches. Seule Llinca, celle qu'on lui a promise, son amie, l'accepte tel qu'il est et tente de l'aider.

Dans une mise en scène simple mais redoutablement efficace, le film déploie cette tragédie avec la précision implacable d'une partie d'échecs, les pièces avançant les unes après les autres inexorablement, jusqu'à refermer complètement l'étau autour du jeune garçon, séquestré dans cette impasse du bout du monde, au sens propre comme au sens figuré.

"Métaphoriquement, pour moi ce titre symbolise les réactions et le manque de compréhension de la majorité face à la minorité, c’est comme la fin du monde ou s’en rapprocher. L’absence de discussion, l’absence d’amour, mènent à la fin du monde."

Emanuel Parvu

réalisateur

Les plans sont fixes, posés, habilement cadrés, avec un jeu sur le hors-champ et, plus inhabituel au cinéma, sur le bord cadre, que l'on voit plus souvent en photographie, et qui donne une très belle esthétique au film. La lumière d'été, qui éclabousse les paysages magnifiques imprégnés de paix de cette région de la Roumanie, contraste avec la petitesse des personnages et la noirceur de l'histoire. Une tragédie humaine dans un petit coin de paradis.

Le film est servi par une formidable équipe de comédiens, notamment les deux jeunes acteurs qui incarnent Adi et Llinca, les deux seuls personnages qui semblent avoir un peu d'humanité dans ce nid de crabes empêtrés dans les combines et des traditions d'un autre âge, obnubilés par le jugement des voisins, animés par leurs seuls intérêts particuliers.

Avec ce film bouleversant, le réalisateur roumain met en scène le pire de l'humanité, dans ce qu'il a de plus banal, mais aussi le meilleur, à travers le très pur personnage de Llinca, et nous offre une grande respiration finale dans laquelle l'horizon, enfin, s'ouvre, et s'élargit.

"3 kilomètres jusqu'à la fin du monde", de Emanuel Parvu, présenté en Compétition lors de la 77e édition du Festival de Cannes, mai 2024. (MEMENTO DISTRIBUTION)

La Fiche

Genre :   Drame
Réalisateur : Emanuel Parvu
Acteurs : Bogdan Dumitrache, Ciprian Chiujdea, Laura Vasiliu
Pays : Roumanie
Durée : 
1h 45min
Sortie :   2024
Distributeur : 
Memento Distribution
Synopsis : Adi, 17 ans, passe l’été dans son village natal niché dans le delta du Danube. Un soir, il est violemment agressé dans la rue. Le lendemain, son monde est entièrement bouleversé. Ses parents ne le regardent plus comme avant et l’apparente quiétude du village commence à se fissurer.

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