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Festival de Cannes 2023. Rencontre avec le directeur de la photo Barry Ackroyd, prix Angénieux 2023 : "Je sacrifierais parfois la beauté visuelle au profit de l'histoire"

Le directeur de la photographie Barry Ackroyd a travaillé avec les plus grands cinéastes, à commencer par son compatriote britannique Ken Loach. Retour sur une carrière célébrée pendant le Festival de Cannes par l'Hommage Pierre Angénieux le 26 mai 2025.
Article rédigé par Falila Gbadamassi
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 6 min
Le directeur de la photographie Barry Ackroyd le 23 mai 2023 à Cannes, sur la Terrasse du CNC. (FG/FRANCEINFO)

Chez lui, la photographie a tout balayé, y compris son attirance pour la sculpture. Barry Ackroyd, qui est né en 1954 au Royaume-Uni, a découvert le cinéma de son compatriote britannique Ken Loach alors qu'il était adolescent avec Kes (1969). Deux décennies plus tard, ils travailleront ensemble. Riff-Raff (1991) est la première fiction sur laquelle ils forment un duo artistique. Au total, ils ont douze longs métrages de fiction en commun. Barry Ackroyd a également fait beaucoup de films avec son autre compatriote, Paul Greengrass, et a reçu plusieurs distinctions dont le Bafta de la meilleure photographie pour Démineurs de Kathryn Bigelow en 2008. Rencontre avec Barry Akroyd, prix Angénieux 2023, du nom du célèbre fabricant d’optiques français, qui rend hommage durant le Festival de Cannes aux experts de l'image. 

Franceinfo Culture : Qu’est-ce que cela représente pour vous d’être distingué par le prix Angénieux ?

Barry Ackroyd : C'est merveilleux (rires). D'abord parce que c’est merveilleux qu’Angénieux ait apporté un prix de la photographie à Cannes. Le métier en sort gagnant. Ensuite, c'est merveilleux de le recevoir quand je sais que la profession compte de grands directeurs de la photographie (sourire). C'est un grand honneur et c'est fantastique d’être reconnu pour le métier que j’ai exercé toute ma vie et que j’aime.

En tant que directeur de la photographie, vous travaillez avec la lumière. Qu'est-ce qu'elle symbolise pour vous ?

La caméra doit bouger et saisir la lumière. Une bonne image résulte de la relation entre la caméra, le sujet et la lumière. Beaucoup de mes films sont réalistes, relèvent du réalisme et j’essaie de saisir ce réalisme. Je sacrifierais parfois la beauté visuelle au profit de l'histoire. Quand on pense aux films faits avec Paul Greengrass [4 films], il ne s’agit pas nécessairement d’éclairer une belle scène, il s’agit de la saisir. C'est la même chose avec Kathryn Bigelow et Ken Loach. Cela ne veut pas dire que je ne sais pas éclairer ou que je ne peux pas faire de belles images. Des cinéastes américains comme Pennebaker [grand documentariste américain] avaient la capacité de faire fi de toutes les règles parce qu'il s'agit toujours de saisir une image quel que soit l'endroit, ce qu'elle évoque, le moment de la journée, qu'il y ait de la lumière ou pas. Cela m'a toujours stimulé, y compris ce que l'on considère comme des erreurs. 

Vous venez du documentaire et vous avez fait 12 films avec Ken Loah qui a fait du réalisme social sa marque de fabrique. Vous étiez faits pour travailler ensemble finalement...

Apparemment (rires). Le lien, parce qu’il y en a toujours un, c’est Chris Menges qui a tourné les premiers films de Ken Loach. Il se trouve que Judy Menges, sa compagne, est une amie et elle a toujours veillé sur moi comme un ange-gardien : elle me trouvait des petits boulots quand j’en avais besoin au moment où j'ai commencé à travailler. C’est elle qui m’a dit que Ken Loach avait besoin d’un nouveau directeur de la photographie.

Votre premier film de fiction ensemble, c'est "Riff-Raff"... 

Nous avions déjà travaillé ensemble sur des documentaires. Ken Loach aime auditionner les gens (rires) sur le mode "Inventons une petite histoire et voyons ce que nous pouvons en faire". Et il est très gentil quand il le fait. Il fait pareil avec les comédiens. Il prend deux acteurs, leur raconte deux histoires différentes (rires) qu'ils jouent ensemble pour observer l'électricité, l'étincelle entre les deux. Ken Loach doit savoir que vous êtes capable de comprendre sa méthode parce qu'il est très "Ken Loach". C'est un réalisateur généreux, qui veut qu'il y ait de la coopération. Dans ses films, Ken Loach traite de l'injustice. Par conséquent, le processus pour les faire doit être juste.

Le réalisme social, celui que vous filmez avec Ken Loach, a-t-il une photographie distinctive ? Comment la définiriez-vous ?

C'est ce à quoi j'ai travaillé toute ma vie (sourire). Quand vous êtes dans une situation qui relève du documentaire et que vous savez ou ressentez que c'est le seul moment où cela se produira, ce qui est souvent le cas, et si vous parvenez à la saisir, alors vous avez atteint votre objectif. Si je peux faire ça pour un documentaire quand je ne sais pas ce qui m'attend derrière une porte au moment où je la franchis, alors j'essaie de rester dans cet état d'esprit. Et quand nous sommes sur le tournage avec Kathryn, Paul et Ken, vous y allez – il n'y a pas de répétition – vous gardez cette énergie de ce que l'on découvre pour la première fois en sachant que l'on fait souvent plusieurs prises sur un film. De nombreuses caméras opèrent et vous vous arrangez pour que tout le monde reste dans l'ignorance de ce qu'il se passe. Ainsi, l'esprit de chacun reste en alerte parce qu'il faut absolument saisir "cette" image. C'est à ce moment-là que je suis le plus détendu parce que j'en sais juste assez pour y aller. J'aime d'ailleurs beaucoup travailler avec les objectifs Angénieux. De Ken Loach à Kathryn Bigelow, vous pouvez vous laisser emporter par l'histoire qu'ils racontent et continuer à avoir une sorte de contrôle qui vient de l'observation. J'adore ça. C'est passionnant.

Que diriez-vous aux jeunes qui veulent embrasser ce métier ?

En matière de mentorat, je dis toujours aux gens de trouver leur propre voie. Ce qui signifie emprunter quelque chose à tout ce que l'on voit parce qu'il en est ainsi pour chaque forme d'art. Culturellement, dans tous les domaines, nous avançons à partir de la position occupée dans le passé. J'ai reçu de bonnes nouvelles d'un jeune directeur de la photographie guadeloupéen, Jerry Amadi-Pradon, que je mentore. Il m'a annoncé qu'il avait obtenu le poste qu'il souhaitait sur un projet. Je sens la même passion chez lui. Tout comme chez mon fils qui est maintenant directeur de la photographie, Jamie Ackroyd. Sur un tournage, il faut être toujours à 100%, quelles que soient les conditions dans lesquelles on travaille parce que c'est vous : la photographie est l'expression d'un être humain qui est réel. L'intelligence artificielle est là. Cependant, le vrai cinéma fait tellement partie de notre culture que nous ne pouvons pas vivre sans. Il nous parle dans plusieurs langues, nous émeut et reflète constamment notre monde de façon inattendue. En matière de photographie, c'est ce qu'on essaie de faire.

Pourquoi n'avez-vous pas participé à "The Old Oak" ?

C'est mon choix. J'avais besoin de trouver ma propre expression.

Cela veut-il dire que vous ne ferez plus de film avec Ken Loach ?

Apparemment, c'est son dernier film. De nouveau (sourire). S'il souhaite faire un nouveau film et qu'il veut que j'y participe, je le ferai. Mais il l'a dit que ce sera son dernier film. Par ailleurs, j'ai le sentiment que nous avons atteint un endroit où l'on pouvait s'arrêter et Robbie Ryan est parfait pour lui. L'essence de ce qu'est Ken Loach est maintenue et c'est le plus important pour nous qui faisons du cinéma.

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