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Festival de Cannes 2022 : mais "qu'est-ce qui cloche chez les hommes ?" se demande Dominik Moll dans son dernier et puissant film, "La nuit du 12"

Dans son dernier film présenté vendredi au Festival de Cannes, le réalisateur du culte "Harry, un ami qui vous veut du bien", part d'une enquête sur l'asssasinat d'une jeune fille par le feu pour parler des relations hommes-femmes. Rencontre sur une terrasse de Cannes avec Dominik Moll, et explications.

Article rédigé par Lorenzo Ciavarini Azzi
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 7min
Le cinéaste Dominik Moll à la Terrasse Unifrance à Cannes, le 20 mai 2022. (LCA / FRANCEINFO CULTURE)

Une jeune femme a été immolée en pleine nuit dans un village de montagne près de Grenoble. Après le choc, l'enquête. Mais plus celle-ci avance, menée par le nouveau chef de la PJ de Grenoble Yohan et son équipe, moins on en sait. Pour le policier, les questions demeurent nombreuses, notamment sur l'attitude des jeunes hommes, connaissances, amitiés, amoureux ou "sex-friends" de la victime, qui ne semblent pas conscients du drame advenu.

La nuit du 12, de Dominik Moll, montre avec subtilité la troublante banalisation de l'horreur. Yohan, le policier, s'interroge : qu'est-ce qui fait encore sens, "qu'est-ce qui clohe chez les hommes ? ". Le film, d'une construction et d'une écriture brillantes, servi par les performances d'acteur de Bastien Bouillon, Bouli Lanners et Anouk Grinberg (pour ne citer qu'eux), a été présenté en sélection officielle au Festival hier soir, 20 mai, hors compétition, dans la section Cannes Première.

Nous avons rencontré Dominik Moll, réalisateur notamment du film culte Harry, un ami qui vous veut du bien (2000) et de Seules les bêtes (2019), sur une terrasse très ensoleillée du centre de Cannes pour parler de son film.   

Franceinfo Culture : D'où vient l'idée du film, d'un fait divers, d'une envie de revenir au polar ?
Dominik Moll : Elle vient d'une phrase trouvée dans la 4e de couverture du livre de Pauline Guéna 18.3, une année à la PJ. Il est dit : "à la PJ on raconte que chaque enquêteur a une histoire qui le hante, un crime qui fait plus mal que les autres et qui l'empêche de dormir". Cela m'a donné envie de lire ce livre où l'autrice a rassemblé ses observations à la PJ de Versailles, et ensuite d'en faire quelque chose. Les deux derniers chapitres parlent de l'obsession d'un des enquêteurs pour une affaire, celle que j'ai traitée.

De plus, j'ai déjà fait des films apparentés au polar, mais jamais du côté des flics : c'était toujours des personnes impliquées soit en tant que criminel soit en tant que victime, soit les deux. Donc ça m'intéressait. Y a-t-il une façon un peu différente de raconter une enquête policière ? Et la grosse différence dans ce récit, c'est qu'on ne trouve pas le coupable. Il n'y a pas, comme codifié dans le polar classique, le crime au début et le criminel à la fin : cela permet de porter le regard ailleurs et de voir aussi ce que produit cette non résolution chez les enquêteurs, en termes de frustration. 

Porter le regard ailleurs, c'est porter un regard sur la société ?
Oui, et comme dit le personnage principal Yohan, plus spécifiquement sur ce qui cloche visiblement entre les hommes et les femmes ou chez les hommes tout court. Le film porte le regard là-dessus, d'autant plus que la PJ est un milieu quasi exclusivement masculin, qui va enquêter sur des crimes d'autres hommes, parfois ou souvent commis envers des femmes. Que leur renvoie cette violence d'hommes envers les femmes et que raconte-t-elle sur leur propre masculinité ? Très vite on a senti que le vrai fil rouge du film était dans ces questionnements-là. Et le personnage de Yohan va voir petit à petit son système de pensée se déconstruire. Il va alors regarder les choses un peu différemment, confronté à des paroles de personnages féminins qui sont rares dans le film, mais qui ont un vrai poids.

Que raconte de notre société les comportements humains décrits dans le film ?
Ce qui est dit, c'est qu'il y a effectivement quelque chose qui ne fonctionne pas entre les hommes et les femmes. Et pour arriver à améliorer les choses ou aller vers une réconciliation, il faut que les hommes bougent, comme le fait le personnage de Yohan. Donc il faut écouter la parole des femmes en espérant que ça déclenche un questionnement. Le film ne donne pas de solution, ce n'est pas son but, mais se poser des questions en tant qu'homme, c'est déjà un premier pas vers une amélioration de la situation en France.  

Il y a des moments de suspension qui scandent le film, sortes de digressions ou moments d'évasion du récit strict : les scènes du vélodrome – Yohan est cycliste amateur -, et les paysages de montagne. Comme avez-vous imaginé ces scènes ?
Le vélodrome n'est pas vraiment une évasion (rires), c'est plus un enfermement.  J'avais envie, de manière intuitive, de situer l'action à la montagne. Je trouve les montagnes toujours très cinématographiques et la vallée de la Maurienne où on a tourné est une vallée industrielle, donc elle n'a pas ce côté "pittoresque", ça me plaisait aussi. Ce n'est pas pour la beauté des paysages, la montagne. Cette vallée, c'est presque une extension du vélodrome : on est encerclés comme si on était enfermés par les montagnes ou les systèmes de pensée théoriques, et que pour s'en échapper il fallait escalader la montagne, monter les cols et ne pas rester en bas dans la vallée. Ce n'est pas une idée que j'ai théorisée avant, c'est maintenant que je m'en rends compte.  

Et ces scènes reviennent comme une scansion…
Oui, c'est comme un petit refrain qui revient, mais il y a aussi une progression, ça grimpe en intensité. Dans la dernière scène de vélodrome, Yohan pousse vraiment l'effort et on sent qu'il essaye de s'oublier, d'évacuer toute la tension, la colère qui a pu s'accumuler en lui.     

La musique est très importante dans le film, notamment dans ces scènes…
Elle rajoute au romanesque, pour dire clairement : c'est une fiction. Le compositeur a eu cette intuition d'utiliser beaucoup les voix, comme par rapport à des fantômes, ces morts qui nous hantent, ou par rapport à l'essoufflement de Yohan sur le vélo. Mais il fallait que la musique n'en rajoute pas dans le sordide : celle qui ouvre le film ou qui le clôt a quelque chose d'assez lumineux. C'était important parce que même si on ne trouve pas le coupable à la fin, pour moi ce film n'est pas un constat d'échec. Je ne voulais pas de l'idée que ça ne sert à rien de travailler, parce que de toute manière, ça se solde par un échec. Non. Je voulais que le film ouvre sur quelque chose.

Et donc le fait que Yohan ait fait cette évolution, s'échappe du vélodrome et envisage aussi la suite avec ses nouvelles impulsions données par une juge d'instruction et par une jeune flic ; le fait que tout à coup, ces femmes qui ne faisaient pas partie de son monde, tout cela lui apporte quelque chose est aussi une voie vers l'avenir. En tout cas, ils vont continuer à enquêter avec des résultats ou non, mais avec l'idée de ne pas baisser les bras.   

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