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Cannes 2019 : rencontre avec Lorenzo Mattotti qui signe son premier film d'animation, "La fameuse invasion des ours en Sicile"

"La fameuse invasion des ours en Sicile", premier film d’animation de Lorenzo Mattotti, était présenté mardi 21 mai en compétition dans la section Un certain regard. Nous avons rencontré l'auteur, peintre et illustrateur de renom, venu de la BD.

Article rédigé par Lorenzo Ciavarini Azzi
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 6min
Lorenzo Mattotti le 21 mai sur la terrasse Albane du Marriott Hôtel à Cannes. (Lorenzo Ciavarioni Azzi/franceinfo Culture)

Lorenzo Mattotti, auteur de BD, peintre, illustrateur (il a entre autres réalisé l’affiche du Festival de Cannes en 2000), réalisateur notamment d’un court métrage faisant partie du film à sketches Peur(s) du noir présente à Cannes son premier long métrage, La fameuse invasion des ours en Sicile dans la section Un certain regard.

Adaptation d’un roman pour la jeunesse de Dino Buzzati, le film conte l’histoire d’un peuple d’ours qui s’installe en Sicile où il doit cohabiter avec les hommes. Une fable fascinante et très actuelle où l’on retrouve l’univers graphique de Lorenzo Mattotti tout en mouvement et en couleurs. Nous avons vu le film dans sa version italienne, mais il y a également une version (originale) française, avec notamment les voix de Leila Bekhti et de Jean-Claude Carrière.

Nous avons retrouvé Lorenzo Mattotti sur la terrasse Albane du Marriott Hôtel sur la Croisette, à quelques heures de sa montée des marches.


Franceinfo Culture : C’est votre premier long métrage. Comment avez-vous pensé le film, avez-vous eu des partis pris de mise en scène ?
Lorenzo Mattotti : Oui. Au départ mon parti pris était un peu trop illustratif : il donnait pour acquis trop de choses liées à Buzzati, comme si c’était mon dialogue personnel avec l’auteur, ce qui n’allait pas pour un film. J’ai donc dû revoir ma copie avec le langage propre du cinéma, prendre le point de vue du personnage, entrer à l'intérieur de celui-ci. Et puis il y a ces grandes séquences d’images, qui sont par moments théâtrales, et par moments fixes pour donner l’idée des paysages. Je me suis adapté, grâce aux professionnels qui m'entouraient, parce que je voulais faire un film populaire, pas un film d’élite, d’auteur, que j'aurais fait plus facilement, avec un petit budget. Mais ce n’était pas le pari.

Il y a au début du film une référence à La Strada de Fellini…
Oui, La Strada, c'est comme une évidence, même si je voulais un peu en sortir… Les deux compères de mon film sont moins dramatiques que ceux de Fellini (rires) ! Mais il y a tellement de choses… Il y a aussi l’amour pour la Commedia dell’arte, les personnages sont des "masques", chacun avec ses mouvements personnels. Dans la version italienne de mon film, il y a le jeu des accents régionaux, et cela donne une couleur aux personnages. J'avais en tête aussi Brancaleone s’en va-t’aux croisades (comédie de Monicelli de 1970, NDLR), l'envie de jouer avec le langage, la légèreté, le côté ludique.

Comment l’univers de Buzzati vous a influencé ?
L’univers de Buzzati m’a influencé depuis l’âge de 17 ans. Il m’a influencé dans l’atmosphère, dans les colorations, dans les tonalités, dans sa capacité d’évoquer quelque chose qu'on ne connaît pas précisément, de créer le mystère, une certaine attente, des rumeurs. Il raconte les légendes de saintes qui n’existent pas, des miracles… Il y a chez Buzzati tout ce monde dont je me suis imprégné. Mon court-métrage Peur(s) du noir est d'ailleurs plus lié encore à Buzzati que le film d'aujourd'hui. Mais en revanche, j’ai trouvé dans La fameuse invasion des ours de Sicile, tout ce qui potentiellement pouvait en faire un grand film d’animation, un film spectaculaire.

Il y a une dimension politique dans cette histoire des ours…
Il y a du politique déjà dans le fait de réaliser cette grande histoire fantastique qui puisse s’adresser notamment aux jeunes. Quelque chose qui ne soit stéréotypée par rapport aux schémas américains dont on est complètement accoutumés. Malheureusement nos enfants, quand ils pensent à une chose, ils pensent tous à la même chose, ils ont tous le même imaginaire. Heureusement il y a les Japonais, merveilleux, comme Miyazaki, qui se sont d'ailleurs approprié certaines de nos cultures pour créer leur propre monde. Pourquoi ne se serions-nous pas capables de faire la même chose ?

Image tirée du film "La fabuleuse invasion des ours en Sicile" de Lorenzo Mattotti. (Prima Linea Productions – Pathé Films – France 3 Cinéma – Indigo Film)

Certes. Mais je pensais plutôt à la dimension politique de l'histoire des ours. Il y a notamment l'évocation de la possibilité de cohabitation de populations d'origines différentes, mais pas seulement…
Il y a dans le film des agissements par calcul, par prudence, par ingénuité... Des vices humains, comme le désir du pouvoir. Mais il y a aussi chez Léonce l’amour pour la nature. Et il y a un fils, le prince, qui perd peu à peu son identité parce qu'il grandit dans un autre pays, dans une autre culture. Difficile de trouver plus actuel ! Je le vis moi-même avec mes enfants qui grandissent avec cette culture mixte. Et enfin il y a les monstres, les fantômes, dont on a peur d’abord, et qui deviennent des amis avec lesquels on danse. Ce sont des métaphores très belles.

Comment s’est fait le choix des voix, pour la version italienne et la version française du film ? La voix grave (italienne) de l’écrivain Andrea Camilleri (créateur du célèbre commissaire Montalbano, icône italienne, NDLR) est une trouvaille de premier plan…
C’est un grand cadeau que m’a fait Camilleri, de pouvoir utiliser sa voix : c’est un beau symbole, le grand vieux qui raconte, mémoire du passé, mémoire des histoires anciennes transmises aux générations prochaines. Pour la version française, on a utilisé la voix de Jean-Claude Carrière, immense scénariste de Bunuel et de Truffaut, grand narrateur. J’ai pensé que ce personnage de vieil ours avait besoin de voix symboliques et puissantes.

On a fait des recherches de voix et italiennes et françaises, sachant que la base du film est française. Certaines se sont imposées comme Bidegain pour Gédéon, il joue avec la fantaisie, le baroque. Pour la partie française, nous n’avons pas vraiment cherché de stars. Pour la partie italienne, j’avais Antonio Albanese (grand comédien outre-Alpes, NDLR) clair dans mon esprit et puis Corrado Guzzanti, et Toni Servillo (deux autres stars du cinéma italien, NDLR), ce sont vraiment de beaux cadeaux.

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