Cannes 2019. Remise du Carrosse d’Or à John Carpenter : "Je suis l’anti-Spielberg"
John Carpenter a reçu ce mercredi 15 mai, le Carrosse d’Or, une distinction que la Quinzaine des Réalisateurs remet chaque année à un cinéaste pour l’ensemble de sa filmographie. Le réalisateur de The Thing et de New York 1997 avait auparavant rencontré le public cannois.
John Carpenter, le réalisateur de The Thing, Halloween, New York 1997 ou encore The Ghosts of Mars recevait le 15 mai 2019 le Carrosse d'Or, la distinction décernée chaque année par la Quinzaine des Réalisateurs à un cinéaste pour l'ensemble de son oeuvre. Succédant à Martin Scorsese, le spécialiste du film de terreur avait rencontré le public cannois quelques heures auparavant et répondu à ses questions au théâtre Croisette qui abrite la section parallèle.
Entré sous un tonnerre d'applaudissements après la projection de son film The Thing, Carpenter, 71 ans, n'a réfuté qu'une question : celle qui lui demandait quel cinéaste il rêvait d'être à ses débuts. Trop personnel, a-t-il ajouté. A une autre, avant de répondre succintement, il déclarait plein d'un humour digne de Woody Allen : C’est une question trop difficile pour moi, avant de vous répondre, je dois aller consulter mon psychanalyste !
Voici quelques extraits de cette heure et demie passionnante.
John Carpenter : Mon grand rêve c’était de devenir un cinéaste professionnel et à l’époque tout passait par les studios et c’était tous les enjeux de ma vie et de mon ambition que de passer par les studios et de devenir le cinéaste que je voulais.
Le succès de Halloween
John Carpenter : Je n’avais pas la moindre idée qu’Halloween était un succès, parce qu’à l’époque les films sortaient d’abord à Los Angeles et après c’était les mêmes copies qui voyageaient de ville en ville. Il fallait attendre ensuite les réactions à chaque projection dans chaque ville. Donc, à Los Angeles ça a fait un bide, je me suis dit « voilà c’est parti, c’est un film qui n’a pas plu, c’est un bide ». On a dit c’est complètement nul, c’est un navet, Carpenter ne sait pas travailler avec les acteurs. Donc j’en ai pris pour mon grade et j’ai attendu d’autres critiques dans les villes suivantes et il paraît qu’une fois arrivé à New York, un nouveau regard a été porté sur le film, j’ai oublié le nom de celui qui a écrit le papier et qui a dit que c’était un bon film. Donc il a eu une espèce de renaissance mais dont, moi, je n’étais pas du tout au courant. Je ne savais pas que le film avait rencontré là-bas du succès et du retentissement à l’échelle du pays. Mais il se trouve que le directeur du studio m’a invité à déjeuner et ça, ça m’a mis la puce à l’oreille. Je me suis dit « si lui m’invite à bouffer, ce n’est pas parce que ma tête lui revient, ça doit être parce qu’il me considère comme un cinéaste rentable ». J’avais dû leur rapporter de l’argent et ça a été super… ça a été une vague sur laquelle j’ai surfé, ça n’a pas mis de pression, ça a été une opportunité que j’ai saisie.
John Carpenter parle de la peur, le fil rouge de sa filmographie.
La résistance au pouvoir des studios
John Carpenter : Je suis complètement dans la marge, je ne suis pas fait pour le moule des studios, je me suis toujours considéré comme une sorte d’électron libre. Il y a tout un processus, comme d’aller dans les fêtes et de se faire connaître que je ne sais pas faire. En revanche ce qu’on m’a appris à l’école de cinéma, c’est qu’il faut se battre pour imposer sa vision. Quand vous êtes cinéaste, c’est vous qui savez le film que vous êtes en train de faire, il ne faut pas se laisser dicter par les autres. je me suis bien tenu à cette leçon-là et je leur ai dit : Tirez-vous de là, ne touchez pas à mon film, c’est mon film, c’est moi qui sait ce que je veux en faire.
J’ai eu le final cut sur la plupart de mes films (la décision sur le montage final du film, aux Etats Unis contrairement à la France, les studios ont souvent la primauté sur le réalisateur NDLR) mais ça n’a pas toujours été simple. En 1977, il y a eu cette bataille et les studios ont tout fait pour que nous ne l'ayons pas et vous, les Français, vous êtes très chanceux de l’avoir automatiquement, nous, nous devons nous battre pour l’obtenir, il faut livrer une guerre et ce n’est pas simple.
Pour la fin de The Thing, il y a eu beaucoup de discussions, mais étrangement, cette scène était déjà écrite, ils avaient lu le scénario et ils ne m’avaient pas vue venir. A la lecture ils n’avaient pas senti la dimension très noire de la séquence finale. Et c’est une fois que je l’ai tournée que là ils ont pris la mesure de ce que c’était. On a fait comme à l’accoutumée une séance de tests. Après ces tests, ils ont voulu couper. Toute la discussion dans la neige avait disparu, c’était directement Kurt Russell qui revenait s’asseoir dans la neige et ça ce n’était pas possible pour moi. Ce côté extrêmement sombre et extrêmement pesant a parcouru tout le film. Il fallait que la fin soit conforme au reste. Donc on est revenu à ce que j’avais tourné.
Quand j’en avais marre de bosser pour les studios, je m’empiffrais de films de Dario Argento et je me disais : mais quelle liberté il a, lui, de faire ses films et pourquoi est-ce je n’aurais pas moi aussi cette liberté ? Je me suis dit, qu’ils aillent se faire foutre ! Je fais ce que je veux, je fais le cinéma d’horreur que je souhaite faire en balançant ce que je veux mettre, dans mes films…
Est-ce que ce n’est pas la discussion la plus ennuyeuse que vous ayez jamais entendue ?
John Carpenter
John Carpenter et la musique
Le cinéaste a composé nombre de musiques de ses films, mais pour The Thing, il a fait appel à Ennio Morricone.
John Carpenter : J’ai beaucoup aimé travailler avec ce maestro de la musique de films. Il ne parlait pas anglais, je ne parlais pas italien, alors nous avons communiqué dans le langage de la musique. Il a composé cinq ou six morceaux et les a enregistrés avec un orchestre et des synthétiseurs mais il se trouve qu’au moment où il a composé, le film n’était pas encore achevé. Il n’avait pas vu le film fini, donc après, nous avons intégré les morceaux en fonction des moments du film.
Moi, j’utilise la musique comme un renfort qui arrive en dernier lieu. Après le montage et le final cut, là je me demande quels sont les passages du film qui peuvent être soutenus, amplifiés par la musique. C’est un rapport extrêmement fonctionnel. La musique est vraiment un élément final qui vient compléter un film.
J’ai d’abord été influencé par les grands compositeurs pour les films hollywoodiens, comme Dimitri Tiomkin. Et puis il y a eu Tangerine Dream. Quand j’entendais Tangerine Dream, je me disais que si eux peuvent le faire, moi aussi je devrais pouvoir y arriver. Apportez moi un ordinateur que je puisse composer ce type de musique ! Elle a été vraiment une source d’inspiration.
L'adaptation de mes films en jeux vidéos ? Du moment qu'ils me paient, ça me va !
John Carpenter, grand pratiquant des jeux vidéos
Anti-Spielberg
The Thing est sorti en même temps que E T, on a longtemps dit que le film de Spielberg a fait de l'ombre au vôtre. Moi, je vous considère comme l'anti-Spielberg"(réflexion d'un spectateur)
John Carpenter : Je suis absolument un anti-Spielberg. Je me souviens, E T est sorti juste avant nous… et les gens l’ont adoré. C’est ce que Steven dit, il sait très bien jouer des sentiments du public et il a beaucoup fait pleurer dans les chaumières. Il a eu raison sans doute… et moi tort.
Retrouvez l'essentiel de ce qu'il faut savoir de la filmographie et de l'oeuvre de John Carpenter sur cet article signé Jacky Bornet.
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