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Festival de Cannes : portrait-robot d'une Palme d'or

Dimanche, le jury du 66e festival de Cannes remettra la 74e Palme d'or de l'histoire de la manifestation. L'occasion de se pencher sur le profil-type du film palmé.

Article rédigé par Phalène de La Valette, Anaïs Bordages
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 9 min
La Palme d'or, fournie par le joaillier Chopard, remise le 27 mai 2007 au réalisateur roumain Cristian Mungiu pour le film "Quatre mois, trois semaines et deux jours". (ANNE-CHRISTINE POUJOULAT / AFP)

Distinction suprême du festival de Cannes, la Palme d'or a récompensé 73 films depuis sa création en 1949. Des plus cultes (Pulp Fiction, Apocalypse Now, Les Parapluies de Cherbourg...) aux plus incompris (Oncle Boonmee, celui qui se souvient de ses vies antérieures), ils réunissent, au-delà de leurs qualités cinématographiques, un certain nombre d'ingrédients propices à la consécration cannoise. Du sang, des morts, une bonne dose de larmes... Alors que le jury du 66e festival de Cannes doit dévoiler son palmarès dimanche 26 mai, découvrez, en images et en chiffres, le profil-type de la Palme d'or.

Un film américain...

On ne pourra pas l'accuser de favoritisme. Le festival de Cannes a beau être un événement français, les productions nationales ne sont pas les mieux représentées : en 64 ans, seules 11% des Palmes leur ont été attribuées. Deux fois moins que pour les Etats-Unis, leader du palmarès avec 16 longs métrages couronnés (22%). Inévitable, étant donné la prépondérance du cinéma américain sur le marché mondial, cette souveraineté est néanmoins relativement faible quand on considère que 50% du temps de projection global est occupé par les films venus d'outre-Atlantique. 

Nationalité | Infographics

Non loin derrière (11 films), on retrouve l'Italie, qui doit cette place d'honneur à un cinéma très fécond dans les années 60-70 - à l'exception de La Chambre du fils en 2001, toutes les Palmes transalpines datent d'avant 1980. Ex-æquo avec la France, le Royaume-Uni complète le podium, parvenant à glisser, chaque décennie, une de ses productions dans le palmarès. De manière générale, les pays occidentaux sont largement mieux représentés, puisqu’ils raflent 83% des Palmes. Seule exception asiatique, le Japon, qui en a récolté quatre. On notera l'absence de l'Inde, jamais lauréate malgré un Bollywood plus prolifique encore qu'Hollywood.

...de plus en plus long

Si la majorité des films palmés présente une durée plutôt conventionnelle (entre 1h30 et 2h), 45% d'entre eux vont au-delà des 2h. On remarque surtout que plus le temps passe, plus les films sont longs. Alors que dans les années 50-60, 82% durent moins de 120 minutes, après 1969, la majorité affiche une durée supérieure, et dix films dépassent même les 2h30. La palme du plus long long métrage revient cependant à une production de 1963, Le Guépard de Luchino Visconti, fresque italienne de 3h15. Quant au film le plus court, c’est Elephant de Gus Van Sant (2003), qui dure une petite heure et vingt-et-une minutes. Voir l'infographie.

Réalisé et joué par des inconnus du grand public

Faut-il un réalisateur célèbre pour remporter la Palme d’or ? Tout dépend de votre définition du mot "célébrité". Si vous pensez à Steven Spielberg ou George Lucas, la réponse est non. Qu'il soit adulé par les spectateurs n'a visiblement aucun impact sur l'attribution d'une Palme. En revanche, les cinéastes appréciés par la critique ont la part belle à Cannes : 76% des films récompensés sont signés d'un réalisateur reconnu ou vénéré par le milieu. Terrence Malick, Michael Haneke, Ken Loach, les frères Dardenne... autant de célébrités cannoises assez peu connues du grand public. 

Popularité des réalisateurs et acteurs | Create infographics

 

Quelques personnalités réconcilient tout de même critique et public, des stars absolues comme Francis Ford Coppola, Quentin Tarantino ou Orson Welles. Enfin, il y a ceux qui ont parcouru du chemin depuis leur apparition au festival. Steven Soderbergh, par exemple, était un parfait inconnu lorsqu’il remporta la Palme d’or pour Sexe, Mensonges et Vidéo, en 1989. Depuis, il s'est illustré au box-office avec le très populaire Ocean's Eleven ou, récemment, la comédie strip-teasante Magic Mike. Cette année, il présente Behind The Candelabra, son dernier film avant la retraite. 

Pour les acteurs, le paysage est plus varié, ce qui semble indiquer que leur statut a relativement peu d'importance dans l'équation. On trouve des vedettes comme Nicolas Cage (oui, oui), des gens que les critiques connaissent, mais pas nous (Gian Maria Volonté, ça vous dit quelque chose ?), des stars consensuelles comme Brad Pitt, Robert de Niro ou Gérard Depardieu... Mais, majoritairement (plus d'un tiers), les acteurs principaux des films palmés sont des inconnus. Ou du moins, l'étaient, car certains ont bénéficié de l'effet Palme, à l’instar de Malcolm McDowell, le héros d’Orange Mécanique, repéré par Stanley Kubrick grâce à son rôle dans If… (1969).

Avec un héros masculin...

Connu ou non, ce qui est certain, c’est que le héros typique d’une Palme d’or est un homme. Depuis 1949, plus de trois films sur quatre ont une tête d'affiche masculine.

Sexe du héros | Infographics

 

Curieusement, et contrairement à l'idée selon laquelle l'égalité progresse forcément avec la modernité, c'est parmi les plus anciennes Palmes qu'on trouve le plus d'héroïnes. En effet, entre 1949 et 1967, la répartition entre rôles masculins et féminins atteignait presque la parité (57% d’hommes, 43% de femmes), tandis que durant les années dites de libération sexuelle, la part des femmes chute à 4% !

Un phénomène qui s'explique sans doute en partie par l'histoire. La seconde guerre mondiale a mis les femmes sur le devant de la scène, aussi bien dans le monde réel, où elles ont exercé les métiers jusqu'alors réservés aux hommes, qu'au cinéma, où elles sont devenues à la fois le sujet des films et leur public. Mais une fois ces messieurs rentrés...

... âgés de 20 à 30 ans

Sans surprise, ce sont les jeunes héros qui ont le plus la cote : 55% des personnages principaux ont moins de 30 ans. La chose n'était cependant pas vraie dans les années 70 à 90, où les héros étaient majoritairement campés par des quadragénaires.

Quant aux plus de 60 ans, qui n'étaient pas du tout représentés entre 1949 et 1967, ils le sont légèrement mieux de nos jours, preuve en est de la Palme d'or 2012, Amour, dont les protagonistes ont 82 et 86 ans. Voir l'infographie.

Un scénario centré sur la misère sociale

On constate qu'aux proportions de femmes et d'hommes à l'écran font écho les thématiques explorées par les films palmés. Dans les années 50, amour et sexualité dominent : c'est la grande période des comédies romantiques à Hollywood, produites pour le public féminin de l'après-guerre.

Mais cela change entre 1969 et 1990, les sujets de prédilection devenant alors la politique, les conflits armés, les événements historiques et, bien sûr, la dialectique de la lutte des classes : c'est l'époque de la guerre du Vietnam, du communisme et de la guerre froide !

Thèmes abordés | Infographics

À mesure que l'actualité évolue, les scénarios s'adaptent. À en croire les tendances de ces dernières années, notre société contemporaine est désormais préoccupée par des thèmes aussi réjouissants que la violence, la criminalité et la mort. Heureusement, l'amour, un peu oublié dans les années 70-80, revient en force dans les années 2000 pour nous rendre la vie moins amère.

Mais quelle que soit l'époque, il est une constante : la misère sociale. S'intéresser au monde ouvrier et à la pauvreté sous toutes ses formes semble être un gage de réussite à Cannes...

Un drame (pour ne pas dire une tragédie)

Enfin, il faut bien se l’avouer, les films qui gagnent la Palme d’or sont rarement amusants. Dictatures, deuil, viol, handicap, avortement... Autant de sujets graves et complexes sur lesquels se penchent nos films palmés. Forcément, à moins de s'appeler Roberto Benigni et d'être capable de plaisanter en plein camp de concentration, les réalisateurs préfèrent inscrire leurs œuvres dans le registre dramatique. Ainsi, 53 films sur 73 sont des drames.

Genre | Infographics

Même les comédies ont du mal à être franchement et uniquement comiques. 67% d'entre elles préfèrent donc s'accoler le terme "dramatique", histoire d'être prises au sérieux. On saluera donc la bravoure du satirique M.A.S.H (1970), de l'Italien Ces Messieurs Dames (1966) et du drôlement titré Le Knack... et comment l'avoir, en 1964 (étrange comédie à l'humour très british). Et bien sûr, on remerciera Quentin Tarantino d'avoir su nous faire rire de situations totalement inappropriées dans son Pulp Fiction (1994).

Il y a aussi les petits malins qui brouillent les pistes, comme Lars Von Trier : son Dancer In The Dark (2000) racontait ainsi l’histoire d’une malvoyante condamnée à mort, à travers le prisme d'une comédie musicale…

407 morts contre 60 scènes de sexe

Qui dit tragédie dit mort. Depuis 2000 seulement, on recense pas moins de 134 cadavres et 160 actes de violence, répartis dans à peine douze films. Un score élevé que l’on doit surtout à deux films historiques, Le Pianiste, ancré en Pologne nazie, et Elephant, qui revient sur la fusillade du lycée américain de Columbine en 1999.

En tout, les 73 films palmés rassemblent 485 crises de larmes et 987 actes de violence… Tragique, on vous l’avait dit ! En comparaison, on ne compte que 85 déclarations d’amour, et 60 scènes de sexe. Malgré tout, il faut noter que nos personnages savent faire la fête – ou au moins, oublier leurs soucis –, avec un total de 675 cigarettes et 633 verres d’alcool. 

La palme du film le plus alcoolique revient à Underground d’Emir Kusturica. Le plus grand nombre de gauloises revient cependant à Que Le Spectacle commence (65 cigarettes), qui met en scène un fumeur invétéré, talonné de près (51) par les jeunes rebelles Sailor et Lula.

En résumé, la Palme d'or typique est donc un film occidental de plus de deux heures, traitant gravement d’un sujet grave. Son réalisateur est estimé par la critique, et son acteur principal, un homme, est peu connu. Reste à savoir si le grand vainqueur de 2013, désigné par Steven Spielberg et son jury, correspondra à ces critères…

Miki Manojlovic, acteur principal de "Papa est en voyage d'affaires", par Emir Kusturica.

Quelques considérations méthodologiques

Si le festival de Cannes existe depuis 1946, nos données ne démarrent qu'en 1949. La raison est simple : avant cette date, les prix étaient attribués par catégorie, un peu comme aux Oscars (meilleure comédie musicale, meilleur film policier...). Ce n'est donc qu'en 1949 qu'un seul et unique film se voit décerner la récompense suprême, alors appelée Grand Prix du festival. Il devient Palme d’or en 1955, prenant pour référence la palme qui figure sur les armoiries de la ville de Cannes.

Pour pouvoir observer l'évolution de la Palme d’or à travers le temps, nous avons divisé nos données en trois périodes chronologiques : de 1949 à 1967, de 1969 à 1990, et de 1991 à 2012. S'il n'y a pas de données en 1968, c'est parce que le festival a été annulé cette année-là, suite aux événements de Mai-68.

Nous avons pu recueillir les données générales sur les films (durée, réalisateur, acteur principal...), grâce aux sites IMDb, Allociné et Wikipédia. Pour les données plus compliquées (nombre de morts, de cigarettes, d’actes de violences, de scènes de sexe etc), nous avons simplement regardé tous les films, et compté avec l’outil statistique le plus fiable de tous : nos doigts.

Bien sûr, beaucoup de données qui pèsent dans la sélection d’une Palme d'or (le président du jury de chaque année, par exemple) n’ont pas été prises en compte dans nos graphiques. Pour que l’exercice reste simple, et malgré tout révélateur, nous nous en sommes tenues aux données les plus objectives, c’est à dire les données chiffrables. Si vous repérez une erreur, ou si vous voulez rajouter des données à notre projet, faites-nous signe : @AnaisBordages et @Phalenebdlv.

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