Festival Ciné Palestine 2024 : "Voyage à Gaza", une leçon d’humanité des Palestiniens capturée par la caméra de Piero Usberti

Présenté au 46e festival international du film documentaire, le film de Piero Usberti montre avec justesse la vie des Palestiniens de Gaza coincés dans une prison à ciel ouvert.
Article rédigé par Yemcel Sadou
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié
Temps de lecture : 7min
Sara, jeune Gazaouie apparaissant dans le documentaire "Voyage à Gaza" de Piero Usberti, en salles le 30 octobre 2024. (JHR FILMS)

"C’est une leçon d’humanité que nous donnent les Palestiniens parce qu’ils ne sont pas dans la violence", lance une spectatrice après la projection du documentaire Voyage à Gaza au Festival Ciné Palestine dans le cinéma Jean Vigo de Gennevilliers. Doté de la mention spéciale Cnap du film français 2024 lors du dernier festival international du film documentaire, il capture des images de la jeunesse palestinienne en 2018, lors de la mort du journaliste palestinien Yasser Mortaja tué par une balle de l’armée israélienne. Il couvrait la "marche du retour", un mouvement de protestation civile lancé le 30 mars 2018 dans la bande de Gaza pour dénoncer le blocus israélien et réclamer le "droit au retour" des réfugiés palestiniens. En salles le 30 octobre 2024.

Dans Voyage à Gaza, on découvre ce qui a motivé ces manifestations. On découvre surtout un autre visage de Gaza, à hauteur d’hommes et de femmes. Le point de vue du réalisateur Piero Usberti fait la force du film. Son regard est celui d’un jeune réalisateur italien de 25 ans qui découvre Gaza pendant trois mois, au moment de tourner son film. Sa distance devient un atout. Même s’il dénonce les violences d’Israël envers les civils palestiniens et les privations de droits qu’ils doivent endurer, la réalité transparaît d’elle-même. L’état de siège, la pauvreté, le manque d’eau et d’électricité, la déshumanisation, l’instrumentalisation du terrorisme mais aussi le poids des traditions marquent les Gazaouis prenant la parole dans le film.

Enfermés dans Gaza

"Les Palestiniens n’oublient rien. Le plus précieux, c’est leur mémoire", dit Piero Uberti en italien au début de son documentaire. Sa voix off nous guide pendant plus d’une heure dans le quotidien de Sara, 25 ans, humanitaire dans une association, Mohanad mordu des livres de Marx ou Jumana, aspirante avocate. Piero Usberti souligne le paysage paradoxalement beau de Gaza : les terres sablonneuses, la mer, les sublimes couchés de soleil et surtout la chaleur humaine qui en émane. Il montre des endroits rarement filmés comme les champs de fraises bio de Beit Lahiya longeant la frontière entre Gaza et Israël, près desquels les Israéliens larguent des missiles et empoisonnent les cultures avec du gaz.

"Gaza signifie orgueil", précise Piero Uberti. L’orgueil chez les Gazaouis, c’est de rire, de relativiser les horreurs qui traversent leur quotidien. Rire de la coupure d’électricité qui intervient en plein milieu d’une conversation entre Piero et Sara. L’électricité, les Gazaouis n’en ont que quatre heures par jour. Au-delà de l’embargo et la pauvreté, les habitants de Gaza sont attachés à leur terre. Pourtant, fuir est leur seule perspective d'avenir.

Mohamed a tenté de s'enfuir 13 fois de Gaza, sans succès. Impossible de sortir de la ville. Le poste-frontière d’Erez est le seul point de passage permettant le transit entre Israël et la bande de Gaza. L’armée ne laisse passer aucun civil. L’autre point de passage à Rafah, à la frontière égyptienne, laisse rarement passer des Gazaouis. Il faut souvent attendre au moins six mois et payer le prix fort. "3000 dollars", selon Mohamed.

Vendredi c’est jour de repos. C’est à ce moment-là que les Gazaouis choisissent de manifester pour le droit au retour des réfugiés et pour la fin du contrôle des frontières par l’armée israélienne. Les snipers israéliens tirent sur les manifestants, les journalistes, les ambulances. "Comment peut-on tirer sur une foule désarmée ?", demande Piero Uberti. "Il suffit de dire qu’ils sont terroristes", répond lui-même le réalisateur. Ceux que le gouvernement israélien qualifie de terroristes, Piero Uberti est allé les rencontrer avec Sara, qui l’accompagne pendant tout son voyage. Elle leur demande s’ils sont terroristes. "Je ne vais pas en manifestation avec une arme. J’y vais les mains nues. Ma motivation est intérieure, je n’ai pas été payé par le Hamas", affirme Ahmed, blessé par une balle d’un soldat israélien.

"Un problème colonial"

Dans son documentaire, Piero Usberti compare la colonisation israélienne à celle des Etats-Unis et de l’Australie. Sbeih Sbeih, sociologue à l’Institut de recherches et d'études sur le monde arabe et musulman présent lors de la projection du film, explique que le rapport de domination israélien est un phénomène importé de la colonisation européenne. "L’armée israélienne fait subir l’attente au peuple palestinien que ce soit dans les checkpoints, en prison ou en faisant planer des drones. Confisquer le temps est un élément important dans un ordre colonial", précise-t-il. "Il y a un processus de banalisation des crimes. Le problème palestinien est un problème colonial. Si on ne définit pas le problème de cette manière, il est impossible de trouver une solution", ajoute le sociologue.

Piero Usberti a achevé le montage de son documentaire le 29 septembre 2023, près d’une semaine avant l’attaque du Hamas le 7 octobre. Il a refusé de changer le montage de son documentaire, sentant qu’il ne réussirait jamais à le terminer s’il prenait cette direction. "Ça aurait fait un autre film. Je trouvais important de garder les résonances de ce que j’avais tourné pour comprendre le présent. C’était important de rappeler ce qu’il s’était passé avec les marches de retour", révèle le réalisateur présent au Festival Ciné Palestine.

"C’était une tentative symbolique et pacifique de sortir de cette prison qu'est Gaza. Elle a été réprimée de manière monstrueuse, il n’y avait pas besoin de tirer sur les gens. Dans tous les cas ils n’auraient pas passé la barrière". Depuis les événements du 7 octobre 2023, les attaques dans la bande de Gaza sont les plus meurtrières depuis 2006, selon l’UNICEF.

La dixième édition du Festival Ciné Palestine 2024 en Ile-de-France et à Paris se déroule jusqu’au 16 juin.

La fiche

Genre : Documentaire
Réalisateur : Piero Usberti
Pays : France, Italie
Durée :
67 min
Sortie : 
30 octobre 2024
Distributeur :
JHR Fims
Synopsis : À Gaza, il faut arriver le soir au printemps, s’enfermer dans sa chambre et écouter les sons qui entrent par les fenêtres ouvertes… Nous sommes en 2018. J’ai 25 ans et je suis un voyageur étranger. Je rencontre de jeunes palestiniens de mon âge.

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