Interview "J'ai toujours l'impression que ça peut s'arrêter" : les confidences du réalisateur français Alexandre Aja

24 ans après son premier long-métrage, le réalisateur et producteur français revient en salles avec "Mother Land". L'occasion pour lui de donner aussi son sentiment sur le niveau actuel des films de genre.
Article rédigé par Matteu Maestracci
Radio France
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 7min
Alexandre Aja, à Paris le 12 septembre 2024. (MATTEU MAESTRACCI / FRANCEINFO / RADIO FRANCE)

Dans les locaux parisiens de Metropolitan Filmexport, qui distribue le film, Alexandre Aja (46 ans) enchaîne les interviews et parle avec le même plaisir, presque adolescent, de son dernier projet. Près d'un quart de siècle après son premier long-métrage, Furia, le réalisateur et producteur français dévoile son nouveau projet hollywoodien : Mother Land. Il s'agit d'un thriller psychologique et familial avec Halle Berry dans le rôle principal et comme co-productrice.

L'occasion pour lui de donner aussi son sentiment sur le niveau actuel des films de genre et de revenir sur sa carrière qui l'aura souvent emmené du côté d'Hollywood.

franceinfo : Cette histoire d'une mère élevant seule ses deux fils dans une maison en lisière de forêt, coupée du monde extérieur, pour les protéger d'un mal mystérieux, vous la racontez comme un conte ?

Alexandre Aja : Complètement, cette idée du conte, c'est vraiment ce qui m'a le plus interpellé à la lecture du scénario, il y avait bien sûr cette histoire de femme au fond des bois avec ses deux enfants face à ce qui reste d'un monde qui a été détruit par un "mal". Et ces cordes censées les protéger. Donc quelque chose relevant du conte, oui, sans oublier les éléments surnaturels, mais aussi au-delà de tout ça la portée symbolique de chacun de ces éléments. Avec deux enfants dont l'un se pose des questions et l'autre croit tout ce qu'elle dit. Et le conte dans nos sociétés nous aide depuis longtemps à nous confronter à nos monstres, à ce qui nous fait peur quand on devient des adultes. Parfois c'est très allégorique, parfois très direct, parfois vraiment terrifiant, mais le cinéma de genre a pris une fonction assez similaire depuis plusieurs années, d'exorciser nos peurs et peut-être dépasser le cadre du simple divertissement pour devenir un outil psychologique nous permettant de nous confronter à notre part d'ombre.

Ce fameux mal qui les menace à l'extérieur vous en brouillez les pistes aussi, et heureusement, on se demande s'il est réel ou s'il n'existe que dans la tête de June, la mère ?

Ce qui est intéressant c'est que quand j'ai lu le script la première fois, et même s'il a beaucoup évolué ensuite, pour moi c'était limpide, je comprenais ce que voulait dire et nous dire le film, j'en avais une lecture claire et précise. Et c'est ensuite, en parlant avec les autres personnes impliquées comme les producteurs, etc., que je me suis rendu compte que nous n'en avions pas du tout compris la même chose, qu'ils en avaient une lecture différente. Alors je me suis dit que c'était peut-être justement une bonne opportunité de garder cela ouvert et plusieurs explications possibles : psychologique voire psychiatrique, mais aussi surnaturelle. Et que les deux non seulement existent mais coexistent.

Halle Berry qui a reçu en 2002 un Oscar de meilleure actrice est ici à la fois actrice principale et coproductrice du film, comment cela s'est passé ?

Elle est d'abord venue sur le film comme comédienne, juste après que je l'ai rejoint, pour jouer ce personnage auquel elle tenait vraiment, puis nous a proposé de nous aider à mettre le projet en place en tant que productrice. Non seulement elle a un regard sur le film, mais elle voulait vraiment veiller à ce que nous n'édulcorions pas le script et la complexité de son personnage, que cette histoire ne passerait pas à la moulinette hollywoodienne pour en enlever l'aspect malaisant ou la part de folie que son personnage transporte.

Et elle s'est impliquée au point que nous avons fait le casting des enfants acteurs avec elle, ça a été très intéressant de l'avoir à nos côtés. Parce qu'une fois qu'on en avait vu passer des centaines, dont certains étaient extrêmement doués, il fallait pour des raisons de calendrier forcément trancher et choisir et elle nous demandait de continuer à chercher pour parvenir à une évidence. Et elle a eu raison.

D'autres réalisateurs de genre français (le duo Bustillo-Maury, Pascal Laugier, Coralie Fargeat dont The Substance salué à Cannes arrive bientôt en salles) ont eux aussi tenté leur chance à Hollywood, avec des fortunes diverses voire des échecs. Et vous êtes toujours là, à travailler sur des productions américaines, dix-huit ans après le remake de La colline a des yeux. Vous vous sentez privilégié ?

C'est un challenge, et à chaque fois j'ai l'impression que ça va s'arrêter. Rien n'est jamais acquis, nulle part mais dans le cinéma peut-être encore plus. Mais chaque fois je me dis que ça va passer, et c'est le cas : ce film est le dixième que je réalise, et sans doute le quinzième que je produis, ça va faire vingt ans que je travaille globalement aux Etats-Unis. Et il faut chaque fois se battre, tout faire pour que ça réussisse, donc je me dis que si un jour je perds ce contrôle artistique sur ce que je fais, je reviendrai peut-être faire des films en France.

En tant qu'amateur de genre et producteur, j'imagine que vous continuez à consommer ces films, comment vous jugez le cinéma d'horreur qui est proposé aujourd'hui, qui va des fameux films "elevated horror" de Ari Aster ou Robert Eggers à des choses plus frontales et "gore", comme la série des Terrifier ?

Évidemment il y a des déceptions chaque année, mais je suis fasciné par le fait, qu'encore aujourd'hui, on rende hommage aux classiques du genre. Je l'ai fait avec Haute Tension (2003) qui était inspiré des films d'horreur américains des années 70, ou plus tard avec ce remake du film de Wes Craven (2006), quand on fait ça à l'époque nous sommes plusieurs réalisateurs à vouloir vraiment faire revenir ce cinéma un peu plus radical et terrifiant sur les écrans. Mais on ne pense pas que ça puisse "prendre" et durer longtemps, or vingt ans après ça continue.

C'est tellement foisonnant, il y a tellement de talents, de propositions et de films chaque année, une telle énergie et tellement de visions et d'auteurs. Mais aussi des cycles, entre les productions indépendantes de studios comme A24, et les projets plus "lourds" de majors plus installés, chacun choisit un peu son camp et c'est passionnant.

Alexandre Aja

à franceinfo

Il y a encore beaucoup de mauvais films, ça a toujours été le cas, et il y en a suffisamment chaque année, pour ne pas dire chaque mois, qui sont assez bons pour que les gens comme moi qui adorent ce cinéma-là puissent trouver leur plaisir et se dire qu'on a encore de beaux jours devant nous.

Mother Land d'Alexandre Aja, avec Halle Berry, Percy Daggs IV, Anthony B.Jenkins. En salles le mercredi 25 septembre. 

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