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"Arsène Tchakarian, mémoire de l'Affiche rouge", un documentaire en hommage au groupe Manouchian

Arsène Tchakarian était l'ultime survivant du groupe Manouchian, réseau de résistants étrangers dont le chef et plusieurs membres furent anéantis et présentés comme des "criminels" par la propagande nazie. Il s'est éteint à 101 ans le 4 août. Le réalisateur Michel Violet avait suivi l'ancien résistant sur les traces de ses actions et dans sa vie de citoyen engagé (voir notre interview plus bas).
Article rédigé par franceinfo - Annie Yanbékian
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Publié Mis à jour
Temps de lecture : 13min
Arsène Tchakarian à son bureau de Vitry-sur-Seine, dans le documentaire Michel Violet
 (BIOPICS)

L'affiche rouge, c'est une vaste opération de propagande nazie lancée en France à l'occasion de la condamnation à mort et de l'exécution, le 21 février 1944, de 23 résistants étrangers des Francs-Tireurs et Partisans - Main d'Œuvre Immigrée (FTP-MOI) basés en région parisienne. Sur cette affiche anxiogène sur fond rouge, figurent les photos de dix membres du groupe de résistants dirigé par l'Arménien Missak Manouchian, des images d'attentats, de corps sans vie, le tout encadré par les mots : "Des libérateurs ? La libération par l'armée du crime !".

Cette affiche qui visait à faire passer les résistants pour des terroristes fut placardée à travers le pays à plus de 15.000 exemplaires. Mais elle n'eut pas l'effet escompté, comme l'explique l'excellent documentaire de Michel Violet sorti au printemps. "J'ai découvert des affiches rouges de trois mètres sur trois sur les voûtes du métro", se souvient le frère cadet d'Arsène Tchakarian. "La colle coulait comme des larmes." Chaque élément de l'affiche est décrypté dans le film.

Arsène Tchakarian devant l'Affiche rouge
 (BIOPICS)
Le dernier survivant des FTP-MOI était Arsène Tchakarian. Il est mort le 4 août à 101 ans. Jusqu'à la fin d'une longue vie d'engagement, il a raconté son parcours dans la Résistance afin d'entretenir la mémoire de ses camarades suppliciés. Michel Violet avait invité l'ancien résistant à se confier devant sa caméra, sur l'histoire de sa famille devenue apatride à la suite du génocide arménien, sur le groupe Manouchian et sur sa rencontre avec son chef. Le réalisateur avait suivi l'ancien résistant sur des événements associatifs, commémorations, rencontres avec des collégiens parfois émus aux larmes.

La force du film, c'est le témoignage d'un homme, plus de soixante-dix ans après les faits, avec sa subjectivité, sa dignité, son humanité.

La résistance, un acte de gratitude envers la France

Le documentaire débute à Paris, sur le lieu d'une attaque contre les forces d'occupation à laquelle Arsène Tchakarian a participé en juin 1943 avec deux autres membres du groupe Manouchian. Ils n'avaient que deux armes pour trois hommes : un pistolet automatique et une grenade. La cible : un autobus allemand. Le vieil homme, auquel le réalisateur prête son bras dans les rues de la capitale, raconte l'explosion, les coups de feu, les hommes qu'il a dû abattre, "les cris de femmes" qui résonnaient dans la rue.

À peine treize ans plus tôt, en juillet 1930, Arsène Tchakarian, ses parents et son jeune frère Ampic avaient définitivement posé leurs valises en France, huit ans après avoir fui la menace mortelle qui pesait sur les Arméniens de l'empire ottoman. Une petite sœur n'avait pas survécu au brutal exode. Arsène Tchakarian a connu le retour à la douceur de vivre, d'abord en Bulgarie, puis en France. Il se souvient d'un simple geste de générosité à son égard qui a contribué à forger un profond sentiment de gratitude envers son pays d'accueil. "Ça vous donne l'idée que les gens de France sont différents."

Des années cruciales de l'Histoire du XXe siècle

Le répit sera de courte durée pour les migrants de ces premières décennies du XXe siècle, parmi lesquels Missak Manouchian, "un poète, un amoureux du beau, du juste", comme le décrit la voix off. Tchakarian fait sa connaissance par le biais d'une association d'aide à l'Arménie soviétique. Manouchian, de neuf ans son aîné, "aura une très grande influence" sur le jeune homme, se souvient le frère de ce dernier. L'engagement communiste, les grèves de 1936, l'éclatement de la guerre, le sinistre visage du Paris occupé... on traverse des années cruciales de l'Histoire du XXe siècle.

En 1943, en trois mois, le groupe Manouchian, composé d'une soixantaine de résistants déterminés à défendre la France, mènera plus d'une centaine d'attentats contre l'occupant. "Vous êtes un candidat pour la mort, c'est tout", lance Tchakarian qui se souvient de cauchemars et d'insomnies après les attaques. Puis le documentaire décrit le démantèlement du réseau à partir de la surveillance d'un de ses membres. On découvre une photo inédite (elle dormait aux archives de la police), celle de Joseph Dawidowicz, responsable politique des FTP-MOI qui a confirmé sous la torture des informations qui ont précipité le coup de filet des Brigades spéciales des Renseignements généraux français en novembre 1943.

Arsène Tchakarian a échappé aux arrestations, aux exécutions. Il veillera à ce qu'on n'oublie pas ses compagnons. "Les camarades qui sont morts, ce sont eux les héros. Les survivants, ça ne compte pas." C'était évidemment faux, et plus encore dans le cas de cet acteur de l'Histoire et témoin unique, par ailleurs grand défenseur du "vivre ensemble". Un document précieux, particulièrement émouvant depuis la disparition de l'ancien résistant.
Sous l'œil d'un cameraman, Arsène Tchakarian témoigne dans un collège
 (BIOPICS)

Michel Violet : "Essayer d'aller au plus près de la vérité, 70 ans après"

- Culturebox : Comment le projet d'un documentaire sur Arsène Tchakarian a-t-il vu le jour ?
- Michel Violet : Après trente ans à la télévision comme chef monteur, je me suis mis à faire des vidéos de biographies, de récits de vie de tout un chacun. La ville de Vitry-sur-Seine, où je réside comme Arsène Tchakarian, m'a suggéré de consacrer un documentaire à l'ancien résistant. Je suis allé lui présenter mon projet en avril 2014, on a commencé à tourner à la même époque. Il était assez exigeant sur les entretiens : il ne voulait absolument pas aborder le domaine de sa vie privée.

- Comment avez-vous abordé ce travail avec lui ?
- Ce que j'ai voulu faire, c'est essayer d'aller au plus près de la vérité, si tant est qu'on puisse l'approcher. On est quand même 70 ans plus tard et c'était compliqué de revisiter cette histoire. Il n'y a plus de témoin, il n'y a plus beaucoup de traces, on a des livres parfois contradictoires avec des historiens qui ne disent pas forcément la même chose. Comme source documentaire, les archives de la police ont été d'une grande aide. Elles permettent d'avoir un autre point de vue que celui des communiqués officiels du Parti communiste après chaque attentat du groupe Manouchian.

- Qu'est-ce que ces recherches vous ont appris ?
- Ce qui frappe dans les rapports de police, c'est la quantité des attentats. Si Missak Manouchian devient le chef du groupe à partir d'août 1943, il s'est engagé dans le combat armé un peu plus tôt. Il y a des attentats tous les jours, et parfois deux, trois par jour ! Mais la police ne fait pas le distinguo entre ceux qui appartiennent au groupe et ceux commis par d'autres. Arsène a toujours parlé de 115 attentats. Je ne les ai pas tous comptés mais je fais confiance aux historiens comme Stéphane Courtois qui en dénombre une centaine.

Ce dont j'ai voulu parler, c'est des dommages collatéraux. On a essayé d'être très honnêtes. Arsène n'a jamais vraiment voulu en parler, mais quand le groupe jetait des grenades, ça touchait aussi des civils. Quand Arsène évoque des cris de femmes au début du film, c'est de ça qu'il s'agit. Les tirs partent dans tous les sens. Les victimes ne sont pas forcément tuées par les résistants, elles sont atteintes par les Allemands qui ripostent. Le Parti communiste n'en parlait jamais : il fallait décrire des actes héroïques, réussis, mythifiés... Contrairement à Robert Guédiguian dans son film "L'armée du crime", je n'ai pas voulu perpétuer la légende mais remettre les pendules à l'heure. Il y a un thème sous-jacent dans le film : comment on arrive à basculer d'un état où on est en paix à un autre état où il faut aller tuer quelqu'un de sang froid, de visu, à deux mètres, alors qu'on n'est pas en légitime défense. Arsène m'avait parlé du regard d'un jeune homme qu'il avait abattu, de ses yeux bleus. Il faut préciser qu'il n'a pas participé à tous les attentats. J'en ai dénombré trois.

- Est-il possible qu'il n'ait pas tout dit ?
- Non, au contraire. Le problème que j'ai rencontré avec Arsène est une difficulté classique avec la mémoire : celle-ci est reconstruite d'après des éléments acquis par la suite. On reconstruit sa mémoire à partir d'une mémoire fragmentée. À l'époque, à l'exception des Arméniens qui se connaissaient, les membres du groupe Manouchian ignoraient leurs vrais noms. Arsène s'est trompé sur le nom d'un des participants à un attentat. Je m'en suis aperçu en consultant les archives de la police et je le lui ai dit. Quand Arsène a écrit l'histoire du groupe, il n'avait pas eu un accès direct à ces archives. Ses sources étaient surtout des anciens membres du groupe et des informations du côté du Parti communiste.

- Sur quelle période le tournage s'est-il déroulé ?
- Avec le cameraman Daniel Lévy, on a suivi Arsène pendant plus de deux ans, jusqu'en novembre 2016. Il était très sollicité pour différentes commémorations. Pour tout vous dire, on a débuté le tournage avant de trouver un éventuel diffuseur, donc on a financé le documentaire sur nos propres deniers. On est retourné voir Arsène Tchakarian en 2017 pour une cérémonie de remise de légion d'honneur qu'on a glissée dans les bonus du DVD. On a présenté le film en mars 2017 à l'occasion d'une cérémonie à la Mairie de Paris en l'honneur d'Arsène. On a pu éditer le film en DVD grâce à une opération de crowdfunding.

- Êtiez-vous resté en contact avec Arsène Tchakarian ?
- Bien sûr. On se voyait au moins une fois par semaine. On vivait à un kilomètre l'un de l'autre et on s'est pris d'amitié, de respect mutuel. Quand Arsène a vu le film, il a regretté que certaines choses auxquelles il tenait n'aient pas été dites. Je ne pouvais pas tout raconter, le documentaire est déjà très long, une heure et demie. Il m'a quand même dit : "C'est le meilleur film racontant mon histoire que j'aie vu." Ça m'a touché.

- Quel souvenir gardez-vous de lui, du point de vue humain ?
- Celui d'un personnage au caractère bien trempé. Il pouvait être assez difficile dans ses rapports humains, on s'est parfois engueulés ! Si je dois évoquer une image, c'est ses coups de gueule ! C'était une affirmation forte de conviction. Mais il aimait les gens, quel que soit leur bord politique. Il n'était pas dogmatique. Les valeurs qu'il défendait à vingt ans se sont renforcées au fil du temps. Il était d'aspiration humaniste. C'était un grand Monsieur. J'avais beaucoup d'affection pour lui et il commence à me manquer.

Des projections prévues

Le documentaire "Arsène Tchakarian, mémoire de l'Affiche rouge" sera projeté à Paris, à la péniche Anako, dimanche 7 octobre 2018 à 17h00. L'ancien résistant aurait dû en être l'invité d'honneur. Il y aura un débat en présence de Michel Violet.

À Vitry-sur-Seine (94), la ville où habitait Arsène Tchakarian, quatre projections sont prévues aux 3 Cinés Robespierre en octobre : jeudi 4 (20h15), dimanche 7 (16h), lundi 8 (20h15) et mardi 9 (14h). Fin septembre, Vitry doit rendre hommage à l'ancien résistant.

Le film doit être présenté à Marseille le 22 février 2019, au lendemain de l'anniversaire de l'exécution des 23 membres du groupe Manouchian.

LA FICHE

Genre : Documentaire
Réalisateur : Michel Violet
Pays : France
Narration : Philippe Boisserie
Durée : 1h33 (plus divers bonus)
Sortie en DVD : 18 mai 2018

Synopsis : Arsène Tchakarian, dernier survivant du groupe Manouchian, retrace ses souvenirs au sein du réseau résistant, mais aussi l'histoire mouvementée de sa famille, de l'exil causé par le génocide des Arméniens de 1915 à l'arrivée à Paris. Centenaire, il est de toutes les commémorations pour continuer de témoigner du combat de ses camarades disparus...


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