Décès d'Andrzej Wajda, le réalisateur de "L'Homme de fer"
Le réalisateur de "L'Homme de marbre" et de nombreux autres films reflétant l'histoire complexe de son pays est décédé d'une insuffisance pulmonaire. Hospitalisé depuis plusieurs jours, il se trouvait dans un coma pharmacologique, a indiqué à l'AFP un proche de la famille qui a demandé à garder l'anonymat.
"Nous espérions qu'il en sortirait", a dit le scénariste et metteur en scène Jacek Bromski sur la chaîne privée TVN24.
Malgré son grand âge, le cinéaste était resté très actif ces dernières années, secondé par sa femme Krystyna Zachwatowicz, actrice, metteur en scène et scénographe.
Candidat aux Oscars avec son dernier film
Né en 1926 à Suwalki (nord-est de la Pologne) d'une institutrice et d'un père officier, Andrzej Wajda a raconté dans "Katyn", nominé à l'Oscar en 2008, l'histoire tragique de son père, Jakub Wajda, qui fut l'un des 22.500 officiers polonais massacrés par les Soviétiques en 1940, notamment à Katyn. Capitaine d'un régiment d'infanterie de l'armée polonaise, il fut exécuté d'une balle dans la nuque par le NKVD, la police secrète de Staline.En 1942, Andrzej Wajda s'engage à 16 ans dans la résistance contre les nazis.
Après la guerre, il fait des études de cinéma à Cracovie et à Lodz. Ses premiers films sont imprégnés de l'expérience douloureuse de la guerre, de la résistance polonaise contre les nazis. Il débute avec un premier film, "Une fille a parlé (Génération)", en 1955, avant "Ils aimaient la vie", où il évoque l'insurrection de Varsovie en 1945. Le film fait sensation à Cannes. "Ce fut le début de tout", avouait-il à l'AFP 50 ans plus tard. "Cela m'a permis de faire ce qui devait être mon film suivant, 'Cendres et diamant' (1958). Il m'a donné une position forte dans le cinéma polonais".
Critique de la Pologne communiste
Quand Cannes déjouait la censure des pays de l'Est
En 1978, l'ancien patron du festival de Cannes, Gilles Jacob, fait sortir en catimini de Pologne "L'homme de marbre" d'Andrzej Wajda et inaugure ce faisant la tradition cannoise des films "surprise" déjouant la censure.
En pleine Guerre froide, le festival français bataille chaque année avec la censure des pays du bloc soviétique pour faire venir sur la Croisette les films et réalisateurs de son choix. C'est le cas de "L'homme de marbre", l'histoire d'une jeune réalisatrice qui enquête sur un maçon devenu héros national dans les années 50 puis tombé dans l'oubli. Andrzej Wajda, déjà distingué par un Prix spécial du jury à Cannes en 1957 pour "Ils aimaient la vie", a mis 14 ans à obtenir le feu vert des autorités pour tourner ce film. Mais quand Gilles Jacob se rend à Varsovie pour préparer la sélection de l'édition 1978, il n'est pas autorisé à le visionner. "Un jour, l'exploitant Tony Molière, ami de Wajda, me montre la copie arrivée par des voies mystérieuses. Je communique avec Andrzej par sa femme Krystina qui est francophone, et nous décidons de présenter le film à Cannes sans la présence de Wajda", raconte Gilles Jacob. "Pour conserver le secret absolu, j'ai l'idée d'un film surprise. Il est transporté dans des bobines, cachées dans un appartement, porteuses d'un faux titre : J'irai cracher sur vos tombes", se souvient Gilles Jacob.
Quatre ans plus tard, sa suite, "L'homme de fer", tournée pendant les grèves des chantiers navals de Gdansk et présentée aussi comme un "film surprise", remporte la Palme d'or, donnant un retentissement mondial au combat du jeune mouvement Solidarnosc. Du Soviétique Andrei Tarkovski, au Chinois Lou Ye en passant par l'Iranien Bahman Ghobadi, de nombreux autres réalisateurs ont depuis bénéficié du soutien du festival, qui a projeté leurs films tournés cladestinement ou censurés dans leur pays.
En 1977, il présente au Festival de Cannes "L'Homme de marbre", histoire d'un ouvrier stakhanoviste et critique de la Pologne communiste, à qui il donne une suite trois ans plus tard dans "L'Homme de fer". Le film, racontant pratiquement en temps réel l'épopée de Solidarité, premier syndicat libre du monde communiste, est récompensé par la Palme d'or à Cannes.
Une Palme d'Or qui le sauve de la prison
Ses prises de position hostiles au régime de Jaruszlski l'incitent alors à réaliser des films à l'étranger : il tourne en France un film sur les derniers jours de Danton, avec Gérard Depardieu dans le rôle-titre ("Danton", 1982), et y adapte "Les Possédés" de Dostoïevski (1988).
Son film sur la Pologne moderne d'après 1989, "Mademoiselle Personne", (1996) ne rencontre pas le succès escompté. Il a rendu hommage à Walesa dans "L'Homme du peuple" en 2013.
Aussi metteur en scène de théâtre
Le dernier film d'Andrzej Wajda, "Powidoki" (Après-image, 2016), qui a eu sa première en septembre au festival de Toronto (Canada) et qui n'est pas encore sorti en salles, sera le candidat polonais à l'Oscar. Wajda y raconte les dernières années de la vie d'un peintre d'avant-garde et théoricien de l'art, Wladyslaw Strzeminski, en lutte contre le pouvoir stalinien. Certains critiques y ont vu une métaphore de la Pologne actuelle dirigée par les conservateurs du parti Droit et Justice (PiS).Réalisateur prolifique, Wajda a réalisé près de 40 longs métrages ainsi que quelques films pour la télévision ainsi que des documentaires. Amoureux du théâtre, il a aussi mis en scène une quarantaine de pièces. Passionné de culture japonaise, il a créé en 1994 à Cracovie un centre de civilisation japonaise.
Il a reçu de nombreux prix tout au long de sa carrière, notamment le prix spécial du jury à Cannes en 1957 pour "Ils aimaient la vie", la Palme d'or en 1981 pour "L'Homme de fer", le César du meilleur réalisateur et le BAFTA du meilleur film étranger en 1983-1984 pour "Danton", l'Ours d'argent spécial à la Berlinale en 1996 pour "La Semaine sainte", le Lion d'or d'honneur à la Mostra de Venise en 1998.
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