Cinéma : la France délocalise de plus en plus ses productions
Au premier semestre 2012, l'exil a concerné 35% des tournages (contre 23% en 2011) et surtout 69 % - plus des deux tiers - des films au budget supérieur à 10 M d'euros, selon les statistiques de la Fédération des industries techniques du cinéma (Ficam), publiées jeudi.
Une tendance qui revient à faire du "made in France" cousu main en République Tchèque, Hongrie, Luxembourg, Allemagne ou Canada, alors que la Cité du Cinéma et ses neuf studios flambant neuf et techniquement en pointe doit ouvrir le 21 septembre à Saint-Denis, aux portes de Paris.
En France, l’industrie du cinéma représente 20 000 emplois
"Ca fait deux ans qu'on alerte sur cette tendance croissante à la délocalisation, mais là on atteint des sommets", s'alarme Thierry de Segonzac, le président de la Ficam, joint par l'AFP.
Le mouvement inquiète bien sûr la fédération qui redoute "un manque à gagner considérable pour les industries techniques": la Ficam regroupe 180 entreprises spécialisées en moyens techniques de tournage et de post-production, soit 10.000 emplois salariés et autant d'emplois intermittents, rappelle son président.
"C'est d'autant plus alarmant que les gros films sont évidemment les plus intéressants, pour l'industrie sectorielle comme pour l'économie nationale, car ce sont les plus gros consommateurs de décors, de constructions..." et les plus dépensiers.
En France la production cinématographique se porte bien: soutenue par le système d'aides du CNC (Centre national du cinéma) créé à la Libération, elle tient vaillamment tête à Hollywood, avec plus de 200 longs métrages d'initiatives françaises par an (293 en 2011).
Avec la Chine et l'Inde, elle est même la seule à résister. Mais si les semaines de tournage sont en hausse de 9%, celles délocalisées font un bond de +64% depuis janvier.
Exil fiscal
Essentiellement, les producteurs délocalisent pour des raisons de coût: les nouvelles destinations prisées bénéficient de crédits d'impôt avantageux, plafonds hauts et assiettes de dépenses plus larges. "Comme pour les autres secteurs, le coût du travail entre aussi en ligne de compte, surtout si on compare aux techniciens tchèques, roumains ou hongrois", complète M. de Ségonzac, ainsi que la limite du temps de travail. "On peut tourner deux heures de plus par jour en Belgique. Sur un tournage ça fait une sacrée différence".
C'est ainsi que Michel Gondry tourne en Belgique "L'Ecume des jours" d'après Boris Vian; Jean-Pierre Jeunet au Canada son "Extravagant Voyage du jeune et prodigieux TS Spivet"; et que Guillaume Nicloux envoie Isabelle Huppert et Louise Bourgoin au couvent en Allemagne pour "La Religieuse".
"Malgré l'adoption du crédit d'impôt intérieur en 2009, nos voisins continuent de faire mieux", constate Patrick Lamassoure, délégué général de Film France (organisme de promotion de l'Hexagone auprès des productions internationales). Qu'il s'agisse de retenir les tournages nationaux ou d'attirer les grosses productions internationales. "Personne ne vient tourner ici si la France, et notamment Paris, ne figure pas au scénario, parce que c'est cher".
Même scénario pour la télévision
Pour la télévision, le scénario est le même avec une multiplication par quatre des délocalisations des fictions entre 2011 et 2012, selon la Ficam qui cite la série "Odysseus" d'Arte tournée au Portugal, la 2e saison des Borgia (Canal+) au Canada ou "Manipulations" (France 2) en République Tchèque.
L'an dernier, les professionnels avaient plaidé pour un aménagement des dispositifs fiscaux afin de les rapprocher de ceux des concurrents voisins. En vain.
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